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y satisfit avec grandeur. En même temps qu'elle suffisait à toutes les nécessités d'un gouvernement révolutionnaire, qu'elle dotait la France d'une constitution, qu'elle réglait toutes les branches de la législation, elle assurait l'instruction gratuite aux pauvres, elle élevait un monument de reconnaissance à l'abbé de l'Epée, elle ouvrait un asile aux malheureux sourds-et-muets, chargeait les municipalités de pourvoir aux récoltes des absens. Cédant aux inspirations d'une noble et utile propagande, elle proposait à l'Angleterre de se concerter avec elle pour faire jouir l'Europe entière du bienfait de l'unité des poids et mesures, entreprise vraiment philantropique et qu'il serait digne de notre civilisation actuelle de reprendre; au mobile des vanités de cour, elle substituait celui de la reconnaissance nationale; et elle inscrivait au frontispice du Panthéon cet appel solennel à la vertu et au patriotisme: aux grands hommes la patrie reconnaissante; elle décrétait que deux frégates seraient expédiées à la recherche de La Peyrouse; elle proclamait solennellement que la nation française renonçait à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes, qu'elle n'emploierait jamais la force contre la volonté d'aucun peuple; elle recevait au sein de la société française le comtat Venaissin, par l'effet d'une accession libre et spontanée de cette population.

C'est ainsi que l'assemblée constituante a rehaussé son œuvre par ce caractère de haute moralité, de grandeur, de véritable noblesse, qui fera toujours de cette glorieuse époque celle vers laquelle les amis de la liberté et de la civilisation se reporteront avec le plus juste orgueil.

A l'énumération de tant de travaux, il semblerait qu'un siècle à peine a suffi pour les accomplir; et cependant depuis le 17 juin 1789, jour où elle s'est constituée et proclamée assemblée nationale, jusqu'au 1er novembre 1791, il ne s'est écoulé que 28 mois. On s'explique à peine, lorsqu'on en juge surtout par comparaison avec nos assemblées actuelles, comment le temps a pu matériellement lui suffire. L'étonnement redouble, lorsqu'on se rappelle que le gouvernement tout entier était passé dans cette assemblée, qu'il fallait qu'elle pourvût à tous les besoins, à toutes les nécessités du jour; qu'une partie de ses séances étaient consacrées à la lecture des adresses envoyées de toutes les parties de la France, à la réception de toutes les députations admises à sa barre; détails qui auraient suffi pour absorber et écraser un pouvoir organisé avec son unité d'action et ses mille agens subordonnés, et qui semblait ne devoir laisser aucun instant libre à une assemblée si nombreuse et dont l'action paraissait si compliquée et si

embarrassée.

Et cependant, ce ne sont même pas de simples textes de lois que cette assemblée rédigeait : il y a celá de remarquable, que les lois de l'assemblée constituante portent avec elles leur commentaire; ce sont des traités plutôt que des lois ordinaires. Il y a plus, comme elle était dans la nécessité de renouveler les idées pour ainsi dire en même temps que les lois, quelques uns de ses décrets organiques sont accompagnés de longues instructions qui étaient elles-mêmes rédigées, délibérées et votées comme les lois. Sa sollicitude législative va même plus loin; elle joint quelquefois à ses instructions des formules d'acles pour faciliter de plus en plus l'exécution de ses prescriptions.

Comment donc expliquer ce problème, qui parait insoluble, de tant de choses opérées en si peu de temps?

Par l'enthousiasme, par ce feu sacré qui, surtout en France, a toujours fait des miracles, par cette énergie active que donne le sentiment d'une haute mission, par l'empire de la nécessité, par cette noble émulation de travail qui avait pour principe le plus pur patriotisme et pour perspective la gloire et la reconnaissance de la patrie.

Il faut le dire, le réglement intérieur de cette assemblée était aussi admirablement propre à faciliter la rapidité de ses travaux.

