Page images
PDF
EPUB

:

» Il a le premier prédit la chute des Empires et des » Monarchies il a dit que l'Europe avait vieilli, et que » ces grands corps, prêts à se heurter, allaient s'écrouler » comme ces morts antiques qui s'affaissent sous le poids » des siècles.

» Politique sublime, mais toujours sage et bienfaisant, » la bonté a fait la base de sa législation; il a dit que, › dans les violentes agitations, il faut nous défier de nous» mêmes, que l'on n'est point juste si l'on n'est point » humain, et que quiconque est plus sévère que la loi est » un tyran.

» Le germe de ses écrits immortels est dans cette maxime: » que la raison nous trompe plus souvent que la nature. Fort › de ce principe, il a combattu le préjugé; il a ramené la » nature égarée; et à la voix de Rousseau, le lait de la » mère a coulé sur les lèvres de l'enfance.

» Enfin, comme si Rousseau eut été l'ange de la liberté, » et que toutes les chaînes eussent dû tomber devant lui, » il a brisé les langes de l'enfance; et, à sa voix, l'homme » a été libre depuis le berceau jusqu'au cercueil.

» Citoyens, le héros de tant de vertus devait en être le » martyr.

» Rousseau a vécu dans la pauvreté, et son exemple >> nous apprend qu'il n'appartient point à la fortune, ni de » donner, ni de ravir la véritable grandeur.

» Sa vie aura une époque dans les fastes de la vertu, et » ce jour, ces honneurs, cette apothéose, ce concours de > tout un peuple, cette pompe triomphale, tout annonce » que la Convention nationale veut acquitter à la fois, » envers le philosophe de la nature, et la dette du Fran» çais, et la reconnaissance de l'humanité (1). »

(1) Marie-Joseph Chénier avait composé un hymne pour la cérémonie. J'emprunte les strophes suivantes au Moniteur du 20 Vendémiaire :

Les vieillards et les mères de famille.

« Toi, qui d'Emile et de Sophie

Dessinas les traits ingénus,

Qui de la nature avilie
Rétablis les droits méconnus;

Éclaire nos fils et nos filles,

Forme aux vertus leurs jeunes cœurs,

Et rends heureuses nos familles

Par l'amour des lois et des mœurs. >>

Le chœur.

«< 0 Rousseau! modèle des sages,

Bienfaiteur de l'Humanité,

D'un peuple fier et libre accepte les hommages, Et du fond du tombeau soutiens l'égalité. »>

Les représentants du peuple.

« Ta main de la terre captive

Brisant les fers longtemps sacrés,

De sa liberté primitive

Trouva les titres égarés;

Le peuple, s'armant de la foudre

Et de ce contrat solennel,

Sur les débris des rois en poudre

A posé son trône éternel. >>

Les jeunes gens.
Combats toujours la tyrannie,
Que fait trembler ton souvenir;
La mort n'atteint pas ton génie,
Ce flambeau luit pour l'avenir.
Ses clartés pures et fécondes
Ont ranimé la terre en deuil;

Et la France, au nom des deux mondes,

Répand des fleurs sur ton cercueil ! >>

F.

CONSPIRATION DE BABOEUF

(Supplément au chap. VIII.)

I.

BUONAROTTI EN BELGIQUE.

Ayant réussi à se soustraire aux recherches de la police du Directoire, Buonarotti, l'historien de la secte des Égaux et l'un des principaux complices de Babœuf, avait fini, après de longues pérégrinations, par trouver un asile en Belgique. Une personne honorable, qui a particulièrement connu le personnage, a bien voulu me communiquer, sur son séjour dans notre pays, quelques détails précis qu'on lira avec intérêt.

Buo

A la fin de 1829 ou au commencement de 1850, narotti vint s'établir à Glimes, près de Jodoigne. Sortant rarement de sa retraite, il entretenait néanmoins une correspondance suivie avec les républicains français et belges. On a remarqué que ceux-ci lui faisaient souvent des envois d'argent. Des personnes qui l'ont connu à Glimes affirment même, de la manière la plus positive, que Buonarotti a été plus d'une fois informé d'avance des attentats dirigés contre la vie du roi Louis-Philippe.

