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LIVRE DOUZIÈME

AGONIE DE LA ROYAUTÉ.

Défense du château.-Dissimulation de Petion.-Le commandant Mandat est assassiné.-Santerre est nommé général de la garde nationale.-Personnes présentes au château.-Apparition de Petion. Description des Tuileries en 1792. Louis XVI se confesse.-La reine ne se couche pas.-Trahison de Petion.-Matinée du 10 août.-On réveille les Enfants de France.-Revue passée par le roi.--La cour veut combattre. Les magistrats veulent concilier.-Ils découragent les troupes. La famille royale cède et se retire à l'Assemblée.— Marche du cortége. - Le roi arrive à l'Assemblée.-La loge du Logographe.-Premier coup de canon des Marseillais.

I

L'insurrection du 10 août était si ouvertement préparée et si fermement résolue, qu'on avait dû, dès la veille, prendre des précautions pour la conjurer ou pour la contenir. Ces précautions n'avaient pas pu être sollicitées par la mairie, l'alliéé publique de l'émeute, mais par l'administration du Département, formée d'hommes très-honorables, sinon trèsénergiques. Dès le 9, en effet, Roederer s'était adressé à Petion; et celui-ci, outre l'ordre de renforcer les postes, répondit que le commandant gé

néral avait été autorisé à faire battre le rappel. Telle était, en effet, l'étrange organisation donnée par l'Assemblée constituante à la municipalité de Paris, que les ministres et le roi, complétement désarmés, y étaient placés sous la sauvegarde du maire. Le lecteur sait ce que valait une telle sauvegarde dans le moment présent.

II

Nous avons déjà dit que la garde nationale de Paris, divisée en soixante bataillons, formant six légions, n'avait plus, depuis la fin de 1791, de commandant général. Chaque chef de légion la commandait, à son tour, pendant deux mois. Elle était alors sous le commandement de Mandat, chef de la quatrième légion'.

Jean-Antoine Galiot, marquis de Mandat, demeurant rue Chapon, n° 3, était capitaine aux gardesfrançaises, lorsqu'elles se séparèrent du roi, par suite de l'embauchage de La Fayette, au mois de juillet 1789. C'était un homme résolu, un brave militaire, dépassé comme tant d'autres par le mouvement révolutionnaire auquel il avait eu le malheur de céder; il travaillait honorablement à réparer sa faute; et sa mort lui sera, aux yeux de l'histoire, une suffisante expiation.

1 Almanach royal de 1792, p. 556.

Comme parole de Girondin n'était point, ainsi qu'on l'a dit, parole d'Évangile, Roederer demanda à Mandat s'il était vrai que Petion l'eût autorisé à faire battre le rappel. Mandat répondit qu'il n'avait reçu aucune autorisation semblable. Petion avait menti, au dernier moment, afin que le roi se trouvât complétement sans défense.

Petion avait réellement menti, et non pas simplement oublié ; car, appelé, le 9 au soir, à l'Assemblée, il dit que « la force publique se trouvant, comme tous les citoyens, divisée d'opinions, la requérir, ce serait armer une partie des citoyens contre l'autre ; et qu'il allait se borner, comme par le passé, aux moyens de la raison et de la confiance. » Il mentait encore à l'Assemblée, après avoir menti au Département; car, nous l'avons déjà vu, il était de connivence avec l'insurrection, et il va se faire enfermer et garder chez lui par quatre cents hommes, afin de décliner toute responsabilité dans l'accomplissement d'un attentat dont il voulait profiter, sans avoir le courage de le commettre.

Ce fut le Département qui, sur la réquisition de Roederer, délivra à Mandat une ampliation en forme de la lettre de Petion; et c'est sur cet ordre indirect que le rappel fut battu 3. Mandat appela seize bataillons*.

1 Roederer, Chronique de cinquante jours, p. 350.

2 Moniteur du 11 août 1792.

3 Roederer, Chronique de cinquante jours, p. 351.

Peltier, Histoire de la Révolution du 10 août 1792, t. Ier, p. 28.

Si Petion n'avait pas donné l'autorisation de battre le rappel, ce qui eût été envoyer des défenseurs au roi, il avait néanmoins donné à Mandat l'ordre écrit et signé de repousser la force par la force; ordre complétement dérisoire, dès que la force de Mandat se réduisait à rien 1.

Tant de témoignages se réunissent pour constater l'existence de cet ordre donné par Petion, qu'il ne serait pas possible de le révoquer en doute. D'abord, Mandat en délivra ampliation au baron d'Erlach, capitaine aux gardes-suisses, ainsi qu'à divers commandants de bataillon; ensuite, cet ordre, cet original, fut lu par M. d'Aubier, gentilhomme ordinaire de la chambre, qui offrit plusieurs fois d'en attester la réalité 3.

C'est généralement à la connaissance qu'on aurait eue, à la Commune, de l'existence de cet ordre, que les historiens ont attribué l'assassinat de Mandat; nous montrerons bientôt que cet assassinat eut une

La Biographie des contemporains de Rabbe, d'ailleurs fautive en bien des points, dit à tort que Mandat avait reçu cet ordre de Petion et de M. Carle, son chef de division.

Outre qu'il n'y avait pas de division dans la garde nationale, et que Mandat était son commandant général, M. Carle, récemment commandant du 9e bataillon de la 6 légion, venait de passer comme premier lieutenant-colonel dans la gendarmerie à pied.-Voyez Almanach royal de 1792, p. 561, 565; et Peltier, Histoire de la Revolution du 10 août 1792, t. Ier, p. 123.

2 Peltier, Histoire de la Révolution du 10 août, t. Ier, p. 99. 3 Mathon de la Varenne, Histoire particulière des événements, etc., p. 127.

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