Les séances commençaient à huit heures du matin, se prolongeaient jusqu'à l'heure du diner; les bureaux se réunissaient à quatre heures; à six ou sept heures commençaient les séances du soir qui n'étaient pas les moins pleines ni les moins importantes, et qui se prolongeaient souvent fort avant dans la nuit, témoin celle du 4 août. Le travail de l'assemblée constituante était suspendu tout au plus par les repas et le sommeil, il n'était pas interrompu. Cette continuité de travaux avait le grand avantage d'entretenir les esprits toujours en activité.et, sans aucune distraction, de les tenir tendus sur l'objet qui était à l'ordre du jour jusqu'à ce qu'il fût expédié.

Il faut compter aussi pour beaucoup la coopération des divers comités composés de l'élite en tout genre des membres de l'assemblée; comités pour la plupart non mobiles, non accidentels, mais permanens, qui par conséquent pouvaient embrasser un ensemble, suivre un projet dans toutes ses parties, concevoir et proposer quelque chose de grand.

C'est dans ces comités que furent méditées, préparées, coordonnées toutes ces importantes organisations de la justice, de l'administration, des finances, de l'armée, et que furent rédigés tous les codes différens que nous avons déjà rappelés. C'est enfin dans un de ces comités que fut rédigée la constitution de 1791; comité où brillaient Mounier, Talleyrand, Sieyès, Clermont-Tonnerre, Lally-Tollendal, l'archevêque de Bordeaux, Bailly, Rabaud de St-Etienne, Volney, Lanjuinais, Treilhard. Fréteau, Bergasse, noms qu'il n'est pas permis à un Français ami de son pays d'ignorer, et qui doivent être à jamais consacrés par la reconnaissance nationale.

L'assemblée avait, dans les questions importantes, adopté la règle salutaire de la division du travail. Ainsi, dans toute loi fondamentale, les principes généraux étaient d'abord formulés en autant de questions distinctes et livrées aux méditations de tous; lorsque les idées étaient mûres sur ces questions, elles étaient soumises à des délibérations préliminaires: si on s'accordait, on renvoyait aux comités pour rédiger les résolutions, et la rédaction elle-même était encore sujette à délibération et révision.

C'est ainsi que, plus tard, le conseil d'état faisait ses codes qui ont aussi l'empreinte de la grandeur et de la durée. Ce mode de travail a aussi quelque analogie avec les trois lectures des bills dans le parlement anglais.

La méthode est bonne pour tout travail intellectuel, elle l'est surtout pour la confection des lois; et là où la méthode est mauvaise. les instrumens fussent-ils excellens, les lois seront toujours mauvaises, incohérentes et incomplètes. L'expérience nous l'a assez appris,

Dans l'assemblée constituante se rencontra aussi, il faut le reconnaltre, la plus grande réunion d'hommes éminens, de talens puissans par leur diversité même, de caractères élevés et purs qui se soient peut-être jamais réunis dans une assemblée politique. Il semblait que la nature, se mettant en harmonie avec la nécessité des temps, eût fait un effort pour créer ensemble tant d'hommes d'une si haute distinction. La mort, les proscriptions, le temps ont largement moissonné parmi ces hommes, et cependant, lorsque l'empire s'est fondé, c'est encore parmi eux que Napoléon vint choisir ses meilleurs conseillers, ses plus savans légistes, ses premiers hommes d'état.

Plus nous nous éloignerons de cette grande révolution, plus cette vie politique et sociale que l'assemblée constituante nous a conquise par ses immortels travaux, se développera et pénètrera dans nos mœurs, plus aussi s'étendra le culte de reconnaissance qui est dû à cette assemblée; quelles que soient les modifications qui ont été ou qui pourront être un jour apportées à son œuvre, ce n'en sera pas moins vers elle, vers ces jours de jeunesse, de foi vive, de grandeur véritable que nous nous reporterons toujours avec le plus de bonheur; c'est qu'en effet cette grande et glorieuse époque de 1789 a commencé pour notre patrie une ère toute nouvelle, celle de la liberté, de l'égalité, de la dignité humaine, de l'unité française; c'est que l'assemblée constituante n'a laissé à ses successeurs qu'à maintenir et perfectionner son œuvre, et que la création aura toujours dans l'admiration des hommes une part plus grande que la conservation et le perfectionnement.

ODILON BARROT.

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