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lieu, qui, sans connoître particulièrement M. de Besenval, mais animé par un sentiment de bonté, fit arrêter ma voiture pour m'entretenir de son inquiétude, et me demander si je ne pouvois pas être en secours à M. de Besenval, qui étoit parti pour la Suisse avec la permission du roi. J'avois appris la veille les malheureux événemens de Paris, et le sort infortuné de deux magistrats accusés et exécutés rapidement; mon âme s'émut, et je n'hésitai point à écrire de mon carrosse ces mots-ci à MM. les officiers municipaux de Villenaux :

<< Je sais positivement, messieurs, que M. le « baron de Besenval, arrêté par la milice de « Villenaux, a eu la permission du roi de se <<< rendre en Suisse dans sa patrie; je vous de<< mande instamment, messieurs, de respecter «< cette permission dont je vous suis garant, et je vous en aurai une particulière obligation : « tous les motifs qui affectent une âme sensi« ble m'intéressent à cette demande. M. de.... << veut bien se charger de ce billet que je vous << écris dans ma voiture, sur le grand chemin de « Nogentà Versailles. J'ai l'honneur d'être, etc. >> Ce mardi 28 juillet 1789.

J'ai appris, messieurs, que ma demande n'a point été accueillie par messieurs les officiers municipaux de Villenaux, parce qu'ils vous

avoient écrit pour recevoir vos ordres. Éloigné de Paris, pendant les malheureux événemens qui ont excité vos plaintes, je n'ai aucune connoissance particulière des torts qui peuvent être reprochés à M. de Besenval, je n'ai jamais en de relation de société avec lui; mais la justice m'ordonne de lui rendre, dans une affaire importante, un témoignage favorable. Il étoit commandant pour le roi dans la généralité de Paris, où, depuis deux à trois mois, il

fallu continuellement assurer la tranquillité des marchés, et protéger des convois de grains; il étoit donc nécessaire d'avoir continuellement recours au commandant détenu maintenant à Villenaux ; et quoique, dans l'ordre ministériel, j'aurois dû m'adresser au secrétaire d'état de la guerre, qui auroit transmis les demandes du ministre des finances au commandant des troupes, M. de Besenval m'écrivit fort honnêtement que cette marche indirecte pouvant occasionner de la lenteur dans le service public, il m'invitoit à lui donner des instructions directes, et qu'il les exécuteroit ponctuellement. J'adoptai cette disposition, et je ne puis rendre trop de justice au zèle et à l'activité avec lesquels M. de Besenval a répondu à mes désirs, et j'ai remarqué constamment qu'il réunissoit de la modération et de la prudence à l'activité militaire, en sorte que

j'ai eu souvent occasion de le remercier de ses soins et de son attention soutenue. Voilà, messieurs, ce qui m'est connu de ce général, en ma qualité d'homme public. Je dois vous dire ensuite, de la part du roi, que S. M. honore depuis long-temps cet officier de ses bontés. Je ne sais de quoi il peut être accusé auprès de vous; mais, soumis aux lois de la discipline militaire, il faudroit peut-être des titres d'accusation bien formels pour l'empêcher de retourner dans sa patrie; et comme étranger, comme membre distingué d'un pays avec lequel la France a depuis si long-temps des relations d'alliance et d'amitié, vous aurez sûrement pour M. de Besenval tous les égards qu'on peut espérer d'une nation hospitalière et généreuse; et puisque ce seroit déjà une grande punition, que d'amener à Paris comme criminel ou suspect, un officier général étranger qui retourne dans son pays avec la permission du roi, j'ose vous prier de considérer si vous ne pourriez pas vous borner à lui demander à Villenaux les éclaircissemens dont vous croiriez avoir besoin, et la communication de ses papiers, s'il en avoit. C'est à vous, messieurs, à considérer si vous devez exposer ce général étranger aux effets d'aucun mouvement dont vous ne pourriez pas répondre; çar, distingués comme vous êtes, messieurs,

par le choix de vos concitoyens, vous voulez sûrement être, avant tout, les défenseurs des lois et de la justice; vous ne voulez pas qu'au cun citoyen soit condamné, soit puni sans avoir eu le temps de se faire entendre, sans avoir eu le temps d'être examiné par des juges intègres et impartiaux : c'est le premier droit de l'homme; c'est le plus saint devoir des puissans; c'est l'obligation la plus constamment respectée par toutes les nations. Ah! messieurs, non pas devant vous qui, distingués par une éducation généreuse, n'avez besoin que de suivre les lumières de votre esprit et de votre cœur, mais devant le plus inconnu, le plus obscur des citoyens de Paris, je me prosterne, je me jette à genoux pour demander, que l'on n'exerce ni envers M. de Besenval, ni envers personne, aucune rigueur semblable en aucune manière à celles qu'on m'a récitées. La justice doit être éclairée, et un sentiment de bonté doit encore être sans cesse autour d'elle; ces principes, ces mouvemens dominent tellement mon âme, que si j'étois témoin d'aucun acte contraire, dans un moment où je serois rapproché par ma place des choses. publiques, j'en mourrois de douleur, et toutes mes forces au moins seroient épuisées. J'ose donc m'appuyer auprès de vous, messieurs, de la bienveillance dont vous m'honorez; vous

avez daigné mettre quelque intérêt à mes services, et dans un moment où je vais vous en demander un haut prix, je me permettraï, pour la première, pour la seule fois, de dire qu'en effet mon zèle n'a pas été inutile à la France. Ce haut prix que je vous demande, ce sont des égards pour un général étranger, s'il ne lui faut que cela; c'est de l'indulgence et de la bonté, s'il a besoin de plus; je serai heureux par cette insigne faveur, en ne fixant mon attention que sur M. de Besenval, sur un simple particulier; je le serois bien davantage, si cet exemple devenoit le signal d'une amnistie qui rendît le calme à la France, et qui permit à tous les citoyens, à tous les habitans de ce royaume, de fixer uniquement leur attention sur l'avenir, afin de jouir de tous les biens que peuvent nous promettre l'union du peuple et du souverain, et l'accord de toutes les forces propres à fonder le bonheur sur la liberté, et la durée de cette liberté sur le bonheur général. Ah! messieurs, que tous les citoyens, que tous les habitans de la France rentrent pour toujours sous la garde des lois. Cédez, je vous en supplie, à mes vives instances, et que par votre bienfait ce jour devienne le plus heureux de ma vie, et l'un des plus glorieux qui puissent vous être réservés!

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