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soin. Un royaume comme la France, un royaume de vingt-cinq mille lieues carrées, un royaume de vingt-six millions d'habitans, divisés par des habitudes et par des mœurs différentes, ne peut pas être réuni sous le joug des lois sans une puissance active et toujours vigilante. Ainsi, c'est au nom de la prospérité de l'état, c'est au nom de la tranquillité publique, c'est au nom du bonheur particulier du peuple, c'est au nom de la liberté dont vous êtes si honorablement jaloux, que vous êtes intéressés, messieurs, à défendre la majesté du trône; et rien ne l'altéreroit plus que la nécessité où vous voudriez mettre le souverain d'être l'exécuteur des lois qu'il paroîtroit avoir désapprouvées. Ah! qu'une parfaite harmonie est nécessaire entre toutes les forces appelées à veiller sur le destin d'un empire! L'histoire nous apprend que la supériorité de puissance ne peut seule consolider une constitution, parce que cette supériorité est soumise à des révolutions. La constitution de l'Angleterre, défendue par des circonstances qui lui sont particulières, n'eût jamais pu se soutenir sans l'amour commun de la patrie; et cet amour commun n'est dû qu'au contentement égal du roi, des grands et du peuple : c'est ce contentement qu'on doit entretenir par de prudentes dispositions; et pour y réussir, il

faut, par un effort, se séparer quelquefois des souvenirs et des impressions du moment, pour se transporter au loin, à ces temps de calme et d'impartialité où l'on ne prise que la raison, la sagesse et l'équité générale.

L'Europe entière, messieurs, a les yeux attachés sur vous; vos mouvemens généreux, votre patriotisme, vos lumières, offrent un spectacle intéressant pour toutes les nations, et la France attend de vous sa gloire et son bonheur. Ne mettez pas au hasard ces précieuses espérances par un esprit de désunion, effet naturel de toute espèce d'exagération dans les opinions. Le bien que vous pouvez faire me paroît sans mesure; mais c'est par de la modération que vous le rendrez stable, c'est là seul qu'est la force, c'est là seul que se trouvent l'accord et la réunion de tous les moyens qui peuvent concourir à la prospérité d'un état. Pardonnez, messieurs, à mon amour inquiet, si j'ose vous rappeler à ces idées; j'attache mon bonheur à vos succès, et je ne sais pourquoi j'y place encore ma gloire; mais il est vrai cependant que toutes sortes de sentimens m'unissent à vos travaux, et qu'au moment où la France en deuil renonceroit à ses hautes perspectives, accablé de la même tristesse, j'irois cacher au loin ma douleur et mes regrets.

LETTRE DU ROI à l'assemblée nationale.

Versailles, le 18 septembre 1789.

SUR LES DÉCRETS DU 4 AOUT ET JOURS SUIVANS.

Vous m'avez demandé, messieurs, de revêtir de ma sanction les articles arrêtés par votre assemblée, le 4 du mois dernier, et qui ont été rédigés dans les séances suivantes. Plusieurs de ces articles ne sont que le texte des lois dont l'assemblée nationale a dessein de s'occuper, et la convenance ou la perfection de ces dernières dépendra nécessairement de la manière dont les dispositions subséquentes que vous annoncez, pourront être remplies: ainsi, en approuvant l'esprit général de vos déterminations, il est cependant un petit nombre d'articles auxquels je ne pourrois donner en ce moment qu'une adhésion conditionnelle; mais comme je désire de répondre, autant qu'il est possible, à la demande de l'assemblée nationale, et que je veux mettre la plus grande franchise dans mes relations avec elle, je vais lui faire connoître le résultat de mes premières réflexions, et de celles de mon conseil. Je modifierai mes opinions, j'y renoncerai même sans peine, si les observations de l'assemblée nationale m'y engagent, puisque je ne m'éloignerai jamais qu'à regret de sa manière de voir et de penser.

Sur l'article 1, relatif aux droits féodaux.

:

J'ai donné le premier exemple des principes généraux adoptés par l'assemblée nationale, lorsqu'en 1779 j'ai détruit, sans exiger aucune compensation, les droits de mainmorte dans l'étendue de mes domaines; je crois donc que la suppression de tous les assujettissemens. qui dégradent la dignité de l'homme peuvent être abolis sans indemnités; les lumières du siècle présent, et les mœurs de la nation françoise doivent absoudre de l'illégalité qu'on pourroit apercevoir encore dans cette disposition mais il est des redevances personnelles qui, sans participer à ce caractère, sans porter aucun sceau d'humiliation, sont d'une utilité importante pour tous les propriétaires de terres. Ne seroit-ce pas aller bien loin, que de les abolir aussi sans aucune indemnité? et vous opposeriez-vous à placer le dédommagement qui seroit jugé légitime, au rang des charges de l'état? Un affranchissement qui deviendroit l'effet d'un sacrifice national, ajouteroit au mérite de la délibération de l'assemblée. Enfin, il est des devoirs personnels qui ont été convertis dès long-temps, et souvent depuis des siècles, en une redevance pécuniaire il me semble qu'on peut encore moins, avec justice, abolir sans indemnité de pareilles redevan

ces; elles sont fixées par des contrats ou des usages anciens; elles forment depuis longtemps des propriétés transmissibles, vendues et achetées de bonne foi; et comme la première origine de ces redevances se trouve souvent confondue avec d'autres titres de possession, on introduiroit une inquisition embarrassante, si on vouloit les distinguer des autres rentes seigneuriales. Il seroit donc juste et raisonnable de ranger ces sortes de redevances dans le nombre de celles que l'assemblée a déclarées rachetables, au gré de ceux qui y sont assujettis.

J'offre ces premières réflexions à la considération de l'assemblée nationale ce qui m'importe, ce qui m'intéresse, c'est de concilier autant qu'il est possible le soulagement de la partie la moins fortunée de mes sujets, avec les règles de la justice.

Je ne dois pas négliger de faire observer à l'assemblée nationale, que l'ensemble des dispositions applicables à la question présente, est d'autant plus digne de réflexions, que dans le nombre des droits seigneuriaux dont l'assemblée voudroit déterminer l'abolition sans aucune indemnité, il en est qui appartiennent à des princes étrangers qui ont de grandes possessions en Alsace; ils en jouissent sous la foi et la garantie des traités les plus solennels; et

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