Page images
PDF
EPUB

Le roi, messieurs, vous invite à prendre en considération les diverses réflexions contenues dans ce Mémoire.

MÉMOIRE adressé à l'assemblée nationale, le 27 août 1790, par le premier ministre des finances.

CONTRE L'ÉMISSION DE DIX-NEUF CENTS MILLIONS D'ASSIGNATS.

MESSIEURS, j'apprends que l'on doit lire ce matin à l'assemblée, au nom du comité des finances, un rapport sur la dette exigible; et si j'ai été bien informé, on propose avec prédilection pour la liquidation de cette dette, une création de dix-huit à dix-neuf cents millions de billets monnoie, qui jouiroient, ou non, d'un intérêt jusqu'à leur extinction.

J'avois fait connoître, il y a quelque temps, aux douze membres du comité des finances qui confèrent avec moi, mon sentiment trèsdécidé sur de pareils moyens de liquidation; mais le rapport dont il est question aujourd'hui ne m'a point été communiqué.

Je crois donc remplir un devoir envers l'état et envers l'assemblée nationale, en me pressant de déclarer que le ministre des finances n'a donné aucun assentiment à la proposition qui doit vous être faite, et qu'il la considère comme infiniment dangereuse.

Je crois de plus être obligé de représenter à l'assemblée, que si elle laisse le public dans l'incertitude sur l'opinion qu'elle conçoit d'une proposition de ce genre, il en pourra résulter promptement les plus funestes inconvéniens.

C'est avec une peine infinie que les marchands, les chefs de manufactures, les particuliers de tout état, trouvent le numéraire effectif dont ils ne peuvent se passer pour leurs besoins habituels; c'est avec une peine infinie que l'administration vient à leur secours par une distribution journalière, et pourvoit de plus à la solde des troupes et de la garde de Paris, à la paye des travaux des ports, à celle des ateliers de charité, aux fonds en appointemens qu'exige le service des rentes, et à d'autres dépenses qui ne peuvent être exécutées qu'en espèces effectives.

Ce n'est pas tout: tel est dans quelques provinces le resserrement du numéraire, que la ville de Bordeaux, sans un secours momentané que je lui ai fait passer, se seroit trouvée dans la plus grande détresse; circonstance remarquable et dont votre comité des finances est particulièrement instruit.

Vous avez autorisé l'administration par un décret, à faire les sacrifices nécessaires pour se procurer du numéraire effectif; mais ce décret ne lève pas toutes les difficultés : l'admi

nistration n'a que trois moyens pour se procurer de l'argent.

Le produit des impôts. On ne les paye plus qu'en assignats.

Les achats d'espèces. Moyen très-circonscrit, surtout depuis qu'on a rendu ce trafic dangereux.

Enfin, les extractions de matières d'or et d'argent de l'étranger; et cette dernière ressource est de même extrêmement limitée.

Les étrangers ne nous doivent pas, et nous leur demandons de l'argent; il est évident que cela ne peut se faire sans une circulation forcée aussi, tandis qu'il nous vient des piastres d'un côté du royaume, de l'autre il sort des écus.

J'éprouve, pour rassembler la portion de numéraire indispensable aux payemens les plus urgens, une difficulté journalière, une inquiétude très-semblable à celle qui m'a dévoré pendant les longs et pénibles jours où j'ai été obligé de lutter contre les dangers menaçans de la famine.

Cependant je ne vois encore en perspective` qu'un accroissement successif d'assignats, qu'une addition inévitable aux quatre cents millions déjà déterminés; addition nécessaire pour remplir le service de l'année, et pour commencer celui de l'autre.

Le décret qui doit fixer la répartition du remplacement de la gabelle et des autres droits que vous avez supprimés au mois de mars dernier, ce décret important n'est pas rendu.

Celui qui doit réduire les dépenses du département de la guerre ne l'est pas encore non plus.

L'accroissement de solde accordé aux soldats forme, en attendant, une charge additionnelle du trésor public.

Les fonds destinés annuellement aux pensions ont été augmentés pour l'année 1790. Vous venez de déterminer une grande augmentation d'armement.

Le produit des impôts indirects continue à s'affoiblir.

Le recouvrement des autres et le payement de la contribution patriotique éprouvent toujours en plusieurs lieux des retards.

Enfin, l'on ne voit encore que dans l'obscurité le moment où vous pourrez établir le système de l'imposition pour l'année pro-.

chaine.

Cependant, après cette fixation, combien de dispositions ne seront pas nécessaires pour entrer en recouvrement, et pour lutter contre les difficultés probables ou imprévues!

Si donc au milieu d'une pareille situation

VII.

28

des affaires, et d'une situation généralement connue, l'on peut croire un moment, je ne dis pas à la vraisemblance, mais seulement à la chance ou à la possibilité de l'introduction d'une somme immense de nouveaux assignatsmonnoie, une juste frayeur se répandra, l'argent effectif se cachera davantage, son prix s'écartera de plus en plus du pair avec les assignats; et l'on ne peut déterminer quel seroit l'effet dangereux de cette première inquiétude.

Il est impossible, en des témps devenus si extraordinaires, de trouver une solution complète à toutes les difficultés.

Quelle doit être en de telles. circonstances la marche de l'esprit? c'est de fixer son attention sur le danger le plus éminent, et de songer, avant tout, à l'écarter.

Le plus grand sans doute, et sans aucune comparaison, c'est d'introduire une somme immense de papiers-monnoie; c'est de mettre ainsi en cause dans les mécontentemens, les plaintes et les réclamations, non pas une partie quelconque de la société, mais l'universalité des citoyens ; c'est de les mettre en cause, non pas d'une manière passagère, mais chaque jour, chaque heure et à tous instans; c'est de tenir dans une continuelle inquiétude les chefs de manufactures sur les moyens de payer le salairé de leurs ouvriers, et tous les

« PreviousContinue »