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Cette Assemblée voulait tenir le roi dans ses mains; elle l'eut à huit heures et demie, ne comprenant pas que l'insurrection le lui arracherait le lendemain.

Le roi, après les paroles qu'il avait prononcées, s'était assis à côté du président. Un membre fit observer que la Constitution s'opposait à ce que le pouvoir exécutif fût présent aux délibérations du pouvoir législatif. Les factieux se servirent ainsi de la Constitution contre la monarchie, jusqu'au moment où il leur convint de la déchirer. Il y avait derrière le fauteuil du président, et à sa droite, une loge servant au rédacteur du Logographe, c'était un réduit de dix pieds de large sur six de haut, et pouvant à peine contenir six personnes assises 1. Toute la famille royale fut entassée dans cette espèce de cachot, qui était le digne vestibule de la tour du Temple.

A quelques instants de là, et comme Vergniaud cédait le fauteuil à Guadet, feignant d'aller rédiger, au comité extraordinaire, les décrets sur la déchéance qu'il avait en poche depuis un mois, un coup de canon ébranla les vitres du Manége.

C'était l'attaque du château des Tuileries par les Marseillais!

Si cette Assemblée factieuse n'avait pas été aveuglée par ses passions, elle aurait compris que ce coup

1 Mathon de la Varenne, Histoire particulière des événe ments, etc., p. 115.

de canon inaugurait le règne de la démagogie, fondait le tribunal révolutionnaire, proclamait le Maximum et la Terreur; et qu'il abattait la puissance limitée de la monarchie, pour élever la puissance illimitée du bourreau!

LIVRE TREIZIÈME

SAC DES TUILERIES.-CHUTE DES GIRONDINS.

Massacres. Pillage du château.- Détails.-On tue jusqu'aux chiens.-Suisses rôtis.-Coeur saignant mangé à l'eau-de-vie. -Retraite des gentilshommes et de quelques Suisses.-Les femmes de la reine sont sauvées.-Les Girondins se partagent les ministères pendant ces massacres.-Tarif des révolutions. -Ce que voulaient les Girondins.-Ils voulaient la monarchie avec leur tutelle.-Décrets qu'ils font rendre.-L'émeute leur ravit leur proie.-Tous les décrets des Girondins sont annulés. La Commune de Paris s'empare de Louis XVI.- La famille royale est conduite au Temple.-Chute des Girondins.

I

:

Ce furent les Marseillais qui entrèrent les premiers, aux Tuileries, après la retraite des Suisses, au cri de la Victoire est à nous ! Ils la prenaient; le lecteur sait qu'ils ne l'avaient pas gagnée. Une foule innombrable, attirée, comme Barbaroux, par les premiers succès, s'y précipita après eux, et ce ne fut, au bout de quelques instants, qu'une fourmilière déguenillée, hurlante, sanglante, marchant, se poussant, se portant, se tordant, des caves jusqu'au faite. On suffoquait, on se pâmait dans cette four

naise ardente et immonde; en bas, on respirait le vin; en haut, on respirait le sang.

La première pensée fut de tuer; on tua tout, les soldats, les huissiers, les domestiques, les frotteurs, les cuisiniers, les marmitons; quand il n'y eut plus de créatures humaines, on tua les chiens.

La seconde pensée fut de voler; on vola le linge, l'argenterie, les bijoux, les assignats, l'argent; l'avocat Daubigny, l'hôte de Marat, vola cent mille francs, que sa femme rapporta le lendemain, devant les menaces d'une poursuite.

La troisième pensée fut de salir, de briser et de détruire; des portefaix mirent les habits du sacre; des mégères mirent les robes de la reine; une échappée des bouges se coucha dans son lit: on brisa les glaces, on jeta les meubles par les fenêtres, et l'on y mit le feu.

Quand on eut tué, volé et brisé, les plus raffinés de ces vainqueurs voulurent reculer les limites connues de la lâcheté et de la férocité humaines : on fit cuire dix-sept Suisses au feu des vastes cheminées, remplies de débris de chaises et de tables; on mit le cœur de l'un d'entre eux à l'eau-de-vie, et on le mangea!

Ces abominations, que l'histoire doit raconter avec calme, parce qu'elles dépassent les forces de l'indignation et du mépris, sont constatées par tous les témoins oculaires.

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