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TROISIÈME MINISTÈRE

DE M. NECKER.

DISCOURS prononcé le 30 juillet 1789, à l'Hôtelde-Ville, par M. Necker, directeur-général des finances, à l'assemblée des représentans des districts, et à l'assemblée générale des électeurs.

JE manque d'expressions, messieurs, pour vous témoigner, et en votre personne, à tous les citoyens de Paris, la reconnoissance dont je suis pénétré. Les marques d'intérêt et de bonté que j'ai reçues de leur part, sont un bienfait hors de toute proportion avec mes foibles services, et je ne puis m'acquitter que par un sentiment ineffaçable. Je vous promets, messieurs, d'être fidèle à cette dernière obligation, et jamais devoir ne sera plus doux ni plus facile à remplir.

Le roi, messieurs, a daigné me recevoir avec la plus grande bonté, et m'assurer du retour de sa confiance la plus entière. Mais aujourd'hui, messieurs, c'est entre les mains de l'assemblée nationale, c'est dans les vôtres que repose le salut de l'état; car en ce mo

ment il ne reste presque plus aucune action au gouvernement. Vous donc, messieurs, qui pouvez tant, et par la grandeur et l'importance de la ville dont vous êtes les notables citoyens, et par l'influence de votre exemple dans tout le royaume, je viens vous conjurer de donner tous vos soins à l'établissement de l'ordre le plus parfait et le plus durable. Rien ne peut fleurir, rien ne peut prospérer sans cet ordre; et ce que vous avez déjà fait, messieurs, en si peu de temps, est le signal et le garant de ce que vous saurez achever; mais jusqu'à ce dernier terme la confiance sera incertaine, et une inquiétude générale troublera le bonheur public, éloignera de Paris un grand nombre de riches consommateurs, et détournera les étrangers de venir y verser leurs richesses. Enfin, Paris, cette célèbre cité, Paris, cette première ville de l'Europe, ne reprendra son lustre et sa prospérité qu'à l'époque où l'on y verra régner cette paix et cette subordination qui calment les esprits, et qui donnent à tous les hommes l'assurance de vivre tranquilles et sans défiance sous l'empire des lois et de leur conscience. Vous jugerez, messieurs, dans votre sagesse, s'il n'est pas temps bientôt de faire cesser ces perquisitions multipliées auxquelles on est soumis avant d'arriver à Paris, et que

l'on commence à éprouver à une très-grande distance de la capitale. Il est juste de s'en rapporter à cet égard à votre prudence et à vos lumières; mais les amis de la prospérité publique doivent désirer que les abords de Paris rappellent bientôt au commerce et à tous les voyageurs, que cette ville est comme autrefois le séjour de la paix, et qu'on peut de tous les bouts du monde y venir jouir, avec confiance et liberté, du génie industriel de ses habitans, et du spectacle dé tous les monumens que cette superbe ville renferme dans son sein, et que de nouveaux talens augmentent chaque jour.

Mais, messieurs, c'est au nom d'un plus grand intérêt que je dois vous entretenir un moment, d'un intérêt qui remplit mon cœur et qui l'oppresse. Au nom de Dieu, messieurs, plus de jugemens de proscription, plus de scènes sanglantes. Généreux François, qui êtes sur le point de réunir à tous les avantages dont vous jouissez depuis long-temps le bien inestimable d'une liberté sage, ne permettez pas que de si grands bienfaits puissent être mêlés à la possibilité d'aucun reproche. Ah! que votre bonheur, pour devenir encore plus grand, soit pur et sans tache; surtout conservez, respectez, même dans vos momens de crise et de calamité, ce caractère de bonté, de justice et de douceur qui distingue la nation

françoise, et faites arriver le plus tôt possible le jour de l'indulgence et de l'oubli : croyez, messieurs, en ne consultant que votre cœur, que la bonté est la première de toutes les vertus. Hélas! nous ne connoissons qu'imparfaitement cette action, cette force invisible qui dirige et détermine les actions des hommes; Dieu seul peut lire au fond des coeurs et juger avec sûreté, juger en un moment de ce qu'ils méritent de peine ou de récompense; mais les hommes ne peuvent rendre un jugement, les hommes surtout ne peuvent ordonner la mort de celui à qui le ciel a donné la vie, sans l'examen le plus attentif et le plus régulier. Je vous présente cette observation, cette demande, cette requête, au nom de tous les motifs capables d'agir sur les esprits et sur les âmes; et j'espère de votre bonté que vous me permettrez d'appliquer ces réflexions générales, ou plutôt l'expression de ces sentimens si vifs et si profonds, à une circonstance particulière et du moment. Je dois le faire d'autant plus, que si vous aviez une autre opinion que la mienne, j'aurois à m'excuser auprès de vous d'un tort dont je dois vous rendre compte. Mardi, jour de mon arrivée à Paris, j'appris à Nogent que M. le baron de Besenval avoit été arrêté à Villenaux, et cette nouvelle me fut confirmée par un gentilhomme, seigneur du

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