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Jufqu'à ce jour l'Affemblée Nationale Légiflative, n'avoit guere été occupée que de fes réglemens intérieurs. Aucune grande queftion, & d'un intérêt vraiment national, n'avoit pu faire fortir encore le talent de fes örateurs. Aujourd'hui enfin elle a eu à l'ordre du jour, & elle a mis en délibération' une question qui, par fes principes généraux, tient à tous les fondemens de la Conftitution des Empires, & qui, par les circonstances du moment, peut influer puiffamment fur la deftinée & fur la Constitution de l'Empire Fran. çois c'est la queftion relative aux émigrations & aux émigrans. La même queftion, perfonne n'a pu l'oublier, fut agitée à plusieurs reprises dans l'Affemblée Nationale Conftituante, & les délibérations, plufieurs fois ajournées, fe terminerent enfin par un décret, rélultat mitoyen de plufieurs opinions oppofées, qui ne pofoit aucun principe décifif, & qui ne prenoit aucun parti définitif.

C'étoit donc pour les obfervateurs attentifs une féance bien intéreffante que celle qui leur donnoit l'occafion de comparer le génie des deux premieres Affemblées Nationales de France. De plus de 40 orateurs qui s'étoient fait infcrire pour monter à la tribune, MM. Lequiniot, Le Montey & Baigneux ont les premiers porté la parole.

Les deux premiers de ces trois orateurs n'ont voté ni pour une indifférence abfolue fur les émigrations, ni pour une lévérité sans diftinction & fans modération contre les émigrés.

M. Lequiniot condamnoit en général les loix contre les émigrations, & les regardoit comme une violation de la Conftitution & de

la Déclaration des droits, qui permet à tout citoyen d'aller & venir. Une loi contre les émigrans ne lui paroiffoit pas plus utile que conftitutionnelle. « Croyez, difoit-il, qu'il vaut mieux encore avoir fes ennemis en face que dans fon fein. Votre espérance, feroit-elle qu'une loi feroit revenir de leurs erreurs les ennemis de la patrie? Ce feroit bien mal connoître l'efprit humain : les idées ne changent point quand les intérêts faux ou vrais reftent les mêmes. Comment diftinguerez vous parmi les émigrans ceux qui n'ont fait que profiter innocemment du bienfait de la Conftitution & ceux qui font allés prendre les armes contre cette Constitution qu'ils brûlent de renverser t

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« Diftinguez donc bien ceux qui ont eu évidemment des projets criminels, & ne frappez que fur ces têtes coupables. Il eft facile de les reconnoître ce font ces perfides fonctionnaires publics qui ont levé vers le ciel dans leur ferment cette même main avec laquelle ils veulent aujourd'hui affaffiner leur patrie. On nous a donné, trop donné le droit de croire que, parmi les émigrés qui n'ont déferté aucune fonction, il en eft qui ne font pas moins coupables; mais voudriez-vous juger & punir fur des préfomptions? Attendez qu'ils fe couvrent de leurs armes parricides alors emparez-vous de leurs biens, & faites en le partage entre les déferteurs des Puiffances étrangeres ».

M. Lequiniot concluoit à ce qu'il fût procédé inceffamment au remplacement des officiers déferteurs dont le miniftre de la guerre feroit paffer l'état à l'Affemblée; à ce que l'état des officiers publics qui ont violé leur ferment fût également fourni, & qu'ils fuffent privés pendant 20 ans des droits de citoyens actifs;

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enfin à ce que l'Affemblée Nationale nommåt des commiffaires pris dans fon fein qui iroient vifiter les frontieres.

M. Montey a développé, fur les émigrations, une théorie plus oppofée encore auprojet d'une loi générale contre les émigrans. La fuite de ces indignes françois lui a paru même plutôt un avantage qu'un malheur pour la France. « Vous deviez la prévoir, disoit-il, fi vous avez bien connu les fymptômes qui travaillent les Corps politiques dans ces grandes régénérations: ces émigrations font une transpiration naturelle de la terre de la liberté ».

