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rissoit uniquement. Ses premiers Ouvrages composés loin de ce lieu, sont remplis de l'expression de ce desir, qu'il a conservé jusqu'au moment où il a pu y céder, sans retour.

Dès qu'il se vit rentré dans Amiens, il voulut signaler ce moment, qu'il regardoit comme le plus heureux de sa vie, par un bienfait à jamais mémorable pour ses concitoyens.

Aidé de l'entremise et du crédit qu'avoit à la Cour le Duc de Chaulnes, alors Gouverneur de la Province de Picardie, il obtint l'établissement d'une Société Littéraire, érigée en Académie des Sciences, Belles - Lettres et Arts dans la ville d'Amiens, en 1750, par des Lettres-Patentes du Roi, qui l'en nomma d'abord Président-perpétuel. Mais l'esprit d'égalité, d'indépendance, la sorte de fraternité, que GRESSET savoit devoir régner toujours dans ces assoctations, l'empêcherent d'accepter ce titre. Il se contenta de l'honneur d'être Membre, tout simplement, d'une Compagnie de Savans, de Littérateurs et d'hommes à talens, qui lui devoit l'existence, et dont, à toutes sortes d'égards, on pouvoit le regarder comme le Chef et le mo

dele. Grand exemple de modestie, qu'il faut d'autant plus louer qu'il sera peu suivi en pareil

cas.

Pendant la quinzaine d'années que GRESSET est resté à Paris, il avoit fait quelques petits voyages à Amiens, pour y voir sa famille. Dans un de ces voyages, il étoit devenu àmoureux d'une Demoiselle Galland, fille d'un Négociant de cette Ville, qui en avoit été Maire, et de la même famille qu'Antoine Galland, de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Professeur au Collége Royal, et célebre par sa connoissance profonde des Langues Orientales et par sa traduction des Contes Arabes des Mille et une Nuits.

Cette Demoiselle étoit d'un grand mérite, et joignoit à beaucoup d'esprit un caractere doux et enjoué. GRESSET demanda et obtint sa main. La bénédiction nuptiale leur fut donnée, le 22 Février 1751, par l'Évêque d'Amiens, qui jusqu'à sa mort, arrivée trois ans avant celle de GRESSET, l'honora de l'amitié la plus intime et la plus constante.

Une grande conformité de caractere et de goûts les attacha facilement l'un à l'autre. Ils

étoient tous les deux fort gais. Ils aimoient les Contes plaisans et les Épigrammes ; et ils avoient beaucoup de talent pour en faire. GRESSET a composé seul des milliers de Contes, qui étoient autant de petits Poëmes, variés à l'infini, et plus de dix mille Epigramines, dans le nombre desquelles il y en avoit quelques-unes où le Marquis de Chauvelin avoit eu quelque part; mais rien n'en a été conservé, et ces petits Ouvrages me sont connus que des personnes qui les ont entendu réciter dans les sociétés dont ils faisoie sil les délices.

L'Évêque d'Amiens étoit le seul qui fût em état de lutter contre GRESSET dans le genre du Conte. Ils se trouvoient souvent ensemble chez le Duc de Chaulnes, avec lequel ils étoient fort liés, et ils y faisoient assaut à cette sorte d'escrime, pendant cinq à six heures de suite. On oublioit le dîner ou le souper pour les entendre. Ils excitoient dans tout le monde un rire qui alloit quelquefois jusqu'à la convulsion. GRESSET avoit surtout une facilité incroyable. Depuis l'âge de trente ans, il écrivoit currente calamo, en vers comme en prose.

Avec tant de moyens de briller dans le monde,

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d'y paroître supérieur au grand nombre, personne ne s'y montra jamais ni plus simple, ni plus modeste que lui. Il cherchoit toujours à se mettre à la portée de chacun et à le faire valoir, autant qu'il lui étoit possible, même à ses propres dépens: aussi, s'occupant moins de lui que des autres, loin que son esprit et ses talens effarouchassent la multitude, et qu'il fût jalousé par personne, il étoit généralement aimé.

Il jouissoit, surtout, de ce bonheur au miMeu d'une famille nombreuse, qu'il chérissoit ; mais, de tous ceux qui la composoient, ce fut une de ses sœurs, qui a épousé M. Marié de Toulle, de Foucaucourt, Chevalier de SaintLouis et Capitaine-Commandant au Régiment de Grammont Cavalerie, qu'il aima le plus, et dont il fut le plus chéri. C'est cette tendre sœur qui vint lui donner ses soins pendant une maladie longue et dangereuse qu'il eut à Paris, et à la. quelle il adressa ensuite sa belle Epûre sur sa convalescence.

Madame de Toulle étoit digne, en tout, de cette préférence. Elle réunissoit à toutes les vertus et aux qualités d'un esprit vif et juste et d'un cœur

excellent, les charmes d'une beauté rare et la taille la plus brillante et plus avantageuse. Son goût exquis, bien reconnu par son frere, et par tous ceux qui ont eu quelque relation avec elle, l'avoit rendue le juge-né de ses Ouvrages, qu'il soumettoit à son examen, avant de les publier.

Cette femme intéressante, si bien faite pour partager la gloire de GRESSET, à laquelle il l'a, en quelque sorte, associée, en l'appellant sa Minerve, dans son Epître, a eu la douleur de le voir mourir, et elle ne lui a pas survécu d'un an.

GRESSET, dans les premiers jours du mois de Juin 1777, se trouva surpris par quelques accès de fievre intermittente et rémittente, qui ne furent pas arrêtés à tems; et, quoiqu'il fût fort robuste, il succomba, le 16 du même mois, au quatrieme accès, n'étant encore que dans sa soixante-huitieme année, et sans qu'il soit né aucun enfant de son mariage.

On sait qu'il eut toujours beaucoup de Religion, et l'on ne peut douter qu'il ne soit mort pénétré des mêmes sentimens. Ils l'avoient porté dans ses dernieres années à sacrifier plusieurs Ou vrages qu'il avoit achevés, et à en abandonner

d'autres

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