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On ne comprend pas que l'université de France puisse laisser aux mains de la jeunesse un Précis historique où l'on trouve les lignes suivantes : « Cette législation (de Sparte) » était admirable. Tous les hommes étaient égaux entre > eux ; ils mangeaient à des tables publiques, ne possédaient > aucune propriété particulière; tous les biens étaient en >> commun (1). »

niennes ne date pas des temps modernes : elle remonte à l'antiquité. En effet, si nous trouvons des éloges dans les écrits de Xénophon, de Plutarque, de Polybe et de Strabon, il s'en fallait de beaucoup que l'opinion de ces auteurs fût celle de l'antiquité tout entière. En voici quelques preuves. « Je ne >> m'étonne pas, disait Alcibiade, que les Spartiates sachent mourir, puis» qu'ils n'ont aucun motif d'aimer la vie à laquelle ils sont condamnés » (Ælian. Var. Hist. XIII, 38 ). » Isocrate, dans son éloge de Busiris, soutient que les hommes mourraient de faim ou se détruiraient les uns les autres, si la paresse et la cupidité des Spartiates devenaient des habitudes universelles (Orat. att., T. II, p. 252, I, 20). Platon lui-même qui, dans son traité de la République, a fait tant d'emprunts à la législation de Lycurgue, critique vivement le système ( Rép., Liv. VIII, Lois, Liv. I). Mais toutes les critiques ont été dépassées par Aristote ( Pol. Liv. II, c. VI et VII ). En cette circonstance, le génie du philosophe se manifeste avec d'autant plus d'éclat que les idées de ses contemporains sur la liberté individuelle et la félicité publique tendaient toutes, plus ou moins, vers l'idéal conçu par Lycurgue.

Le courage guerrier des Spartiates n'était pas non plus universellement reconnu. Flavius-Josèphe les accuse de lâcheté, et il justifie son reproche (C. Appion. II. 31 fin). Leur conduite à la bataille de Leuctres n'est pas de nature à infirmer l'opinion de l'historien juif (V. Plut., Agesilas, 30 ).

(1) Précis de l'histoire de tous les peuples, à l'usage des colléges et des maisons d'éducation de l'un et de l'autre sexe, par M. F. D***, maître de pension, t. Ier, p. 45.

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Plagiats commis par les communistes contemporains.-Bases de l'ordre social indiquées par Platon. Le livre de la République. Division des citoyens par classes.

Ville modèle.

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Maintien de l'esclavage. Mariage et famille. - Éducation identique pour les deux sexes. Avortement obligatoire. Le livre des Lois. - Jugement sur Platon.

Lorsque naguère les rédacteurs de l'Humanitaire (1) injuriaient M. Cabet, parce que le patriarche de l'Icarie refusait d'admettre à la fois la communauté des biens et celle des femmes, ils ne se doutaient pas que, plus de deux mille ans auparavant, un philosophe grec avait audacieusement marché dans la carrière qu'ils croyaient avoir les premiers ouverte (2).

(1) V. le Chap. consacré au XIXe siècle.

(2) Pour saisir la portée réelle des théories de Platon, il faut se rappeler que la Grèce ancienne connaissait tous les sophismes, tous les rêves des novateurs du dix-neuvième siècle. La fameuse définition de Proudhon : la propriété c'est le vol, se trouve déjà dans un poëte de l'Attique. Dans l'Assemblée des femmes d'Aristophane ('Exxλtrážova) figure le dialogue suivant :

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Blepyrus.

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Les propriétaires sont des voleurs. — Praxagora. Oui, dans le système actuel; mais, dans le système communautaire, comme il n'y aura plus de propriétaires, il n'y aura plus de voleurs. — Blepyrus. Com

T. I.

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En effet, de même que M. Cabet l'a fait dans son exil de Londres, Platon, à l'époque la plus brillante de la civilisation grecque, s'était un jour posé les questions suivantes :

ment cela? - Praxagora. Que volerait-on? Tout sera commun. - Blepyrus. Pourtant, si l'on venait à me dépouiller, la nuit?... - Praxagora. Dans ce cas, vous n'auriez qu'un parti à prendre; ce serait de céder vos habits de bonne grâce; on vous en donnerait de meilleurs sur le fonds commun. >> Les doctrines icariennes et communautaires étaient donc parfaitement connues du public d'Athènes. Le Phalanstère lui-même à l'exception du nom avait été mis en avant. On en trouve encore la preuve dans l'Assemblée des femmes.

