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DE LA COMPÉTENCE.

17. Tous Juges peuvent informer & décréter contre les accufés, même privilégiés; cette maxime fouffre peu d'exceptions, pourvu que le Juge qui informe & décrete foit Juge du lieu du délit ; il eft même enjoint par l'article XXI de la Déclaration du Roi du 5 Février 1731 aux Juges des lieux d'informer & décréter auffi-tôt qu'ils auront connoiffance des crimes; même les Prévôts de Maréchauffée, quoique Juges extraordinaires, le peuvent fuivant la même Déclaration.

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18. Les Lieutenants Civils ne peuvent connoître des matieres criminelles. La connoiffance leur en eft interdite par les Edits de 1522 & 1552, portant création des Offices des Lieutenants Criminels, à moins qu'elles ne foient incidentes & ne puiffent être féparées du civil. Article XIV de l'Edit de Novembre 1554, pour retrancher les différents en,, tre les Lieutenants Civils & Criminels déclarons qu'avons entendu ", que nos Lieutenants Criminels connoiffent & aient la jurifdiction de tous crimes, délits & offenfes, dont nos Lieutenants Civils fouloient ,, connoître, privativement auxdits Lieutenants Civils; ores qu'il fût question d'excès commis entre les parties plaidantes & litigantes pardevant eux, & au contempt d'iceux procès; pourvu que l'excès ne foit fait en préfence du Juge exerçant fon Office, ou en fon Auditoire; fors & réfervé feulement des matieres criminelles incidentes, & préjudiciables aux procès civils, pendants pardevant les Lieutenants Civils, fans la décifion & connoiffance defquelles ils ne pouvoient faire droit, & décider les caufes & matieres civiles, comme font falfité de lettres & témoins, & autres femblables matieres, defquelles dépend & eft connexe la décifion de la matiere civile. Brillon au mot procédure, n. 90, rapporte un Arrêt du grand Confeil du 14 Juillet 1705, qui caffa une procédure criminelle faite par le Lieutenant général du Bailliage de Dijon dans une matiere non incidente au civil. L'Arrêt du Confeil d'Etat rendu le 30 Mars 1719, pour fervir de réglement entre les Officiers du Préfidial de Brives, art. II, porte que le Lieutenant Criminel connoîtra de toutes matieres criminelles ; à moins que les crimes ne fuffent commis en présence du Lieutenant Général ou autres Officiers du Siege exerçant leurs fonctions; auquel cas ils pourront en connoître on peut même dire que ce réglement n'eft pas en cette occafion conforme à la regle générale établie par l'Edit de 1554 ci-deffus. Voyez ci-après les obfervations fur l'article V du titre X, n. 2.

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19. Quand il s'agit d'injures fimples & verbales, c'eft au Juge du domicile de l'accufé à en connoître, parce que dans ce cas on prend la voie civile; actor fequitur forum rei. C'eft ce qui fait dire à M. Jouffe fur cet article premier, que fi le crime eft pourfuivi civilement pardevant le Juge du domicile de l'accufé, il n'y a pas lieu au renvoi, quand même il feroit requis, fuivant que le porte cet article qui eft conçu dans des termes qui font bien connoître qu'il n'a entendu parler que des actions intentées par la voie extraordinaire. Voyez les obfervations fur l'article I du titre ill, n. 3.

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20. Celui qui a donné ordre de commettre un crime devient jufticiable du Juge dans le reffort duquel il a été commis; le dénonciateur & le calomniateur font dans le même cas. Voyez à ce fujet l'Arrêt du Parlement COMPÉTENCE. de Paris du 6 Septembre 1694 au Journal du Palais, & encore au Journal des Audiences, tom. 5, liv. 10, chap. 17, pag. 703. Mais cette regle n'a pas lieu à l'égard des Prévôts de Maréchauffée, fuivant un autre Arrêt du Parlement de Paris du 15 Janvier 1724, rapporté par M. Jouffe fur le préfent article, n. 5, pag. 9, parce que l'inftance de calomnie n'est pas un cas prévôtal. Voyez les notes fur l'article VII du tit. III, n. 5, ci-après.

