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quelle il m'accusait d'avoir employé envers lui tous les genres d'oppression; c'était là, disait-il, une atteinte portée à la liberté individuelle ; quel citoyen pourrait être désormais à l'abri des persécutions d'une police infâme?... Et cette lettre fut publiée par plusieurs journaux, avec des commentaires brochant sur le tout, en l'an de grâce 1834!!!

L'accueil empressé fait par les feuilles publiques à tout individu porteur d'une note accusatrice contre moi, et l'espèce de sympathie dévolue à quiconque se plaignait de la police, encourageaient à me diffamer tous les intrigans qui voulaient faire parler d'eux et se concilier les bonnes grâces d'un parti politique. Aussi étais-je condamné à lire chaque jour quelque virulente diatribe à mon adresse.

C'est le cas de faire observer que, s'il est peu d'hommes dont on ait autant parlé que de moi de 1831 à 1837, il en est peu aussi qui soient moins connus on m'a montré sous différentes faces; on m'a prêté toutes sortes de défauts; on m'a peint coinme un despote ambitieux, cruel, dissolu, bizarre, ignorant, dissimulé, orgueilleux, avide, hypocrite; on m'a gratifié de toutes les mauvaises passions; enfin, on m'a représenté sous toutes les formes, excepté sous la véritable. L'on chercherait vainement,grâce au ciel, dans les portraits moraux que partis ont faits de moi, un seul trait de ressemblance avec mes goûts, mes habitudes et mon caractère.

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Puisque le but que je me propose est de détruire d'injustes préventions, il me sera bien permis, lorsque tant de gens ont été injustes à mon égard, de me rendre justice moi-même.

Je dirai donc que je crois être franc, loyal, désintéressé; que je me plais à faire le bien, et souvent au-delà de la limite de mes moyens; que mes goûts ont conservé la simplicité des habitudes d'une situation modeste; que mon caractère, quoique susceptible et emporté, est incapable de déguisement; que nul plus que moi ne reste fidèle à ses affections; que j'aime à faire abnégation de moi-même pour ma famille et pour mes amis; que, loin de rechercher l'élévation et les honneurs, je ne me plais que dans une position humble et obscure, préférant à l'attrait du pouvoir une existence paisible et les douceurs de l'intimité. J'ajouterai que mon cœur est exempt de fiel; que je n'ai jamais su haïr, ni même conserver long-temps une légitime rancune contre ceux qui m'ont fait du

mal.

Combien de fois, quoique remplissant avec fermeté un devoir rigoureux, n'ai-je pas fait des sacrifices personnels pour alléger des souffrances, jus

que dans les rangs des hommes qui auraient trouvé du bonheur à m'anéantir! Cependant j'ai à peine ce qui est nécessaire aux besoins de ma famille.

La femme d'un détenu compromis dans les trou

bles de juin 1832 vint demander une permission. toute exceptionnelle pour pénétrer dans la chambre de son mari, à Sainte-Pélagie; j'accordai cette permission. Bientôt une faveur plus grande fut sollicitée : il s'agissait d'autoriser le détenu à sortir de sa prison sur parole, pour aller auprès de sa famille; j'y consentis. Cette dame m'ayant ensuite exposé la situation pénible de ses enfans, j'eus le bonheur de lui faire accepter quelques secours avec tous les ménagemens convenables. Son mari fut touché de mes procédés, et, peu de temps après, il m'envoya un dessin fait par lui, qu'il me dédiait en me témoignant sa reconnaissance. Ce me fut une nouvelle occasion de venir à son aide.

Qu'on juge de ma surprise lorsque je trouvai, quelques jours plus tard, la signature de ce même prisonnier au bas d'une lettre violente et diffamatoire, écrite collectivement par plusieurs détenus, et insérée dans le journal la Tribune.

Les journalistes qui ne m'épargnaient aucun déboire, qui saisissaient avec tant de hâte la moindre circonstance propre à me susciter des ennuis, ont eu quelquefois besoin de moi; il en est même qui ne se sont pas fait faute de recourir souvent à mon autorité. L'un de ces messieurs, jouissant d'une assez haute influence dans la presse, vint me prier de faire expulser du royaume un étranger, réfugié politique, dont il avait à se plaindre grave

ment. Il était question, tout à la fois, d'escroquerie et de manœuvres capables de troubler la sécurité d'une famille.

En vertu de la loi du 28 vendémiaire an vII, concernant les étrangers dont la présence est susceptible de troubler l'ordre, et sur une décision du ministre de l'intérieur, je fis sortir de France cet individu dans un délai raisonnable, et le journaliste se confondit en protestations de reconnaissance pour un acte auquel il attachait un grand prix. Je ne comptai pas précisément sur cette reconnaissance, et ce fut chose sage... La feuille publique où mon obligé avait beaucoup de crédit me poursuivit de toute son acrimonie dès le lendemain, et mainte fois, affichant des sentimens patriotiques et généreux, elle a déclamé contre l'arbitraire et les rigueurs du pouvoir à l'égard des réfugiés politiques!

Peut-être est-ce le cas d'expliquer une contradiction manifeste et qui m'a frappé dans la conduite de certains journalistes. Combien de fois, lorsque je reprochais à l'un d'eux la différence de ses discours conformes à mes vues avec les doctrines soutenues dans la feuille qu'il rédigeait, ou quand un de mes actes obtenait son approbation verbale portée jusqu'à l'éloge, tandis que son journal en faisait une critique amère le jour suivant, combien de fois ne m'a-t-il pas été fait cette ré

ponse: «Que voulez-vous? Il faut que notre jour»nal soit de sa couleur, qu'il suive sa ligne; c'est la » condition essentielle de succès; un journaliste doit » faire tous ses efforts, et, au besoin, des sacri»fices d'amitié pour atteindre le double but qu'il » se propose: la prospérité de son entreprise sous » le rapport pécuniaire, et le triomphe de l'opinion » qu'il représente; tout ce qui contrarie ces deux » intérêts doit être sacrifié. Le langage public d'un » journaliste n'est pas toujours l'expression fidèle de » sa pensée ; l'écrivain doit être avant tout l'homme de » son journal. »

Telle est, d'après les souvenirs qui me sont restés de quelques conversations, l'analyse des obligations imposées à l'homme de lettres qui rédige un journal... Et c'est à ces misérables intérêts de coterie et d'argent que l'on offre en holocauste la réputation, l'honneur de ses adversaires, et les intérêts les plus sacrés du pays!

Et l'on appelle cela de la probité politique!!! Quant à moi, je me glorifie de ne pas l'entendre

ainsi.

Cependant, quoique l'acharnement des journaux dût m'inspirer des désirs de vengeance, combien de fois n'ai-je pas obligé des journalistes! La plupart d'entre eux, condamnés à une détention plus ou moins longue, me jugeant tout autre que leurs feuilles ne m'avaient dépeint, voulaient bien s'a

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