Le poëte fait dire au principal personnage de sa comédie: «Je veux faire de la ville une seule et même habitation, où tout se tiendra, de sorte que l'on passera librement de l'un chez l'autre. Les tribunaux et les portiques deviendront autant de salles à manger. Je placerai sur la tribune aux harangues les cratères et les amphores. De beaux garçons, de belles jeunes filles chanteront la gloire des braves et l'opprobre des lâches, pour que ceux-ci s'éloignent du festin. Je mettrai sur la place publique les urnes du vote universel, et je tirerai au sort tous les noms jusqu'à ce que chacun sache à quelle lettre le sort l'envoie dîner ce jour-là. Chacun aura de tout en abondance. Convives, hâtez-vous. Les tables sont prêtes et chargées de mets exquis. Les lits sont couverts de tapis; les parfumeuses remplissent les coupes et les rangent en ordre. On fait griller le poisson, on met les lièvres à la broche, on pétrit les gâteaux, on apprête les friandises. Au milieu des jeunes filles, Smous, le débauché, essuie la vaisselle, et Gérès, l'amant des vieilles femmes, en tunique fine et bien chaussé, pose les mets sur la table. Allons, convives! jouez des mâchoires. Vous vous retirerez ivres avec vos torches et vos couronnes. Les femmes iront au devant de vous au sortir de table, riant, chantant, et vous disant : Venez! » N'est-ce pas l'idée-mère de la théorie de Fourier? la source de toutes les merveilles de la vie harmonienne?

Mais voici les promesses pompeuses que M. Cabet répétera aux communistes du dix-neuvième siècle :

Quel est le gouvernement le plus parfait ? Quel est le régime le plus moral? Quelle est l'organisation sociale la mieux appropriée à la nature de l'homme, la plus propre à le rendre heureux et sage dans sa carrière terrestre ?

Or, voici la solution que le divin Platon crut devoir donner au problème. Elle prouve que les communistes les plus avancés de notre temps ne sont, hélas! que de timides plagiaires.

« L'État, le gouvernement et les lois qu'il faut mettre > au premier rang, dit le philosophe, sont ceux où l'on > pratique le plus à la lettre, dans toutes les parties de la › vie sociale, l'ancien proverbe qui dit qu'entre amis tout » est véritablement commun. Quelque part donc que cela se › réalise ou doive se réaliser un jour, que les femmes soient > communes, les enfants communs, les biens de toute es› pèce communs, et qu'on apporte tous les soins imagina› bles pour retrancher du commerce de la vie jusqu'au nom » même de propriété; de sorte que les choses mêmes que » la nature a données en propre à chaque homme devien

Praxagora: « Je déclare d'abord que tous les biens doivent être en commun, et que chacun doit avoir sa part pour vivre. Il ne faut pas que l'un possède de vastes domaines et que l'autre n'ait pas de quoi se faire enterrer; je veux pour tous la même vie, la même nourriture... - Blepyrus. Tous mangeront dans le même pot? - Praxagora. Tous auront droit à tout. Tout appartiendra à tous: terres, argent, pain, salaisons, gâteaux, tuniques, vin, couronnes, pois chiches, etc. Quiconque n'apportera pas ses biens à la masse sera parjure. Par Vénus! heureuse la république avec ce système-là! Plus de faux témoignages! plus de délations! On ne portera plus envie à son voisin! Plus de misère! plus de querelles! plus de débiteurs et plus de créanciers ! Blepyrus. Par Neptune ! Voilà de belles promesses!» (V. Moreau-Christophe, Solution du problème de la Misère, T. I, p. 300 et s.)

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» nent en quelque sorte communes à tous autant qu'il se » pourra... En un mot, partout où les lois viseront de tout > leur pouvoir à rendre l'État parfaitement un, on peut > assurer que là est le comble de la vertu politique... Il ne > faut pas chercher ailleurs le modèle d'un gouvernement; > mais on doit s'attacher à celui-là et en approcher le plus » qu'il sera possible (1). »

Deux livres de Platon, la République et les Lois, ont été consacrés au développement de ces idées. Les plans dont le philosophe grec propose l'adoption, les mesures qu'il indique, les lois qu'il vante, les habitudes qu'il préconise, en un mot, toutes ses idées et tous ses projets sont manifestement inapplicables aux sociétés modernes. Comme tous les législateurs de sa patrie, Platon ne concevait pas l'État en dehors de la commune (2); comme eux encore, il croyait de bonne foi que l'esclavage était la condition essentielle, la base indispensable de tout ordre social. Il n'a pas un seul instant entrevu la possibilité de l'existence d'une population nombreuse, entièrement composée d'hommes libres et répartie dans un nombre déterminé de communes jouissant de droits identiques. Le traité de la République et le livre des Lois méritent cependant d'être, aujourd'hui encore,

(1) Les Lois, liv. V., trad. de M. Cousin, T. VII, p. 281 et s. Les idées de Platon, ainsi que nous le verrons plus loin, ont servi de base à toutes les utopies modernes.

(2) Le comte de Maistre a parfaitement saisi ce trait caractéristique du génie grec. «Un caractère particulier de la Grèce, dit-il, et qui la distingue, je crois, de toutes les nations du monde, c'est l'inaptitude à toute grande association politique ou morale. Les Grecs n'eurent jamais l'honneur d'être un peuple. L'histoire ne nous montre chez eux que des bourgades souveraines qui s'égorgent et que rien ne put jamais amalgamer (Du Pape, L. IV, Ch. IX, T. II, p. 40, éd. de Mat, 1844 ). »

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