21. Les Eccléfiaftiques font auffi exceptés de la regle prefcrite par l'Ordonnance, ils ne font pas fujets à la Justice des Seigneurs, leur caractere les fait jouir du privilege des Nobles; c'est le Juge Royal qui eft en droit de connoître des crimes qu'ils commettent; ils font nés fujets du Roi avant d'avoir été promus aux ordres; leur caractere ne fait pas ceffer leur qualité de fujet du Prince temporel; ils font fujets comme les Laïcs à être réprimés par la puiffance qui gouverne l'Etat, fi par leurs crimes ils en troublent l'ordre & l'harmonie. Brillon au mot injure, n. 14, rapporte un Arrêt du Parlement de Dijon, qui fur l'appellation interjettée par un Prêtre d'une procédure criminelle faite contre lui par le Lieutenant Criminel de Semur en Auxois, comme de Juge incompétent, confirma la procédure. Au n. 17 il en cite un pareil du Parlement de Rouen du 18 Novembre 1664.

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La Dame de Canlers ayant prétendu que l'on avoit fpolié l'hoirie de fon frere, donna fa plainte au Lieutenant Criminel d'Avalon; il y eut plufieurs décrets, dont un de foit ouï, contre Louis Baudenet, Curé de Guillon. L'inftance ayant été inftruite par récolement & confrontation le Curé interjetta appel comme de Juge incompétent de la procédure pour avoir été faite fans le concours de l'Official. On lui répondit que l'Edit de 1678 avoit deux parties; que la premiere regle la forme de l'inftruction dans le Tribunal Eccléfiaftique; & la feconde regle celle des Juges Royaux, & ordonne que jufqu'à la demande en renvoi, ou révendication, les procédures fubfifteront; d'où il fuit que tout ce qui eft fait auparavant eft valable; que les Edits de 1684, 1695, & la Déclaration de 1711 ont à la verité ordonné que les procès des Eccléfiaftiques feroient inftruits conjointement par le Juge d'Eglife & le Juge Royal; mais que cela ne doit s'entendre que relativement aux Edits précédents, dont les derniers ordonnent l'exécution. Sur ces moyens, par Arrêt du Parlement de Dijon du 23 Mars 1743, rendu à l'Audience publique de la Tournelle, la procédure fut confirmée. L'Arrêt a été imprimé par ordre de la Cour; il porte:,, La caule appellée, les Avocats ouïs pendant quatre Audiences, la Cour ❞ prononçant fur l'appellation interjettée par ledit Baudenet a icelle mife à neant. Ordonne que ce dont eft appel fortira fon plein & entier effer; renvoie la caufe & les Parties pardevant le Juge dont eft appel, pour

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être le procès par lui parachevé & jugé contre tous les accufés à la forme de l'Ordonnance; fauf en cas de requifition de la part dudit Baudenet, ou de révendication du Promoteur, à être le procès parachevé & jugé contre ledit Baudenet, conjointement avec l'Official."

C'est donc une question décidée au Parlement de Dijon, & même on peut dire que c'eft une Jurifprudence conftante de toutes les Cours, que le Juge Royal peut inftruire feul le procès d'un Eccléfiaftique, pour les crimes les plus graves comme pour les plus légers délits, s'il ne demande pas fon renvoi, ou s'il n'eft pas révendiqué par le Promoteur; parce que le Juge Royal n'eft jamais incompétent, & que les Eccléfiaftiques font de la Jurifdiction des Lieutenants Ciminels comme les autres fujets du Roi. On trouve auffi dans les Mémoires du Clergé, tom. 7, pag. 848, un Arrêt du Parlement de Paris du 21 Mars 1739, qui, fur un appel du Juge Royal que l'on foutenoit incompétent, parce qu'il avoit inftruit feul une procédure contre un Curé, la confirma & le condamna à neuf ans de banniffement pour avoir donné la bénédiction nuptiale à une fille & à fon raviffeur. L'Auteur du livre des Loix criminelles, tom. I, pag. iij, ch. 13, n. 17, dit auffi que s'il n'y a point de demande en renvoi, ou revendication, le Juge Royal n'eft pas obligé d'appeller l'Official, fuivant les Edits de 1678 & 1684, qui fuppofent un renvoi demandé. Du Rouffeau de la Combe, part. 2, chap. 6, fection 1, n. 7, établit auffi la même maxime par la décifion des Arrêts du Parlement de Paris des années 1723, 1724, 1738, 1739, 1741, & plufieurs autres qu'il eft inutile de rapporter pour prouver une regle qui ne fait aucune difficulté.

