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soient désormais réduites à l'impuissance. Si j'en doutais, l'énergie de la répression suffirait seule pour dissiper mes illusions.

Après deux années d'études et de recherches, je reproduis ici, sous une forme nouvelle, les écrits que j'ai publiés pour combattre les théories qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de socialisme. Rechercher les doctrines anarchiques dans le passé, montrer leur action dans le présent, indiquer les précautions à prendre dans l'intérêt de l'avenir telle est la tâche que je me suis imposée. Je ne me flatte pas d'avoir atteint le but où tendaient mes efforts; mais j'aurai du moins le mérite d'avoir appelé l'attention des amis de l'ordre sur les dangers de l'indifférence et du dédain, à une époque où les vainqueurs de la veille deviennent si facilement les vaincus du lendemain.

Louvain, 15 Juillet 1852.

J.-J. THONISSEN.

LE SOCIALISME

DEPUIS

L'ANTIQUITÉ

JUSQU'A LA CONSTITUTION FRANÇAISE DU 14 JANVIER 1852.

INTRODUCTION.

Communauté d'origine et de but de toutes les doctrines anti-sociales. Idée fondamentale de tous les systèmes.

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Diversité dans les

procédés d'application. - Le socialisme dans le domaine de l'histoire. Portée réelle des précédents historiques. Problème à résoudre sur le terrain de l'économie politique. - Propagande sociale.-Plan général de l'ouvrage.

MALGRÉ la diversité de leurs formules, toutes les théories des promoteurs du socialisme tendent au même but et découlent d'une source unique.

Les hommes du peuple, dit-on, ont cessé d'être esclaves, puis d'être serfs; il faut qu'ils cessent d'être prolétaires, le prolétariat n'étant qu'une dernière forme de l'esclavage. Voilà le but (1).

Dégagé des voiles qui l'enveloppent, le principe qui sert de base aux socialistes de toutes les catégories peut être réduit aux termes suivants :

(1) V. Louis Blanc, le Socialisme, Réponse à M. Thiers, p. 7.

T. I.

1

« Tous les hommes ont droit, le même droit, un droit égal au bonheur.

» Le bonheur, c'est la jouissance, sans autre limite que le besoin et la faculté, de tous les biens existants ou possibles en ce monde, soit des biens naturels et primitifs que le monde contient, soit des biens progressivement créés par l'intelligence et le travail de l'homme.

> Quelques-uns, la plupart de ces biens, les plus essentiels et les plus féconds, sont devenus la jouissance exclusive de certains hommes, de certaines familles, de certaines classes.

➤ C'est la conséquence inévitable du fait que ces biens, ou les moyens de se les procurer, sont la propriété spéciale et perpétuelle de certains hommes, de certaines familles, de certaines classes.

>> Une telle confiscation, au profit de quelques-uns, d'une partie du trésor humain, est essentiellement contraire au droit au droit des hommes de la même génération, qui devraient tous en jouir; au droit des générations successives, car chacune de ces générations, à mesure qu'elles entrent dans la vie, doit trouver les biens de la vie également accessibles, et en jouir à son tour comme ses prédécesseurs.

» Donc il faut détruire l'appropriation spéciale et perpétuelle des biens qui donnent le bonheur, et des moyens de se procurer ces biens, pour en assurer la jouissance universelle et l'égale répartition entre tous les hommes et toutes les générations d'hommes (1). »

Mais comment amener ce résultat ?

Comment opérer cette répartition nouvelle des produits du sol et des richesses créées par le génie de l'homme?

Comment, pour nous servir du langage sociétaire, faire participer l'Espèce aux jouissances du capital naturel et du capital créé?

(1) Guizot, De la Démocratie en Europe, chap. IV.

Ici les systèmes les plus divers, les plus opposés, surgissent en foule. On découvre avec étonnement une lutte acharnée parmi cette multitude de publicistes qui se vantent tous d'avoir trouvé le secret de ramener le bonheur, l'harmonie et la paix sur la terre désolée.

Les uns proscrivent la propriété individuelle; les autres rejettent la famille et proclament la liberté des amours; une troisième secte, renchérissant sur les deux autres, enveloppe la famille et la propriété dans un anathème commun; une quatrième école nie Dieu, et avec Dieu tout droit, tout devoir, toute loi morale, pour aller se perdre dans un fatalisme stupide. Cent systèmes contradictoires se présentent à la fois et se disputent les préférences du prolétaire.

Il ne faut donc pas chercher dans le socialisme contemporain le produit d'un système nettement tranché. Assemblage d'idées hétérogènes et de principes contraires, les discours et les livres de ses partisans présentent le spectacle d'une confusion étrange, à tel point qu'un de ses plus fervents adeptes a cru devoir le définir : Une réunion de doctrines plus ou moins complètes et en dissidence sur plusieurs points très-graves (1).

Sur le terrain de l'histoire, la diversité est moins sensible. Guidés par la haine qu'ils ont vouée à la propriété individuelle, les chefs de toutes les écoles doivent se rencontrer dans l'appréciation des doctrines et des institutions du passé. Les uns s'efforcent de prouver que le communisme a fait le bonheur des peuples qui l'ont admis pour base de leurs institutions. Les autres, en vue de démontrer que le chrétien sincère doit se jeter dans les voies du socialisme, affirment que JésusChrist et les apôtres ont prêché la communauté des biens, comme dogme religieux et social. Une troisième catégorie de publicistes, remontant de siècle en siècle, s'empare des doc

(1) V. Hennequin.

trines et des choses qui lui semblent prouver que la propriété et l'individualisme n'ont jamais produit que l'abrutissement et la misère des masses. Mais toutes ces pérégrinations historiques conduisent à une conclusion uniforme : la condamnation de la société moderne, la flétrissure de la civilisation chrétienne.

Parmi les nombreux enseignements qui ressortent des œuvres de la propagande anti-sociale des quatre dernières années, ces excursions dans le domaine de l'histoire ne doivent pas être perdues de vue. Elles prouvent qu'il ne suffit pas de combattre les doctrines anarchiques à l'aide des armes que fournit l'économie politique. Aux lumières de la science moderne il faut ajouter les clartés du flambeau de l'histoire.

Ce n'est pas à dire que, dans l'étude du problème social, le rôle qui convient à l'histoire doive être exagéré.

Si tel régime, telle institution, telle coutume, telles lois, ont fait la puissance et la gloire d'un peuple, il ne s'ensuit pas que des coutumes, des lois et des institutions identiques doivent produire le même résultat en d'autres lieux et à d'autres époques. Si telle organisation sociale a causé le malheur et la honte d'une nation généreuse, il n'en résulte pas davantage que cette organisation soit destinée à devenir, partout ailleurs, une source de luttes intestines, un élément d'anarchie et de ruine. Il ne suffit pas même qu'une institution ait été admise par tous les peuples civilisés et qu'elle se soit maintenue pendant une longue série de siècles : quelque attention que mérite un tel phénomène, il ne prouve pas à lui seul l'excellence de l'institution qui l'a produit.

L'esclavage souillait toutes les sociétés antiques; depuis les chênes des Gaules jusqu'aux palmiers de l'Inde, une partie de l'humanité se trouvait assimilée aux bêtes de somme : en résulte-t-il que l'esclavage soit chose excellente en soi?

Grâce aux supplices inventés par une aristocratie jalouse;

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