Page images
PDF
EPUB

après lui avoir donné des éloges mérités sur ses Traductions de l'Anglois, il voulut peindre le ridicule de cette variation dans notre langage, mais il ne connoissoit plus les couleurs qu'il y falloit employer. Près de cinq lustres s'étoient écoulés depuis qu'il les avoit perdues de vue; et d'Alembert, qui, reçu par lui, fut chargé de recevoir son successeur, l'Abbé Millot, dit, dans sa réponse à ce dernier, en parlant de ce Discours de GRESSET : « Il voulut peindre des ridicules dont il avoit perdu le trait et les formes. Le Public vit, avec un silence respectueux, et avec une sorte de douleur, le coloris terne et suranné de ces tableaux, comme il voit les derniers efforts de ces Artistes célebres dont la jeunesse s'est immortalisée par des chef-d'œuvres, et dont les mains défaillantes, encore attachées sur la toile qu'animoit autrefois leur génie, essaient en vain d'y représenter, par quelques traits informes, des objets que leurs foibles yeux ne peuvent plus appercevoir.... »

Mais cette époque fut glorieuse, d'une autre maniere, pour GRESSET. En lui procurant l'avantage de s'approcher de Louis XVI, pour

le haranguer au nom et à la tête de l'Académie, sur son avénement au trône, elle lui valut des Lettres de Noblesse, l'un des premiers bienfaits accordés par le jeune Monarque.

Ces Lettres, dont voici le préambule, qui est aussi honorable pour la Littérature en général, que pour GRESSET en particulier, furent – adressées à M. d'Agay, Intendant de Picardie, et il en fit la lecture dans une séance publique de l'Académie d'Amiens, en 1775, en présence de GRESSET et de toute sa famille.

« Louis, par la grace de Dieu, &c. Les avantages que les Sciences, les Belles-Lettres et les Arts procurent à notre Royaume, nous invitent à ne négliger aucun des moyens qui peuvent contribuer à leur maintien et à leur progrès. Les titres d'honneur répandus avec discernement sur ceux qui les cultivent, nous paroissent l'encouragement le plus flatteur que nous puissions leur donner. Parmi ceux de nos sujets qui se sont livrés à l'étude des Belles-Lettres, notre cher et bien amé Jean-Baptiste-Louis GRESSET s'y est distingué par des Ouvrages qui lui ont acquis une célébrité d'autant mieux méritée, que la Religion et la décence, toujours respectées dans ses

écrits, n'y ont jamais reçu la moindre atteinte. Sa réputation a, depuis long-tems, engagé l'Académie Françoise à le recevoir au nombre de ses Membres, et nous l'avons vu, avec satisfaction, nous offrir, en qualité de Directeur, les hommages de cette Académie, la premiere fois que nous avons bien voulu l'admettre à nous les présenter, à l'occasion de notre avénement à la Couronne. Nous savons d'ailleurs, qu'il est issu d'une famille honnête de notre ville d'Amiens; que son ayeul et son pere y ont rempli différentes Charges Municipales, et qu'ils y ont toujours, ainsi que le sieur GRESSET, luimême, vécu de cette maniere honorable qui, en rapprochant de la Noblesse, est, en quelque sorte, un degré pour y monter. A ces causes

&c. »>

,

[ocr errors]

Deux ans après cette époque, c'est à-dire, fort peu de tems avant la mort de GRESSET, au commencement de 1777, le Roi le fit Chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, et MONSIEUR le nomma Historiographe de l'Ordre de Saint-La

zare.

Personne n'étoit plus digne que GRESSET de toutes ces faveurs, car il les reçut sans les avoir

sollicitées; et, si la mort n'étoit venu le ravir à tant d'honneurs, il auroit su en jouir sans remords, comme sans ostentation.

Al faisoit tout le bien qu'il pouvoit faire. Il avoit consacré à des pauvres connus le produit entier d'une maison de campagne, appellé le Pinceau, qu'il possédoit à une demi-lieue d'Amiens, et où il alloit tous les jours, en été comme en hiver; mais, après sa mort, on a découvert une multitade de nécessiteux qu'il avoit secourus dans le plus grand secret, pendant une longue suite d'années. Aussi sa perte fut-elle regardée comme une calamité publique, dans la ville d'Amiens. Le Corps Municipal et l'Académie assisterent à ses obseques, en grand cortége; et un anonyme composa pour ce Poëte aimable ce distique, qui lui convient si bien :

Nunc lepidique sales lugent, veneresque pudicæ ;
Sed prohibent mores, ingeniumque mori.

On a prétendu que GRESSET avoit eu le dessein d'achever le charmant Conte des Quatre Facardins d'Hamilton, et même qu'il s'étoit occupé de cette entreprise; mais il paroît qu'il n'est resté aucune trace de ce travail dans ses papier,

Il existe entre les mains de ses parens un trèsgrand nombre de ses Lettres manuscrites, et dont le Recucil seroit digne de figurer à côté de ses Ouvrages. Elles sont, nous dit-on, pleines de gaieté, de finesse et d'esprit, sans affectation et sans recherche. C'est le modele du style épistolaire, le naturel le plus pur et l'enjouement le plus vrai, enveloppant toujours une saine morale et quelquefois une critique utile; mais sans que l'on y voie d'humeur contre personne. Il ne fut jaloux d'aucun Auteur; et, malgré les plaisanteries piquantes que Voltaire s'est permises contre lui, dans le Pauvre diable, à l'occasion de sa retraite à Amiens et de sa renonciation au genre dramatique, il n'a jamais cessé de rendre hommage aux talens de ce grand Ecrivain, et de lui donner des louanges toutes les fois qu'il en a eu l'occasion, soit dans la conversation, soit dans ses correspondances fa

milieres.

L'Académie d'Amiens, non contente d'avoir célébré elle-même la mémoire de GRESSET, dans un Eloge public, Ouvrage de M. Baron, Secrétaire de cette Compagnie, a proposé encore pour sujet d'un de ses prix l'Eloge de

« PreviousContinue »