Il y a des Promoteurs & même des accufés qui fe contentent de faire fignifier au Greffe du Juge Royal, fur un quart de papier timbré, une révendication ou une demande en renvoi; ce qui eft indécent & contraire au refpect dû à la Juftice Royale, même par les Promoteurs qui doivent fuivre la regle prefcrite en pareil cas par l'Edit de 1684, qui veut que le renvoi ne foit accordé que fur une Requête de l'accufé, ou fur la Requête du Promoteur. Cette regle eft fi univerfelle que ceux qui ont donné des ftyles des Procédures Eccléfiaftiques, ont donné des formules de ces Requêtes qui doivent être préfentées par les Promoteurs, lorfqu'ils veulent révendiquer. Voyez Brunet dans fon parfait Procureur des Officialités tom. 2, pag. 258, & autres qu'il eft inutile de citer, puifque l'Edit de 1684 y eft formel; par conféquent le Juge Royal, auquel on fignifie une demande en renvoi, ou la révendication d'un Promoteur, fans lui avoir préfenté Requête en forme, peur n'y pas déférer. Il eft néceffaire de faire refpecter l'autorité des Officiers du Roi fuivant fes intentions auffi clairement expliquées par un Edit: on ne doit parler aux Juges que par Requête, même dans le cas de récufation. Cette regle eft fi étroitement obfervée, que même les Procureurs du Roi font obligés de fe plaindre par Requête.

Il eft vrai que fi le Juge Royal refuloit d'appointer une Requête du Promoteur , conçue dans des termes refpectueux & convenables, il feroit

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en droit de la faire fignifier au Greffe; mais cela fe doit encore faire décemment, en faifant fignifier la Requête en original; car fi le Promoteur fe contentoit d'en faire donner copie fur un quart, ou fur une demi- COMPÉTENCE, feuille, le Juge la regarderoit plutôt comme une Requête de mépris que de refpect; il ne conviendroit même pas qu'il appointât une pareille Requête; elle doit lui être préfentée, & fur fon refus fignifiée à fon Greffe en original, afin qu'il puiffe l'appointer.

Le Grand Confeil, les Cours des Aydes, les Elus, les Officiers des Greniers à Sel & plufieurs autres Tribunaux font dans l'ufage de refufer aux Eccléfiaftiques leur renvoi pardevant les Juges d'Eglife; parce que les Edits ne parlent que des Cours & des Baillis & Sénéchaux; & cela afin de ne pas interrompre leur ufage dans des occafions où fouvent il ne s'agit que des droits du Roi, dcs contraventions aux Gabelles, ou autres délits femblables. Il en eft de même lorfque le Roi nomme des Commiffaires pour inftruire & juger certains procès criminels où des Eccléfiaftiques peuvent fe trouver intéreffés, les Commiffaires n'appellent pas les Officiaux. Voyez le Traité criminel de Dupleffis, édition de 1728, pag. 15.

22. Un Eccléfiaftique qui a été jugé par l'Official feul peut être de nouveau accufé pardevant le Juge Royal; au contraire le Juge Laïc peut abfoudre un Eccléfiaftique même du délit commun, lorfqu'il n'a pas requis fon renvoi, ou qu'il n'a pas été révendiqué, fans qu'il puiffe enfuite être accufé du même délit pardevant l'Official. Cette différence eft fondée fur la dignité du Juge Royal, affez diftinctement marquée par les Edits de 1678 & 1684. L'Eccléfiaftique abfous en la Juftice Royale dicitur bene abfolutus, la Juftice étant rendue par les Officiers du Roi eft dans fon centre & dans fon état naturel, puifque de droit commun toute Jurifdiction appartient au Roi fur tous fes fujets.

