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simple raison. Mais cette raison n'est jamais complète, lorsque le sentiment en est absolument séparé, parce que lui seul peut recueillir une infinité de vues qui échappent, même dans les affaires, aux efforts et aux atteintes de l'esprit.

MÉMOIRE adressé par le premier ministre des finances, à l'assemblée nationale, le 17 décembre 1789.

OBSERVATIONS SUR LE MÉMOIRE DE M. DE LA BORDE.

MESSIEURS, j'ai lu avec beaucoup d'attention et d'impartialité le Mémoire sur lequel l'assemblée nationale a voulu que je fusse eonsulté. Je commence par rendre une parfaite justice aux réflexions générales qui servent d'avant-propos à cet ouvrage; elles sont exactes et clairement exprimées, et ce dernier mérite en est un très-essentiel, puisqu'il n'est jamais séparé d'une conception nette et d'un esprit d'ordre dans les idées. Considérant ensuite le projet en lui-même, la première objection qu'on peut y faire, objection très-importante sans doute, c'est qu'il est uniquement relatif aux avances actuelles de la caisse d'escompte, et à l'émission des billets de caisse dont ses avances ont été le principe. L'auteur du Mémoire laisse entièrement de côté les

l'année

besoins extraordinaires de l'état pour prochaine, et que plusieurs circonstances générales rendront très considérables dès les premiers mois. C'est la réunion de ces besoins à ceux du moment qui constitue le grand embarras; ainsi en retranchant la difficulté principale, le choix des ressources devenoit plus étendu, et celles que propose M. de La Borde, comme beaucoup d'autres du même genre, eussent été probablement suffisantes. L'on croit cependant, et je suis de cette opinion, qu'une création de cinquante mille actions nouvelles seroit un emprunt trop considérable pour être susceptible de succès. Je dois faire observer qu'on a pu être induit en erreur sur l'étendue des ressources qui devoient résulter de la création de ces actions nouvelles, parce qu'on a mal entendu quelques expressions du Mémoire de M. de La Borde; il y est parlé d'un prêt de deux cent cinquante millions fait à l'état; mais ces deux cent cinquante millions devoient être composés, premièrement des soixante-dix millions déposés par la caisse d'escompte au trésor royal dès l'année 1787; secondement, des cent millions d'effets dont le remboursement est suspendu, et qui seroient reçus pour moitié dans le payement des nouvelles actions. Or la remise de ces cent millions au trésor public contre

un capital. semblable, sur lequel on exige un remboursement graduel, bien loin d'être un prêt, devient une charge annuelle proportionnée à l'étendue de ce remboursement. Il ne resteroit donc, en véritable secours nouveau, que les quatre-vingt-dix millions destinés à amortir la créance de la caisse d'escompte.

Le prix de ces quatre-vingt-dix millions reviendroit fort cher, puisque, indépendamment de l'intérêt à cinq pour cent,`on demande l'abandon du bénéfice des monnoies et une rétribution sur le montant général de tous les revenus de l'état.

Je ne m'étendrai pas sur la partie du plan de M. de La Borde, qui tend à manifester les divers services que la banque pourroit rendre à l'état; car il n'en est aucun qui soit inhérent à l'établissement de cette banque. On tient déjà les livres du trésor royal en parties. doubles, et la réforme générale de la comptabilité ne dépend point de la formation d'une banque. On n'a pas besoin non plus d'un pa reil établissement pour faire servir les impositions des provinces au payement des dépenses qui s'exécutent dans les mêmes lieux; une telle disposition est constamment suivie, et ce sont des récits d'imagination que ces assertions, souvent répétées, sur le voyage conti

nuel de l'argent des provinces à Paris, et de Paris dans les provinces, du moins pour tout ce qui est relatif aux opérations du gouvernement. Si donc on sépare des dispositions proposées par M. de La Borde, et ce qui existe déjà, et les changemens qui, pour éviter le trouble et la confusion, devroient avoir lieu successivement, on verra qu'il faut se borner à faire d'une banque un simple caissier du trésor public et des différentes administrations de finances. L'imagination est frappée agréablement de voir réunir en un seul point toutes les gestions qu'on a peine à rassembler dans sa pensée; mais l'expérience prouve que s'il est des administrations, soit en recettes, soit en dépenses, qui peuvent être réunies avec convenance, il en est d'autres qui exigent d'être séparées, sous peine de tomber dans le désordre, et de donner à un petit nombre d'hommes une tâche au-dessus de leurs forces.

Vous avez, messieurs, assez de choses à déterminer parmi celles dont le retard seroit infiniment dangereux; remettons au temps ce qui tient à dé simples améliorations, sur lesquelles vous ne pouvez être parfaitement éclairés que par les lumières dues à l'expérience. On peut tout mouvoir, tout changer dans six pages de papier; mais en action, ce n'est que

par une marche graduelle et successive qu'on évite la confusion.

L'auteur du Mémoire finit par désirer que la banque soit le mandataire de l'assemblée nationale, et devienne responsable de la quotité des payemens qu'elle feroit sur les ordres du roi, transmis par les agens de son autorité; mais de cette manière, les directeurs d'une caisse deviendroient les surveillans et les censeurs du pouvoir exécutif; et comme ces directeurs ne pourroient connoître l'état de chaque compte que sur l'examen et les calculs de leurs teneurs de livres, il se trouveroit qu'un simple commis seroit, en dernière analyse, l'homme de confiance de la nation et le répondant de l'exécution de ses décrets.

Je suis parfaitement d'accord avec M. de La Borde, sur les fâcheux inconvéniens attachés à l'admission d'aucune espèce de billets de caisse ou de monnoie qu'on ne peut pas convertir en argent à volonté. Les principes qui appuient cette opinion sont tellement reconnus aujourd'hui, qu'il n'est plus permis d'avoir deux sentimens à cet égard; mais telle est malheureusement la puissance des choses, tel est le commandement violent de certaines circonstances, que les principes généraux, même les plus raisonnables, sont forcés de fléchir un moment. Je dois faire observer ce

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