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Mais au prix de la loi, faut attendre son tour,
Et pour en avoir peu passer un tiers du jour.
Pour dix jours, une livre on donne à chaque bouche.
Pour moi, dans tout ceci, j'aperçois bien du louche.
Le riche met chez lui chaque jour pot-au-feu ;
Et le pauvre est toujours celui qui perd au jeu.

Que font-ils de leur suif, que font-ils de leurs moules?
Faut-il aller coucher, l'hiver, avec les poules?
L'ouvrier a des bras qu'il voudrait employer,
Mais quand on n'y voit goutte, on ne peut travailler !

Il a fallu, comme on voit, un goût étrange du merveilleux, pour aller placer, en un tel temps et en de telles circonstances, au fond d'une prison, à minuit, un banquet improvisé de vingt et un couverts, avec des vins chers, des fleurs rares et des bougies nom

breuses!

contre les riches; car le Comité de salut public, sur les instances du boucher Legendre, proposa, le 21 janvier 1794, d'établir un carême civique, pour ne pas détruire la race des brebis et des bœufs. (Moniteur du 23 janvier 1794.) Cette idée appartenait d'ailleurs aux Girondins, car Vergniaud avait proposé, le 17 avril 1793, d'établir un carême civique sur les veaux. (Moniteur du 20 avril 1793.)

LIVRE TROISIÈME

LA VÉRITÉ SUR LES DERNIERS MOMENTS DES GIRONDINS

SOMMAIRE.-Les Girondins montrent en général peu de fermeté. Prisonniers qui font preuve d'un grand courage.Gonnay.-Biron.-Bailly.-Lamourette.-Le chien Ravage.L'épicier Cortey et le marquis de Pons.-La princesse de Monaco.- Madame de Lavergne.- Mademoiselle Costard.— Les poëtes Ducournau et Roucher.-Ducos et son pot-pourri. -Les Girondins fugitifs. Forfanterie de Louvet.- Mort de Petion, de Buzot et de Barbaroux.-Suicide de Condorcet et de Rolland.-Supplice des vingt et un, à Paris.-Courage de Girey-Dupré.-Principes irréligieux communs aux Giron dins.

I

Quoique bien des causes, physiques ou morales, puissent influer sur le courage qu'un homme fait paraître, à l'heure toujours redoutable de la mort, nous sommes loin de penser, avec La Rochefoucauld, que tout dépende de la dernière maladie. Les hommes qui, aux époques de révolution violente, se jettent bénévolement dans les luttes, nous semblent tenus à plus de fermeté que d'autres, parce qu'ils affrontent les dangers de plein gré, et qu'ils savent par expérience que leur tête est habituellement l'enjeu de ces sortes de parties.

Bien que placés en évidence, sur un grand théâtre,

et, comme dit le poète, bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles, les Girondins, il faut bien le reconnaître, moururent en général avec une médiocre fermeté d'âme. Beaucoup de prisonniers inconnus, ou que rien ne donnait en spectacle, montrèrent plus de calme, plus de liberté d'esprit ou plus de dignité.

Un ancien grenadier au régiment d'Artois, nommé Gonnay, écroué à la Conciergerie comme prévenu d'émigration, se montra un modèle rare d'insouciance et de gaieté. Le jour où on lui remit son acte d'accusation, il le roula froidement dans ses mains, et en alluma sa pipe. Le lendemain, assis sur les redoutables gradins du tribunal révolutionnaire, il convint volontiers de tout ce dont il plut à l'accusateur public de le charger; et comme son avocat faisait observer qu'il n'avait pas sa tête à lui, Gonnay lui répondit : « Jamais ma tête n'a été plus à moi que dans ce moment, quoique je sois à la veille de la perdre. Défenseur officieux', je te défends de me défendre; et qu'on me mène à la guillotine2. »

Le général Biron, ce brillant et romanesque duc de Lauzun de la cour de Versailles, le vieux Bailly

1 C'est le nom que portaient les ci-devant avocats, chargés de défendre les accusés devant le tribunal révolutionnaire. Ils étaient généralement fort aristocrates, et se montraient, s'il faut en croire la Commune de Paris, fort intéressés. La commission des certificats de civisme leur fit subir une épuration, le 15 avril 1794. Moniteur du 19 germinal 1794.,

2 Mercier, Almanach des prisons, p. 63, 61.

et l'évêque constitutionnel de Lyon, Lamourette, montrèrent également la plus grande fermeté.

Biron, descendant du tribunal, et conduit au greffe pour subir la toilette, salua les prisonniers avec la dignité la plus chevaleresque, et leur dit : «Ma foi, mes amis, c'est fini; je m'en vais. >>

Bailly, remis à une autre séance pour son jugement, arriva au secrétariat au milieu de ses compagnons inquiets et silencieux, et leur dit, en se frottant les mains: « Petit bonhomme vit encore. >>

Lamourette, condamné, consolait ses amis de la Conciergerie. « Qu'est-ce donc que la mort? leur disait-il. Un accident, auquel il faut se préparer. Qu'est-ce que la guillotine? Une chiquenaude sur le cou1. >>

Ce courage des prisonniers voués à la mort allait souvent jusqu'à la provocation et à la raillerie.

On forçait les prisonniers, non-seulement à payer leur nourriture et leur logement, mais encore leur garde. Cette garde s'exerçait, la nuit, au moyen de chiens énormes, lâchés dans les cours et dans les préaux. Les prisonniers de la Bourbe avaient payé leur chien deux cents francs 2.

Le chien le plus redoutable de la Conciergerie se nommait Ravage; il gardait la grande cour. Des

2

1 Mercier, Almanach des prisons,, p. 66, 67.

Tout s'achetait et se faisait aux dépens des riches. On leur fit même acheter un chien pour les garder, qu'ils payèrent deux cents livres. » Tableau des prisons, p. 68.

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