Quand, à de longs intervalles, ce communiste incorrigible sortait de sa retraite, il se plaisait à faire de la propagande égalitaire auprès de tous ceux qu'il connaissait, et plus d'une fois il réussit à endoctriner des personnes simples. Un jour,

il s'avisa même de s'adresser au curé du village; mais ce respectable prêtre, aussi instruit que modeste, lui répondit par les paroles du Psalmiste (psaume 140): Corripiet me justus in misericordia et increpabit me; oleum autem peccatoris non impinguet caput meum. Buonarotti comprit la leçon il ne s'adressa plus au curé; mais, dès ce moment, il s'attacha à combattre son influence morale dans la commune, en le dépeignant comme un homme astucieux et dangereux.

:

Peu de temps après, Buonarotti poussa quelques habitants de Glimes à demander le partage des biens communaux. N'ayant pas réussi dans cette tentative, il s'en vengea en accusant les notabilités du village de s'être frauduleusement emparées de certaines terres communales au détriment du peuple. Ce fut son dernier exploit. Il mourut le 17 septembre 1835. Au commencement de son agonie, il avait réclamé les consolations de la religion; malheureusement, le curé de la commune, qui s'était empressé d'accourir, ne trouva plus qu'un cadavre. L'année précédente, Buonarotti avait publié à Namur, sous le pseudonyme, une brochure intitulée : La Conférence de Londres et les vingt-quatre articles.

On ignore pour quel motif l'historien des Égaux avait eu soin de changer de nom en arrivant à Glimes. Toujours est-il que Buonarotti s'était fait inscrire au registre de la population sous le nom de Jean-Alexandre de Civilis, né à Ferrare. Il semble même que ce déguisement ne lui suffisait pas, puisque, dans les environs de Jodoigne, il se faisait nommer M. Pisard (Pisan?).

Son acte de décès le désigne sous le nom de Civilis. Comme il s'agit d'un personnage historique, dont les dernières années sont peu connues, il n'est peut-être pas inutile de reproduire ce document. L'acte est conçu dans les termes suivants :

« L'an mil huit cent trente-cinq, le dix-sept du mois de septembre, à six heures du matin, par-devant nous Jean-Joseph Naniot, officier de l'état civil de la commune de Glimes, sont comparus Hubert-Joseph Anciaux, âgé de septante-trois ans, profession de propriétaire, domicilié à Glimes, non parent du défunt, et Joseph Herson, âgé de cinquante ans, profession de farinier, domicilié à Glimes, non parent du défunt, lesquels nous ont déclaré que, cejourd'hui à trois heures du matin, est décédé en la demeure du premier comparant, audit Glimes, un individu se disant JEAN-ALEXANDRE DE CIVILIS, de Ferrare en Italie, âgé d'environ soixante ans ; et ont les déclarants signé avec nous le présent acte, après que lecture leur en a été faite. (Signé) H.-J. Anciaux, Herson et J.-J. Naniot, Btre. »

J'ai quelques raisons de croire que, sous le gouvernement hollandais, Buonarotti avait cherché à jouer un rôle dans le mouvement national qui agitait alors la Belgique. Si mes souvenirs sont fidèles, son nom se trouve cité dans la correspondance de MM. Tielemans et de Potter, publiée par l'administration néerlandaise.

On sait que ce fut en 1829 que Buonarotti, alors réfugié à Bruxelles, publia l'histoire dont j'ai cité le titre (p. 322). La préface du livre, tout en révélant une circonstance curieuse, prouve que ce n'est pas sans raison que j'ai donné à l'auteur la qualification de communiste incorrigible. Après un exil de trente ans, l'ami de Babœuf avait conservé toutes les passions démocratiques, toutes les illusions de sa jeunesse. « Je n'ignore pas, dit-il dans la préface, que les principes politiques et économiques que j'ai dû exposer rencontreront beaucoup de désapprobation; mais ce n'est pas une raison pour ne pas les publier: tant d'autres prétendues erreurs sont devenues des vérités incontestables! N'estil pas d'ailleurs des hommes qui ne se laissent pas éblouir

« PreviousContinue »