Page images
PDF
EPUB

II

Il y avait eu, au commencement de 1792, un premier envoi de Marseillais à Paris. C'étaient ceux que Barbaroux, parti le 4 février 1792, avait accompagnés, et dont il avait entretenu madame Roland. On les voit courir les rues de Paris, armés de bâtons, vers le milieu de juin, et apporter à la barre de l'Assemblée des adresses atroces. Les Marseillais restés tristement célèbres dans l'histoire, ce sont surtout les deuxièmes, ceux qui formaient le bataillon demandé par Barbaroux.

C'était le maire Mouraille, ami de Barbaroux, qui avait composé ce bataillon. « Animé d'un beau zèle, et bien aise, peut-être aussi, dit un contemporain, de soulager le pavé, il réunit, dans l'espace de quelques jours, cinq cents hommes sous le drapeau : Savoyards, Italiens, Espagnols chassés de leur pays; spadassins, suppôts de mauvais lieux, tout fut trouvé bon. La physionomie de cette troupe répondait de son esprit.

« Les véritables Marseillais y étaient en petit nombre; mais il y en avait, et j'en pourrais citer, qui ne sortaient pas absolument de la classe prolétaire; ceux-là furent accueillis, à leur retour,

par la réprobation des honnêtes gens. La tache resta sur leurs fronts en caractères ineffaçables.

« Les hommes du 10 août, commandés par un ancien militaire nommé Moisson, se mirent en route dans la soirée du 2 juillet, avec deux pièces de campagne, malgré la défense du ministère. On les avait, au préalable, solennellement rangés autour de l'arbre de la Liberté du marché aux fruits, pour y recevoir les adieux et les exhortations du club'. >>>

Le lecteur voit déjà quel genre d'auxiliaires les Girondins donnaient à leur politique; toutefois, l'idée qu'il convient de se former des Marseillais ne serait pas complète, si nous n'y ajoutions ce qu'en écrivait, à ce moment même, Blanc-Gilli, député des Bouches-du-Rhône :

« Des gardes nationales de Marseille, Toulon, Nimes, Montpellier, Avignon, et quelques autres villes des départements méridionaux sont en marche depuis plusieurs jours (5 juillet) pour la capitale. Il est permis de croire que les individus qui les composent se sont réunis sous l'étendard de l'honneur; il est toutefois important de ne vous rien cacher.

<«< La ville de Marseille, assise sur la Méditerranée, au voisinage de cent nations, doit être considérée, à cause de son port, comme la sentine d'une grande

1 Laurent Lautard, Marseille depuis 1789 jusqu'à 1815, t. Ier, p. 134, 135.

2 Le port de Marseille était libre avant la Révolution.

portion du globe, où vont se rendre toutes impuretés du genre humain. C'est là que nous voyons constamment, disposée à fermenter, l'écume des crimes vomis des prisons de Gênes, du Piémont, de la Sicile, de toute l'Italie enfin, de l'Espagne, de l'Archipel, de la Barbarie; déplorable fatalité de notre position géographique et de nos relations commerciales.

« Voilà le fléau de Marseille et la cause des premières fureurs qu'on attribue à la totalité de ses citoyens... Toutes les fois que la garde nationale de Marseille s'est mise en marche au dehors de ses murs, la horde des brigands sans patrie n'a jamais manqué de se jeter à la suite, et de porter la dévastation dans tous les lieux de son passage.

« Plusieurs milliers de ces brigands se rendent, depuis plus d'un mois, à Paris; j'en rencontre tous les jours sur mes pas; un très-grand nombre est encore en route; j'ai communiqué des avis nombreux à l'administration supérieure 1. »

Voilà les troupes des Girondins.

Les Marseillais arrivèrent à Paris le 30 juillet. « Le lundi 30 juillet, dit Prudhomme, les braves Marseillais, célèbres par leurs expéditions patriotiques dans un département du Midi, arrivèrent à

1 Blanc-Gilli, Réveil d'alarme d'un député de Marseille aux bons citoyens de Paris; cité dans les Mémoires de Barbaroux, p. 40, 41.

Paris, où ils étaient attendus et désirés. Ils entrèrent par le faubourg Saint-Antoine, où ils furent reçus comme des libérateurs1. » Ils furent reçus à Charenton par Barbaroux, Fournier l'Américain, Rebecqui, Pierre Bayle, Bourdon (de l'Oise) et Héron". << Santerre n'y parut pas, dit un contemporain; il n'y vint que deux cents individus environ, étrangers à Paris, et vingt-quatre Parisiens bien comptés3. »

Barbaroux n'avait alors à Paris aucune position officielle. Fort jeune et avocat très-inexpérimenté, il faisait, en 1791, de la petite et innocente littérature avec Esménard, dans l'Observateur marseillais. « Le mouvement imprimé à la Révolution, dit-il lui-même, tend à faire disparaître les hommes de bien, et à porter de la fange au timon des affaires les hommes les plus gangrenés d'ignorance et de vices. >> Ce mouvement le prit comme les autres, et le porta à la place de greffier-adjoint de la Commune de Marseille. C'est ainsi que Tallien avait débuté à Paris. Nous l'avons vu partir pour Paris le 4 février 1792; il allait, avec un officier municipal, nommé Loys, ancien gendarme, puis avocat, puis fou, puis révolutionnaire, dénoncer le directoire

1 Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XIII, P. 194.

2 Barbaroux, Mémoires, p. 48.

3 Laurent Lautard, Marseille depuis 1789 jusqu'à 1815, t. Ier, p. 156. Barbaroux, Mémoires, p. 8, 14, 15.

Ibid., p. 12.

6 Ibid., p. 19.

du département des Bouches-du-Rhône à l'Assemblée législative. Il joignit à sa mission, on l'a déjà vu, un petit commerce de bas ', et s'établit rue Gitle-Cœur, à l'hôtel de Toulouse, où se rendaient, de temps immémorial, les voiturins du Midi. C'est la part qu'il prit, avec les Marseillais, à la révolution du 10 août, qui lui valut d'être nommé député à la Convention.

Fournier l'Américain, célébrité sanglante d'août et de septembre, n'était pas un Marseillais, comme l'a cru l'exact chroniqueur de Marseille que nous avons déjà cité. Meillan et Peltier donnent, sur ce personnage, les informations les plus précises; il était Limousin, ayant amassé et perdu un petit patrimoine à Saint-Domingue.

« Ce Fournier, dit Meillan, était un Limousin, sans profession, sans talent; un aventurier subal- ́ terne, revenu de l'Amérique avec une très-mauvaise réputation. Il s'était mis à Paris aux ordres des brigands qui voulaient bien l'employer. Il était de si bonne foi dans sa scélératesse, qu'il parlait ingénument d'une récompense à lui due, par la municipalité, pour une mission qu'il avait remplie par son ordre à Versailles, à l'époque du massacre ; et cette

2

1 Peltier, Histoire de la Révolution du 10 août 1792, t. Ier, p. 121. << Fournier l'Américain était bien, si j'ai bonne mémoire, un véritable descendant des Phocéens. » (Laurent Lautard, Marseille depuis 1789 jusqu'à 1815, t. Ier, p. 104.)

3 Fournier avait pourtant reçu, avant de partir pour sa mis

« PreviousContinue »