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france, ni mettre par là toute la société en péril, n'ont qu'une réponse logique à faire : « Nous aurions pris les rênes du gouvernement. »

Très-bien; mais c'eût été une usurpation, et, d'après leurs propres doctrines, la nation aurait dû les punir, puisqu'en attendant les effets des assemblées primaires, ils se seraient attribué une partie de la puissance souveraine qui n'appartient qu'au peuple.

D'ailleurs, où sont les garanties offertes par eux, dignes d'être préférées à celles de nos prétendus représentans? Admettons, si l'on veut, que le mandat de nos députés fût vicié, quoiqu'ils eussent été élus, non par Charles X, mais par les citoyens, quinze jours auparavant : n'eussent-ils exercé, comme on l'a dit, qu'un pouvoir de transition et d'impérieuse nécessité, croira-t-on que ces hommes honorables, presque tous placés dans de hautes conditions par leurs services, leur fortune et leurs talens, n'eussent pas autant d'aptitude que les premiers venus à reconstruire un gouvernement, et qu'ils ne dussent pas, en définitive, inspirer autant de confiance au pays que MM. Flocon et Lhéritier?

Je me suis appesanti à dessein sur les impressions que fait naître la lecture de leur récit, parce que je crois ce document de nature à révéler les intentions du parti républicain, et à vouer à la juste réprobation de toute âme honnête les odieux

moyens qu'il employait. J'y trouve de plus l'avantage de pouvoir, dès à présent, faire comprendre les motifs pour lesquels j'ai, plus tard, lutté avec tant d'énergie et de persévérance contre les efforts de cette faction.

Simple citoyen, je l'aurais combattue, la regardant comme l'ennemi le plus dangereux pour notre pays et pour nos libertés; à plus forte raison, ai-je dû me servir, pour réprimer ou paralyser ses manœuvres, de toute la force du pouvoir dont j'étais dépositaire.

Telle nous la voyons aux premiers jours de son existence, telle je l'ai retrouvée pendant l'exercice de mes fonctions: toujours les mêmes appels à la force brutale; toujours les mêmes excitations; toujours les mêmes prétextes d'intérêt public; toujours la même tendance à préconiser les mauvaises passions utiles à sa cause, à exalter les hommes les plus abjects pour s'en faire des instrumens; toujours, enfin, le même système d'outrages, de ca-lomnies, prodigués aux citoyens les plus dignes de l'estime publique.

Qu'on ne s'étonne donc pas de la constance de mes efforts pour ruiner le parti des républicains, et de la haine qu'ils m'ont vouée.

Bien qu'on doive reconnaître et admirer la discipline instinctive du peuple, réprimant partout le désordre, les méfaits durant les trois jours; quoi

qu'il y ait eu à peine interruption dans l'action gouvernementale, puisque des autorités nouvelles ont succédé immédiatement à celles qui venaient d'abandonner leurs fonctions; et qu'un lieutenantgénéral du royaume, proclamé le 34 juillet, eût remplacé le pouvoir tombé l'avant-veille; il n'en a pas moins éclaté des tentatives audacieuses qui pouvaient amener les plus funestes résultats. Telles sont celles dont je viens de parler, qui ont eu lieu les 3 et 4 août, et que MM. Lhéritier et Flocon racontent dans leur lettre avec une incroyable ingénuité.

Il reste donc démontré qu'une suspension accidentelle et momentanée de l'action régulatrice suffit pour encourager certaines ambitions, pour produire des perturbations fàcheuses. Ainsi, l'on a vu dans le même temps des hommes se placer d'eux-mêmes à la tête d'administrations supérieures, se nommer préfets, généraux, de leur autorité privée, et en exercer les fonctions.

D'autres faits viennent à l'appui de cette remarque. Il s'est trouvé un individu, par exemple, qui, le 31 juillet, ayant rassemblé des ouvriers sans travail, d'honnêtes citoyens animés d'un zèle louable, et un ramas d'aventuriers, forma spontanément de cette bizarre agglomération le régiment des volontaires de la Charte.

Cet homme, bien entendu, agissait d'abord pour son compte, et il s'en déclara le colonel. Une orga

nisation large fut donnée au régiment, qui eut son état-major, ses officiers de tous grades, nommés par le colonel improvisé; bref, tout fut fait en vingt-quatre heures.

Quel était celui qui avait levé, organisé ce corps, pour en prendre le commandement ? un homme sans aucune consistance, un ancien garçon tailleur, qui n'avait pas même combattu pendant les trois jours; du reste, homme résolu, entreprenant, quoiqu'il sût à peine écrire, un condamné en police correctionnelle pour escroquerie, en 1816', le sieur Buchoz-Hilton! Un nommé Tournier, faiseur d'affaires de bas étage, devint son lieutenant-colonel.

Le régiment des volontaires de la Charte, composé de plus de dix-huit cents hommes, s'installa primitivement à Picpus; il s'établit quelques jours après dans les casernes de Rueil et de Courbevoie.

Informé de l'existence subreptice de ce corps, le maréchal Gérard, ministre de la guerre, ordonna et n'obtint que difficilement sa dissolution. Il voulut bien accorder quelques grades aux hommes de mérite et de bonne foi qui en faisaient partie, et en forma le noyau du 66° régiment d'infanterie de ligne.

Il va sans dire que Tournier et Buchoz-Hilton

1 Voir la Gazette des Tribunaux du 31 août 1834.

furent écartés; ce dernier parvint depuis à une dégoûtante célébrité, par les moyens ignobles qu'il employa pour se venger et par ses démêlés avec la justice.

Mais la création d'une force armée, qu'avaient pu, jusqu'à un certain point, motiver les circonstances, et l'usurpation facile des grades et des cmplois, n'étaient pas les seuls actes reprochables: il avait fallu nourrir, habiller, équiper ce régiment. Les officiers ne s'étaient point refusé des armes de luxe, des épaulettes, de brillans uniformes, etc., et l'argent manquait... Alors on avait frappé sur les marchands, sur les fabricans, des réquisitions arbitraires, illégales. Peut-on rien refuser à celui qui demande une fourniture avec une escorte de dix-huit cents hommes? Il est vrai que le fournisseur recevait, en échange de sa marchandise, un bon de M. le colonel Buchoz-Hilton.

Les détails de cette affaire me sont bien connus ; c'est moi qui, en ma qualité de membre du conseil municipal, ai présidé la commission chargée par M. Odilon-Barrot, alors préfet de la Seine, de vérifier ces réquisitions, de liquider la dépense. Plusieurs milliers de pièces me sont passées par mains, et la ville de Paris a eu à payer, pour indemnités, une somme d'environ 90,000 francs.

les

On peut maintenant juger, par les illégalités commises en un si court espace de temps, des excès

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