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Suivant plufieurs Arrêts antérieurs aux Edits de 1678 & 1684, les. Eccléfiaftiques décrétés par le Juge Laïc étoient obligés de répondre fur leurs décrets avant de pouvoir demander leur renvoi. Mais depuis ces Edits: il paroît qu'il n'en doit pas être de même ; cependant Bruneau, tit. 2, n. 16, pag 27; Brillon au mot ajournement, n. 42; Henrys tom. 2 queftion 40, liv. 1, & autres auteurs nouveaux continuent de preferiret la même regle, qu'il faut obéir à Justice avant de pouvoir demander fon renvoi. Mais il y a lieu de croire qu'ils fe font trop occupés de la Jurifprudence ancienne, fans faire affez d'attention aux nouveaux Edits, qui ne font aucune diftinction, & qui veulent qu'auffi-tôt que le renvoi eft demandé, ou que la révendication eft faite dans la forme refpectueuse qu'ils prefcrivent, il y foit prononcé. Ainfi il feroit dangereux de ne s'y pas conformer; fur-tout fi c'eft le Promoteur qui révendique; car l'accufé ne peut préfenter Requête qu'il n'ait commencé par obéir, en fe préfentant pour répondre fur fon décret.

23. Quoique cet article de l'Ordonnance fe ferve du terme de renvoi il ne convient pas à un Juge fubalterne d'en ufer, lorsqu'il eft obligé d'a

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bandonner à un Juge fon fupérieur une procédure criminelle. C'est ce qui a été décidé par plufieurs Arrêts, & entre autres par celui du Parlement COMPÉTENCE. de Dijon, du 4 Juillet 1556, rapporté par Brillon au mot Juge, n. 84, où il dit que la maniere de prononcer eft différente felon la qualité des Juges. Les Cours prononcent par renvoi aux Juges de leurs refforts ; mais quand il s'agit de Juges égaux, ils ordonnent que les Parties fe pourvoiront. Idem Bruneau, tit. 2, n. 30. Le terme délaisser la connoiffance d'une inftance eft encore convenable à un inférieur : c'eft dans ce fens que les Ordonnances fe font fervies à l'égard des Eccléfiaftiques du terme de renvoi, afin de faire fentir que la dignité du Juge Royal eft fupérieure à celle du Juge d'Eglife auquel il renvoie les Eccléfiaftiques, lorfqu'il en eft requis. Voyez Bornier fur l'article I du titre VI de l'Ordonnance civile.

Si un Juge d'Eglife ordonnoit au Greffier du Juge Royal d'envoyer dans fon Greffe une groffe de procédure, à peine d'y être contraint par corps ou autre peine, il y auroit abus fuivant un Arrêt du Parlement de Paris, du 23 Janvier 1717. Dans des cas pareils le Promoteur ou la Partie doivent préfenter Requête au Juge Royal, qui au contraire peut contraindre par toutes voies le Greffier du Juge d'Eglife à envoyer dans fon Greffe les groffes de procédures qui lui font néceffaires. Voyez le n. 7 de l'article IV de ce titre. 24. II y a des crimes que l'on nomme continus; par exemple, le rapt; les raviffeurs font fujets à la Jurifdiction de tous les endroits où ils paffent avec la perfonne ravie. Les affemblées illicites fe continuent de même fouvent dans différents refforts: ces cas firent la matiere de plufieurs obfervations, lors des conférences fur l'article II de ce titre. M. le Premier Préfident prétendit que dans le rapt il y avoit une fucceffion continuelle de crime; que le raviffeur ayant commencé l'enlèvement dans une petite Jurifdiction, & continuant fon crime par-tout où il paffoit, il ne paroiffoit pas que s'il étoit arrêté à cent lieues tous les Juges qui auroient informé fuffent obligés d'envoyer leurs procédures à un petit Juge, auffi bien que les témoins pour être confrontés & en connoître préférablement à un autre Juge, qui pouvoit être un Officier de Bailliage. M. Puffort répondit, que les Cours dans ce cas pouvoient renvoyer l'affaire à l'un des Juges. M. Jouffe, pag. 6. titre 1, n. 5, paroit prendre un parti fort fage, en difant que c'eft au Juge du lieu de l'enlèvement à connoître du crime. Il appuie fon fentiment fur celui de Farinace In theoria criminali, queft. 7, n. 45, & de M. d'Argentré fur la Coutume de Bretagne, article XII, note 2, n. 1. Cela doit s'entendre du Juge Royal, non-feulement parce que le rapt eft un cas Royal, mais encore parce qu'il a la prévention fur les Juges fubalternes. C'eft ce que M. Jouffe dit avoir été jugé par Arrêt du Parlement de Paris du 5 Mars 1724. Voyez à ce fujet les observations fur l'article XI de ce titre, n. 25.

Le mandat pour affaffiner & le complot pour commettre un crime font fuivant la regle générale, de la connoiffance du Juge où le crime a été

commis,

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