Page images
PDF
EPUB

Non, partout où la vie religieuse se manifeste d'une manière plus ou moins apparente, elle exige une abnégation personnelle exclusive du socialisme.

CHAPITRE IV.

LES SECTES RELIGIEUSES ET PHILOSOPHIQUES ANTÉRIEURES
A LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN.

[blocks in formation]
[ocr errors]

Doctrine sociale des

Les Nicolaïtes et les Péla

Les Néopythagoriciens et les

Néoplatoniciens. École de Plotin. L'idée de la communauté

se manifeste sous toutes ses formes. chrétienne.

- Doctrine sociale de l'Église

Dans la plupart des sociétés antiques de l'Orient, une barrière infranchissable s'élevait entre les croyances du peuple et celles des sages. Les Mystères du sanctuaire étaient dérobés aux regards de la foule. Partout on rencontrait la distinction entre la science vulgaire, mise à la portée de tous, et la science supérieure, communiquée au philosophe et au prêtre sous le voile mystérieux de l'initiation.

Le christianisme repoussa ces distinctions odieuses. Re- " ligion universelle, culte de tous les peuples et de tous les âges, il proclama l'égalité de tous les hommes devant Dieu, Les riches et les pauvres, les savants et les ignorants, les Grecs et les Barbares furent placés sur la même ligne, et tous reçurent dans les temples, désormais sans mystères, les mêmes préceptes, la même foi, le même enseignement.

Ce niveau religieux blessa l'orgueil de quelques sages de l'Orient nouvellement convertis à l'Évangile. Élevés dans les traditions des sanctuaires et des écoles du paganisme, ils résolurent de transporter dans le christianisme la ligne de démarcation entre la doctrine secrète (ésotérique) réservée aux intelligences d'élite, et l'enseignement vulgaire (exotérique) destiné au peuple. Les doctrines de Pythagore, de Platon et de Philon, la théogonie et les préceptes du Zend-Avesta, les superstitions de l'Égypte antique, les traditions mystérieuses de la kabbale (1), mêlés et confondus de mille manières, constituèrent pour ces prétendus sages une science privilégiée, une connaissance par excellence. De là leur nom de Gnostiques (2).

Les apôtres vivaient encore lorsque les disciples de Simon (le magicien), sous prétexte que le sage devait se placer au-dessus des lois d'une religion vulgaire, ensei

(1) École d'origine chaldéenne, qui revendiquait l'art de connaître et d'expliquer l'essence et les opérations de l'Être suprême, des puissances spirituelles et des forces naturelles, et de déterminer leur action par des figures symboliques, par l'arrangement de l'alphabet, par la combinaison des nombres, par le renversement des lettres de l'écriture, etc. ( Voy. Pluquet, Dict. des hérésies, vo Kabbale).

(2) De yvãois, connaissance; yvworízos, savant, éclairé, illuminé. Dans ces dernières années, des recherches considérables ont été faites sur la doctrine des écoles du gnosticisme. En France, Matter, De Gérando, Vacherot et plusieurs autres; en Allemagne, Munter, Lewald, Neander, Hahn, Fuldner, Genesius, Hamacker, Bellerman, etc., ont publié sur les gnostiques des écrits qui se distinguent par une érudition remarquable, mais dans lesquels se manifestent trop souvent des préjugés antichrétiens, qu'une étude plus approfondie des sources de la doctrine catholique eût fait disparaître. Déjà la réaction se manifeste en France (V. Une Étude sur la sophistique contemporaine, ou Lettre à M. Vacherot, etc., par l'abbé Gratry).

T. I.

18

gnaient déjà l'impeccabilité que les Anabaptistes ont professée au xvi° siècle, et que M. Owen, sous le nom d'irresponsabilité, a renouvelée dans le nôtre. A leurs yeux, il n'y avait ni moralité ni immoralité dans l'acte extérieur (1). A leur avis, les lois religieuses et civiles ne renfermaient que des règles arbitraires, des préceptes irrationnels, auxquels l'homme éclairé devait substituer les lois attrayantes de la nature. « Il n'y a rien de si impur, dit l'historien > ecclésiastique Eusèbe, et l'on ne peut rien concevoir de si » criminel que la secte des Simoniens n'ait dépassé (2).

Ce germe devait porter ses fruits; cette doctrine commode devait trouver d'innombrables partisans au sein du scepticisme et de la corruption qui régnaient à cette époque. Aussi voyons-nous, dès le commencement du 11° siècle, un philosophe d'Alexandrie, Carpocrate, pousser la doctrine à ses dernières conséquences, en prêchant la communauté des biens et des femmes, comme une suite nécessaire de la loi naturelle. Réduisant le Christ au rôle d'un prophète ordinaire, mêlant les maximes de Zoroastre, de Pythagore, d'Aristote et de Platon aux doctrines de l'Évangile, Carpocrate devint le chef d'une école semi-chrétienne, semipaïenne, qui faisait consister la vertu dans le mépris de toutes les lois divines et humaines qui entravent la libre manifestation des passions. Devançant Fourier de dix-huit siècles, Carpocrate disait que, pour les hommes initiés à la vraie sagesse, le plaisir et l'attrait se confondent avec le devoir et la vertu. « La nature, s'écriait-il, révèle la com» munauté et l'unité de toutes choses: la communauté est » la loi divine, à laquelle toutes les lois humaines doivent » être subordonnées. Les lois humaines qui s'opposent à la > mise en commun du sol, des biens de la vie et des femmes,

(1) Voy. saint Irénée, liv. I, c. 20. —(2) Hist. eccl., liv. II, c. 13.

> constituent autant d'infractions coupables à l'ordre légi> time des choses, autant de violations manifestes de la loi » naturelle. » La satisfaction des passions devint le sujet d'une théorie analogue. Selon lui, les passions nous étant données par Dieu, il fallait suivre leur impulsion sous peine de méconnaître les ordres du Créateur (1).

Ainsi qu'on devait s'y attendre, ces principes passèrent bientôt de la théorie à l'application. Carpocrate obtint des disciples. En Égypte, dans la Cyrénaïque et en Syrie, on vit surgir des conciliabules mystérieux, où le communisme le plus absolu s'alliait à la promiscuité la plus honteuse. Épiphane, fils de Carpocrate, continua l'œuvre paternelle avec tant de succès que les habitants de Samé, ville de Céphalonie, l'honorèrent d'une statue et lui rendirent, après sa mort, les honneurs divins. Il définissait la justice. de Dieu une communauté avec égalité. « Le soleil, disait-il, » se lève également pour tous les animaux; la terre offre > indistinctement à tous ses habitants ses productions et > ses bienfaits; tous peuvent également satisfaire leurs be» soins; tous sont appelés au même bonheur. Tous les êtres » qui respirent sur la terre forment une grande famille, aux > besoins de laquelle l'auteur de la nature a abondamment » pourvu. C'est l'ignorance, ce sont les passions, qui, en › rompant cette égalité, et cette communauté, ont introduit » le mal dans le monde. Les idées de propriété, de posses»sion exclusive n'entrent point dans les plans de l'Intelli» gence suprême, elles sont l'ouvrage des hommes (2). » Une multitude de sectes, différentes de nom, mais identiques dans leurs doctrines sociales (Antitactes, Borboniens,

(1) Clément d'Alexandrie, Strom. III.

(2) Pluquet, Dict. des hérésies, vo Épiphane. — Clément d'Alexandrie, Strom. L. III, 2.

« PreviousContinue »