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que de l'ouverture de cet emprunt jusqu'à présent, qu'une somme de deux millions six cent mille livres (*), et la recette des derniers jours a été si modique, qu'on peut considérer le succès de cet emprunt comme entièrement manqué. J'ai craint ce malheureux événement, du moment que je fus informé de votre délibération du 9 août; mais je cachai soigneusement mon sentiment, afin de ne pas contrarier par une opinion anticipée la chance d'un mouvement favorable à l'emprunt.

L'expérience est toujours en aide à l'esprit naturel et aux calculs du jugement; ainsi, pour vous guider dans vos délibérations futures, vous désirerez sûrement de connoître pourquoi votre emprunt n'a point eu de succès.

J'avois été aussi loin qu'il étoit possible pour l'honneur du crédit national, en vous proposant d'ouvrir un emprunt à cinq pour cent, dans le temps qu'au prix des effets publics sur la place, les capitalistes pouvoient trouver des placemens à plus de six et demi pour cent. Cependant, cet intérêt de cinq pour cent, avec les petits encouragemens de détail qui y étoient joints, avec l'assurance du remboursement, avec l'honorable publicité promise aux témoi

(*) La généreuse souscription faite à Bordeaux, non encore réalisée, n'est pas comprise dans cette somme.

gnages de zèle et de confiance que donneroient les prêteurs; toutes ces conditions réunies avoient fait une impression telle que, dès le même jour où mon plan fut connu à Paris, je reçus une souscription d'un million de la part d'une seule personne; et il n'est pas un notaire, pas un banquier, pas un agent dans ces sortes d'affaires, qui ne fût prêt à donner à l'emprunt un mouvement tel, qu'en voyant trente millions portés au trésor royal en peu de jours, on eût pu croire que le crédit de la nation avoit dès ce moment une limite inconnue. Demi pour cent retranché sur l'intérêt, semble peu de chose abstraitement; mais dans les affaires de finances et dans beaucoup d'autres, toutes les fois que l'on passe la dernière ligne, on change, on altère tout. Cependant, messieurs, vous ne vous étiez pas bornés à retrancher ce demi pour cent: excités par le juste sentiment de la confiance due à l'assemblée nationale, vous avez retranché jusqu'aux plus petits détails propres à servir de véhicule au succès de l'emprunt; vous n'avez même pas cru nécessaire d'indiquer le terme du remboursement; enfin, vous n'avez pas voulu faire honneur aux prêteurs de leur confiance, et ce refus de votre part a donné lieu à un raisonnement bien simple. L'assemblée nationale, a-t-on dit, a promis d'être fidèle à tous les en

gagemens de l'état; les fonds qui proviennent de ces engagemens offrent des placemens d'argent de six à sept pour cent, et cependant c'est par le simple calcul de notre intérêt qu'elle veut que nous portions notre argent dans un emprunt de quatre et demi pour cent, A-t-elle donc changé d'opinion sur la protection due aux anciens engagemens de l'état ? et si elle n'en a point changé, pourquoi paroîtelle certaine qu'entre deux intérêts également solides, nous quitterons, par simple calcul, le six ou le sept pour le quatre et demi? Que si, au contraire, elle avoit changé d'opinion, notre confiance dans ses principes, notre confiance dans tout ce qui émaneroit d'elle, seroit justement altérée; et nous n'avons plus qu'à attendre ses dernières résolutions, et nous tenir jusque-là dans la réserve générale qu'inspirent une défiance confuse et une inquié tude sans guide.

Enfin, messieurs, il faut bien le dire, quoique j'y sois pour quelque chose; mais je me regarde comme tellement confondu dans la chose publique, et par mes sentimens et par mes sacrifices, que je puis parler aujourd'hui de moi comme d'un étranger: je, vous dirai donc, messieurs, en répétant les discours du public, que la confiance s'est altérée, lorsqu'on a vu dans une affaire de finance, dans

une affaire du genre de celles que j'ai long, temps administrées avec un peu de réussite, que vous vous êtes séparés de mon opinion, et que vous l'avez fait sans avoir cru seulement utile de débattre un moment avec moi les motifs de votre résolution. Je vous donne ma parole d'honneur, messieurs, que je n'en ai ressenti personnellement aucune peine; je juge de vos sentimens par les miens, et mon respect m'assure de votre bienveillance. Spectateur de plus près du cours de vos délibérations, je sais que les raisonnemens auxquels le public s'est livré ne sont pas fondés; mais on ne peut se dissimuler qu'à une certaine distance, ces raisonnemens étoient dirigés par des vraisemblances.

Mais laissons là le passé. Que faut-il faire à présent? j'avouerai que des difficultés sans nombre se présentent à moi. Il n'y a qu'à reprendre, dira-t-on peut-être, le projet d'emprunt tel qu'il avoit été adopté au conseil du roi ; mais revenir de l'intérêt de quatre et demi à celui de cinq, n'est pas la même chose que si l'on eût saisi tout de suite le point susceptible de réussite. La confiance de tous les prêteurs est composée de calculs positifs et d'espérance, et cette espérance n'est plus la même, lorsque avant d'arriver à l'intérêt de cinq pour. cent, on a vu clairement qu'un intérêt infé

rieur n'attiroit pas l'argent. Il rejaillit d'ailleurs, il faut en convenir, un peu de défaveur sur les opérations publiques, lorsqu'une première erreur est commise: il n'est aucun sentiment qui n'entre dans le crédit ; il est simple dans ses effets, mais il est très-composé dans ses élémens. Enfin, le moment d'une première impression, le moment de l'ouverture du crédit national, ce moment dont on pouvoit beaucoup attendre, ce moment est perdu, et ce n'est plus qu'avec la froide et tranquille réflexion qu'il faut traiter. Il est donc arrivé malheureusement que, pour avoir voulu trop bien faire, vous avez manqué l'occasion de remplir votre premier emprunt avec cette célérité dont les effets sont incalculables, avec cette célérité et cette surabondance qui cachent le dernier terme du crédit, et qui maintiennent ce vague d'imagination si nécessaire au ménagement de toutes les forces morales.

Un jour viendra, messieurs, où toutes ces observations ne paroîtront que des idées subtiles tout sera réel, tout sera démontré, tout sera soumis aux calculs les plus simples, quand l'ordre sera parfaitement établi, quand cet ordre sera connu de toute la nation, quand la constitution, gardienne de ces arrangemens salutaires, sera posée et affermie; mais dans ce moment-ci il faut encore, on ne peut se le

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