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forme l'idée ? Ils ont lutté contre l'orage lorsqu'il n'étoit menaçant que pour eux; il seroit beau de chercher à le calmer lorsqu'il commence à s'étendre sur tout l'horizon; il seroit beau de prendre cette époque pour se montrer uniquement les enfans de la patrie, pour s'élever, dans un danger commun, au-dessus de toutes les considérations personnelles, et pour dominer ainsi la fortune par la seule grandeur de leur âme.

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Que l'assemblée entière excite, appelle ces nobles mouvemens, en se montrant sensible aux privations particulières. C'est une erreur. de penser que, sans mesure et sans proportion, ces privations soient également utiles à l'intérêt public; car il y a dans la composition de toutes les fédérations sociales une mise de confiance et d'affection mutuelles qui est aussi nécessaire à leur prospérité qu'aucun autre genre de contribution. N'en doutez pas, messieurs, les générations futures ne vous reprocheront point les égards que vous aurez pour les hommes du temps présent, pour ceux de vos concitoyens que vous détachez avec déchirement de leur situation passée; elles hériteront assez de vous, ces générations, elles hériteront assez de vos généreux travaux : assurez seulement la longue durée de vos bienfaits. Qu'ils arrivent à eux, s'il se peut, sans avoir coûté

trop de larmes, qu'ils arrivent à eux étayés d'une épreuve heureuse et paisible ; qu'ils arrivent à eux surtout sans être plus long-temps entachés par le sang et par la violence. Qui oseroit déterminer les équivalens de la vie d'un seul homme qui périt la victime d'une injustice? De semblables calculs n'ont point d'élémens connus, et je ne sais personne sur la terre qui ait le droit de les fixer.

Pardonnez-moi, messieurs, si, me laissant aller à mes sentimens, je me suis écarté, sans y penser, du principal sujet de ce Mémoire; mais vous l'auriez permis à l'un des membres de votre assemblée; et, lié bien autant que personne aux affaires publiques, j'ose attendre de vous la même indulgence. Je pourroist douter de votre faveur, que, venant à vous, je m'expliquerois encore avec confiance, parce qu'il n'y a dans mon cœur que sentimens de paix, de justice et d'amour véritable du bien public. Je vois d'ailleurs approcher de moi le moment où, séparé de l'administration, je n'aurai plus de rapport que par mes vœux avec le bonheur de la France; et me transportant déjà par la pensée dans ce période de la vie où l'âge et la retraite vous unissent en quelque manière à l'impartiale équité des temps à venir, je vous parle sans crainte comme sans espérance, et cette situation particulière peut

seule me rassurer contre les sentimens de timidité qui accompagnent nécessairement le respect dû à une si auguste assemblée, et le désir infini que j'aurai toujours de vous plaire.

MÉMOIRE adressé à l'assemblée nationale, le 25 juillet 1790, par le premier ministre des finances.

DÉFICIT DANS LES RESSOURCES DE 1790.

MESSIEURS, les affaires de finances, aussi long-temps que l'ordre public ne sera point rétabli, exigeront continuellement votre attention, car, jusqu'à cette heureuse et désirable époque, toutes les supputations seront soumises à des contrariétés imprévues.

Que si l'on joint à cette situation des choses, la lenteur inévitable de toutes les dispositions législatives d'une nombreuse assemblée, l'on sera moins surpris encore que de grandes difficultés se renouvellent ou se perpétuent.

Je vais appliquer ces réflexions générales à un objet particulier digne de toute votre

attention.

er

J'ai remis à l'assemblée nationale un aperçu formé le 1 mai dernier, des besoins et des ressources pendant les huit derniers mois de cette année.

Il résultoit de ce tableau, qu'au 31 décembre il devoit y avoir un excédant de onze millions. Je fis observer en même temps que cet excédant devait être considéré comme la simple représentation 'du fonds de caisse indispensable en tous les temps, et encore plus à une époque où la prudence exige de conserver soigneusement une somme quelconque en numéraire effectif, afin de se mettre en état de satisfaire aux nombreux payemens qui ne peuvent être exécutés qu'en espèces.

Le tableau des huit derniers mois de l'année n'offroit donc en aperçu que le niveau entre les ressources et les besoins.

Je dois aujourd'hui vous entretenir, messieurs, des circonstances qui, selon toutes les probabilités, apporteront un changement à ces spéculations; elles vous sont la plupart connues; mais je crois important, je crois nécessaire de les rassembler sous vos yeux.

1o. On a vu dans l'aperçu du 1 mai, que l'on comptoit avec vraisemblance sur la rentrée, pendant les huit derniers mois de l'année, des quatre millions en arrière sur les impositions directes; mais le trésor public, loin d'être encore rempli de cet objet, a éprouvé un nouveau déficit de deux millions quatre cent cinquante mille livres, par l'impossibilité où se sont trouvés quelques receveurs

généraux de satisfaire aux engagemens qu'ils avoient pris à terme fixe, selon l'usage constant pour les impositions directes.

Voilà donc un vide en ce moment de plus de six millions, et l'on peut craindre qu'il ne s'augmente, en voyant le retard prolongé de la confection des rôles des tailles dans un grand nombre de communautés.

On ne peut rien ajouter cependant aux ordres répétés de l'assemblée nationale, et aux recommandations instantes de l'administration. Le dernier décret rendu par l'assemblée nationale à ce sujet, en excitant la surveillance des directoires de département, aura peut-être un effet décisif; mais on se ressentira toujours, dans le cours de l'année, des premières lenteurs qui n'ont pas été prévenues.

2o. Les produits de la ferme générale, de la régie des aides et de l'administration des domaines, vont encore en se dégradant; et quoique j'aie estimé les recouvremens sur les droits indirects infiniment bas, on n'est pas sûr qu'ils ne soient pas encore au-dessous de mes calculs dans le cours entier de l'année.

3°. L'assemblée nationale ayant décrété dans le mois de mars dernier, 49 millions d'impôts en remplacement de la gabelle et des droits sur les cuirs, l'amidon, les fers et les huiles, il étoit naturel de présumer le 1er mai, que

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