Page images
PDF
EPUB

avait donné des preuves pendant et après les trois jours, les souverains alliés n'auraient pas quelque appréhension pour leur propre sûreté, et si la crainte d'une propagande hostile à l'organisation politique de leurs états ne les pousserait point à se liguer contre nous, pour refouler des principes antipathiques à la nature de leur pouvoir.

Aucune manifestation de la part des cabinets étrangers n'était venue encore révéler des intentions arrêtées à cet égard; mais on n'ignore pas que la diplomatie a soin de masquer et non de trahir les dispositions réelles de ceux qui la dirigent, et que les faux-semblans des relations amicales peuvent cacher des projets d'agression. En un mot, on sait qu'il est dans l'habitude des cabinets de préparer les moyens de faire la guerre avant de la déclarer.

Le gouvernement français désirait sincèrement la paix; mais une sage prudence l'invitait à se mettre en mesure pour le cas de guerre, et, d'après la vieille maxime, si vis pacem, para bellum, il était de son devoir d'assurer au pays tous les moyens de -défense que la situation commandait.

Si la guerre avait malheureusement éclaté sans que notre gouvernement eût fait tous les efforts, tous les sacrifices nécessaires pour mettre le pays sur un pied de défense respectable, comment le ministère aurait-il pu se laver d'une pareille faute, justifier une telle incurie? On n'eût pas manqué de

crier à la trahison et d'appeler sur lui la réprobation universelle.

Des ordres avaient donc été donnés pour réparer nos places fortes, notamment celles de la frontière du Nord, qu'il fallait, avant tout, mettre à l'abri d'un coup de main.

Personne n'ignore qu'en y comprenant le corps d'armée qui se trouvait en Afrique, il ne restait pas sous les drapeaux quatre-vingt mille hommes, après la dislocation des régimens lors de la chute de la restauration. Une levée considérable venait d'être prescrite légalement, et des dispositions étaient prises pour que notre armée fût portée à cinq cent mille hommes, en cas de guerre. Le chiffre des gardes nationales dépassait quinze cent mille sur toute l'étendue de la France.

On dut s'occuper sérieusement d'armer cette force imposante. Comme il entre dans les prévisions d'une campagne militaire d'assurer un approvisionnement de trois fusils par fantassin, quinze cent mille fusils eussent été nécessaires pour l'armée active, et, en n'attribuant qu'un fusil par homme pour l'armement de la garde nationale, soit encore quinze cent mille fusils, c'étaient trois millions de fusils qu'il fallait avoir en bon état de service.

Le ministre de la guerre, après s'être fait rendre compte de l'état de nos arsenaux, avait reconnu que le nombre des fusils disponibles ne s'élevait

pas à plus de huit cent mille. On voit quelle différence énorme existait entre les besoins et les res

sources.

Les fabriques d'armes de l'État étaient loin de pouvoir augmenter sensiblement cette quantité dans un bref délai; celle de Saint-Étienne, seule, offrait les moyens propres à une grande fabrication; mais, en y développant toute l'activité possible, elle pouvait fournir au plus quarante mille fusils dans le courant de la première année.

Il est bon de dire, pour les personnes qui manquent de notions sur la fabrication des armes, qu'elle présente beaucoup plus de difficultés qu'on ne le

pense.

Le bois particulièrement (on préfère à tout autre le noyer) doit être préparé, pour cet usage, plusieurs années à l'avance. Si l'on employait un bois dont la dessiccation ne fût pas complète, la chaleur et l'humidité agiraient de manière à mettre promptement l'arme hors de service.

Ceci explique les soins et le temps indispensables pour une solide confection.

Vainement le ministre de la guerre avait fait un appel aux fabriques indigènes, et accepté toutes les offres des manufacturiers français; il resta démontré qu'on n'atteindrait pas au quart du chiffre nécessaire, en accordant même une année à l'exécu– tion des marchés.

Cependant les circonstances devenaient pressantes : ce n'était pas à une époque éloignée qu'on pouvait reculer l'armement; la question de paix ou de guerre devait être résolue dans quelques mois. D'ailleurs le général Lafayette, commandant général des troupes nationales du royaume, réclamait chaque jour, avec les plus vives instances, la délivrance de fusils, pour laquelle lui-même était assailli de toutes parts; et, à défaut de fusils français, il demandait qu'on envoyât des agens pour faire acheter des armes à l'étranger.

Le temps s'écoulait ; il importait de prendre une décision.

A l'issue d'un conseil des ministres, je fus invité par M. le maréchal Gérard à me rendre auprès de lui; c'était le 1er octobre.

Là j'appris que l'intention du gouvernement était d'acheter des fusils anglais. Ma coopération aux événemens de juillet et au succès de la cause nationale m'avait mis assez en évidence pour qu'on songeât à me confier cette mission.

M. le ministre de la guerre me demanda si j'étais disposé à la remplir sans retard, et, sur ma réponse affirmative, il m'écrivit une lettre dans laquelle il m'autorisait à acheter, en Angleterre, trois cent mille fusils pour le compte de la France. Il m'était recommandé d'obtenir un délai pour la ratification des marchés. Un crédit de trois millions

était mis à ma disposition, à valoir sur le prix de

ces armes.

Aucune commission, aucun avantage ne m'était promis; je remplissais là une mission gratuite et toute de dévouement.

Le 4 octobre j'arrivai à Londres.

L'opinion générale était qu'en Angleterre on trouvait des approvisionnemens particuliers de fusils et des manufactures capables d'en confectionner des quantités considérables avec rapidité. Si je partageai cette erreur, j'en fus bientôt désabusé.

N'ayant rien trouvé à Londres, je me rendis le lendemain à Birmingham, où étaient précédemment établies les grandes fabriques d'armes de l'Angleterre. Mais les ateliers se trouvaient presque tous fermés depuis long-temps; les ouvriers s'étaient livrés à d'autres occupations, et les négocians avaient, pour la plupart, employé leurs usines à une destination différente.

Je vis dans la même journée les principaux manufacturiers, dont la réponse uniforme peut se traduire ainsi : «< Depuis la paix, nous ne fabriquons

plus, si ce n'est des fusils en petit nombre, des>> tinés pour la traite; c'est-à-dire d'une qualité >> tellement inférieure, qu'ils ne seraient d'aucun » usage en Europe. » J'acquis en outre la certitude que, les matériaux et surtout les bois leur manquant, il faudrait un délai beaucoup plus long

« PreviousContinue »