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« Tout ce que vous ferez pourfuivoit M. Montey, pour arrêter les émigrations les multipliera car c'est l'effet de toute loi contraire au droit naturel, d'inviter à la violer. Eft-ce les hommes que vous voudrez empêcher de s'enfuir? Vous éleverez donc des barrieres devant des hommes libres! Eft - ce l'argent que vous voudrez retenir? Mais l'expérience de toutes les nations de l'Europe a prouvé que les iffues qu'on peut fermer à L'argent font toujours beaucoup moins nom breufes que celles qui restent ouvertes L'or & l'argent font comme les fleuves, qui paffent fous terre lorfqu'on veut arrêter leur cours. Je voudrois comme vous tous que nous puf. fions rendre impoffible la fórtie des armes qu'on porte à nos ennemis; c'eft de toute mon ame que je donnerois mon fuffrage à une loi qui rempliroit ce but; mais n'avezvous pas à redouter la repréfaille de tous nos voifins, & ne nous feroit-elle pas plus de mal que la loi ne nous feroit de bien »?

« Il faut que j'énonce mon opinion toute entiere, pourfuivoit M. Le Montey. Nos véri tables moyens de fûreté & de défenfe, ce fant

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l'ordre au dedans, & l'énergique exécution des
loix. Nos ennemis comptent bien moins fur
leurs forces que fur nos fautes. N'en faifons
donc aucune peut-être en est-ce une déjà
que la difcuffion que nous venons d'ouvrir ;
il ne faut pas au moins la prolonger ».!
M. Le Montey propofoit de décréter qu'ib
n'y a lieu à délibérer fur les émigrations; d'a-.
journer à l'instant un projet de loi contre les
fonctionnaires: déferteurs & de demander
au ministre des affaires étrangeres un tableau
complet de la fituation des Puiflances voifines,
&, autant qu'il lui feroit poflible, de leur dif
pofition à l'égard de la France.

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L'opinion de M. Baigneux étoit bien plus tranchée encore contre tout projet de loit fur les émigrations: «Il n'existe aucon dan ger réel pour la France, affuroit il: toutes les alarmes dont on nous fatigue font répandues par les agioteurs & par les Jour nalifes, parce que les uns ont intérêt de faire baiffer fouvent les papiers publics, & les autres de faire hauffer toujours lears feuilles ». Pour juftifier cette affertion fi formelle, M. Baigneux a tracé un tableau de l'état actuel des Puiffances de l'Europe, & partout il a vu & il a montré des motifs de confiance & de tranquillité. Il a conclu và la queftion préala ble contre toute loi de circonstance usi

L'ami, l'exécuteur des volontés dernieres de. Mirabeau, M. Frochot, admis à la barre, eft venu entrenir l'Affemblée de cet homme sile luftre, tant de fois regretté depuis qu'il a été enlevé à la France. «La calomnie, a t-il dit, pour. fuit la mémoire du grand homme que la France a perdu, & je viens prier l'Affemblée Nationale de faire payer par la Nation les frais de fes funérailles Mirabeau eft mort injolvable. Il est

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des faits & des mots qui faififfent toutes les imaginations; ceux là ont produit dans l'Af-' femblée Législative une impreffion profonde. Elle a décrété à l'inftant que le tréfor public paieroit les frais des funérailles de Mirabeau. On fe fouvient malgré foi des funérailles de ces citoyens vertueux des anciennes républiques, qui ne mouroient pas infolvables, mais Pauvres comme ils avoient vécu.

La difcuffion fur les émigrans a été reprise, & à la fuite d'un difcours de la plus grande véhémence contre tous ceux qui veulent fléchir la colere de la France contre fes perfides enfans, le premier opinant a propofé de frapper une médaille en l'honneur de celui qui découvri ra & dénoncera un confpirateur.

M. Briffot a porté à la tribune un difcours qui a excité, à plufieurs reprises, des tranfports & des acclamations, un difcours qu'on peut regarder comme le feul qui, dans cette queftion mémorable, ait frappé droit au but. Dédaignant la tourbe ariftocratique, qui, aveuglée par fes préjugés orgueilleux, court fans ceffe après des chimeres qui lui échappent fans ceffe,il s'eft attaché à prouver que c'étoit contre les chefs feuls de cette multitude abufée que la vengeance nationale devoit déployer toute fa rigueur.

Réduits à l'impoffibilité de donner ce difcours en entier nous nous bornerons à le faire connoître.

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M. Briffor a divifé les émigrans en trois claffes: 1°. ceux qui s'éloignent par inquiétu de; 2°. les fonctionnaires publics qui défertent leur pofte, pour arborer l'étendard de la rébellion; 3°. & les principaux chefs des rebelles. « Dans cette claffe, a-t-il dit, je range les freres du roi, qui fe montrent indignes

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