Page images
PDF
EPUB

il faut que le véto, il faut que le refus de la sanction royale ne paroisse pas une entreprise hardie, et que les malveillans puissent présenter chaque fois comme l'exercice d'une autorité dangereuse; il faut surtout que le refus de cette sanction n'engage en aucune circonstance les représentans de la nation à déployer toutes les forces dont ils peuvent faire usage, telles que les mouvemens et les pétitions populaires, le renouvellement tardif des impôts, et tant d'autres moyens d'embarrasser ou de discréditer l'administration.

Et puisque V. M. veut le bien de la nation avec une telle sincérité, qu'elle autorise toutes les réflexions qui peuvent y tendre, je la prie de permettre, qu'après lui avoir présenté les inconvéniens qui naîtront du véto absolu sous des ministres foibles, je soumette à sa considération ceux qui pourroient être produits

par

des ministres d'un esprit différent. Ils auroient entre leurs mains un moyen d'exciter de nouveaux troubles; car, en se tenant simplement aux termes du droit, ils n'auroient qu'à porter le monarque à faire usage plusieurs fois de son véto absolu, pour occasionner une grande fermentation; et comme, l'autorité une fois engagée, on croit qu'il importe à la dignité de cette autorité de ne point reculer, les ministres enclins à ramener le désordre dans le

royaume auroient un moyen d'autant plus dangereux, qu'extérieurement il paroîtroit dériver du simple exercice d'un droit légitime..

On dira peut-être que le roi, en jouissant de la faculté d'opposer un véto absolu aux délibérations législatives de l'assemblée nationale, ne seroit pas obligé d'en faire usage. d'une manière indéfinie, et que de lui-même il pourroit y mettre un terme, et accéder, après de nouveaux éclaircissemens, aux lois qu'il auroit d'abord rejetées. Cette observation est juste, mais l'inquiétude seroit la même au premier usage que feroit le gouvernement d'un semblable véto, parce que son terme seroit inconnu, et que les députés à l'assemblée nationale apercevroient bien que s'ils ne s'élevoient pas sur-le-champ contre l'exercice d'un véto légalement indéfini, ils n'auroient plus au bout d'un certain temps les mêmes les mêmes moyens, parce que la première ardeur des esprits, toujours la plus redoutable, s'affoibliroit insensiblement.

Que l'on fasse attention à tous les raisonnemens dont on se sert pour tranquilliser sur l'usage d'un véto indéfini, et l'on verra qu'ils sont tirés généralement, et de l'invraisemblance que le gouvernement osât jamais résister au vœu national, et de l'exposition de tous les moyens qu'on auroit pour l'obliger à res

pecter ce vou. Mais ce rapport entre le souverain et la nation, ce rapport où la déférence de l'un seroit l'effet de la crainte, et où la force de l'autre consisteroit dans l'action inconsidérée de tous ses moyens, un tel rapport est-il préférable à une règle positive, qui ménageroit au souverain la faculté de s'opposer efficacement et sans convulsion, aux lois qui lui paroîtroient contraires au bien public? On se ligueroit, on cabaleroit, ajoutera-t-on, pour obtenir, après la révolution de deux législatures, la sanction du monarque; mais en supposant de telles manoeuvres, en supposant qu'elles durassent pendant plusieurs années, elles seroient bien moins dangereuses que les explosions ou les alarmes qui serviroient à déterminer le consentement du monarque. Il importe infiniment au bien de l'état que cette sanction soit accordée ou refusée par des motifs tirés uniquement de la nature des lois délibérées à l'assemblée nationale, et non par des calculs instantanés sur les divers dangers. attachés à contredire le vœu de cette assemblée.

On peut demander encore s'il n'y auroit pas telle loi dont la sanction ne devroit jamais être accordée par le roi; supposition qui donneroit des regrets à la privation du véto absolu et indéfini. Je crois que la chance d'une pareille loi est très-invraisemblable: un terme

de quelques années, une succession de trois élections de députés différens, suffisent pour éclairer les opinions sur le véritable bien de l'état, et pour mettre à l'abri de toute espèce de vœu inconsidéré de la part des députés successifs de la nation. On ne leur laissera pas, d'ailleurs, le pouvoir de remuer les pierres angulaires de l'édifice constitutionnel; c'est l'intérêt de la nation, c'est celui du prince. Mais le nombre des lois dont un royaume oppressé par d'anciens abus peut avoir besoin, est un nombre sans bornes, et il est de la plus grande importance que l'opposition plus ou moins longue du gouvernement aux délibérations qui lui paroîtroient dangereuses, puisse avoir lieu sans trouble et sans convulsion.

Le roi d'Angleterre jouit dans sa plénitude du véto absolu, mais il n'en fait point d'usage, et il n'oseroit guère se le permettre; il résulte peu d'inconvéniens de sa renonciation tacite à l'exercice de ce véto, parce que la cour des pairs veille aux intérêts de la couronne, parce que les deux chambres qui composent le parlement, se surveillent avec l'action attachée à deux intérêts distincts; parce que la nation angloise a déjà vieilli dans le gouvernement, et en possède la science; parce que la durée des parlemens, communément de sept ans, est un long cours d'instruction; parce que les

par

ministres sont presque tous membres du lement; parce que le plus prépondérant de tous, le chancelier de l'échiquier, sert au moins de premier guide pour les affaires de finance; parce que le parlement tient ses séances dans Londres, la capitale du commerce et le lieu de réunion des plus grandes connoissances, et que le parlement est journellement éclairé par ce cercle lumineux qui l'environne. Enfin, pour dernière observation, le caractère naturel de la nation angloise l'éloigne communément des délibérations hâtives et précipitées. L'effet de toutes ces circonstances particulières et de plusieurs autres, rend le vœu réuni des deux chambres du parlement tellement conforme aux intérêts de la nation, ou à l'exigence du moment, que la renonciation tacite et nécessaire à l'usage du véto royal ne nuit jamais au bien public. Mais il n'en seroit pas de même en France, où aucune des particularités que je viens de citer ne se trouve applicable. Il paroît que l'assemblée nationale ne sera composée que d'une seule chambre, jusqu'à l'époque où l'on découvrira peut-être l'inconvénient d'une pareille institution; mais si deux chambres n'avoient pas, comme en Angleterre, une destination distincte; si elles n'étoient pas séparées par quelques intérêts différens, la garantie contre les erreurs mo

« PreviousContinue »