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LIVRE NEUVIÈME

ARRIVÉE DES FÉDÉRÉS.

Origine des Fédérés.-Le fédéralisme des Girondins.-Plans de Roland et de Barbaroux. Les Fédérés marseillais. - Ce qu'ils étaient.-Leur arrivée à Paris, leurs excès. - Fournier l'Américain.-Hymnes révolutionnaires.- Le Ça ira.-Lettre inédite de Ladré, auteur du Ça ira. Le Veillons au salut de l'Empire, de Boy.-La Marseillaise.-Comment ce chant, fait à Strasbourg, arriva à Paris par Marseille. · La Carmagnole. — Le Réveil du peuple.

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I

On sait quelle fut l'origine des Fédérés de 1792, qui devinrent l'instrument à l'aide duquel les Girondins détruisirent la monarchie.

Le 4 juin 1792, le ministre de la guerre Servan, l'ami intime et le confident de Roland, prit sur lui, sans avoir consulté ni le roi, ni ses collègues, de proposer à l'Assemblée législative de former sous Paris un camp d'à peu près 20,000 hommes, à l'aide d'environ cinq gardes nationaux équipés aux frais de chaque canton; et de les réunir pour fêter la Fédé

ration du 14 juillet. Les graves événements qui avaient suivi la fuite du roi, et la suspension de ses pouvoirs par l'Assemblée constituante n'avaient pas permis de célébrer la Fédération, le 14 juillet 1791 2.

<< Servan, homme très-noir et très-ennemi du roi, imagina, dit Dumouriez, sans consulter ses collègues, sans prévenir le conseil ni le roi, d'écrire au président de l'Assemblée. C'était à l'époque où la faction de la Gironde était dans toute sa force, ayant à ses ordres les Jacobins, maîtresse de Paris par Petion, influençant l'Assemblée, et ayant la majorité dans le Conseil. Cette faction voulait détruire, peut-être à coups de sabre, les Feuillants, abattre la cour, et probablement commencer l'exécution de son projet républicain.

<«< Ainsi, c'est cette faction qui a amené, la première, à Paris, ces confédérés qui ont fini par la faire périr tout entière sur l'échafaud, après y avoir fait monter l'infortuné Louis3. >>

Nous avons déjà raconté comment le refus de Louis XVI de sanctionner le décret de l'Assemblée, qui établissait ce camp de 20,000 hommes, amena la dislocation du premier ministère girondin, et l'attentat du 20 juin.

C'est pour remplacer ces 20,000 hommes que les

1 Moniteur du 5 juin 1792.

Weber, Mémoires, t. II, p. 199.

3 Dumouriez, Mémoires, t. II, p. 367, 368.

Girondins, à l'aide des affiliations des clubs, organisèrent l'envoi à Paris des Fédérés volontaires. Il en arriva de tous les départements et presque de toutes les villes; mais les plus célèbres de tous, ce furent les Marseillais.

Ce furent bien réellement les Girondins qui organisèrent les Fédérés de 1792, dans le but de subjuguer le gouvernement et de s'en emparer par la force brutale.

« C'est dans le courant de juillet, dit madame Roland, que, voyant les affaires empirer par la perfidie de la cour, nous cherchions où pourrait se réfugier la liberté menacée. Nous causions souvent, avec Barbaroux et Servan, de l'excellent esprit du Midi, et des facilités que présenterait ce local pour y fonder une république, si la cour triomphante venait à subjuguer le Nord et Paris. Nous prenions des cartes géographiques, nous tracions la ligne de démarcation.

Ce sera notre ressource, disait Barbaroux, si les Marseillais que j'ai accompagnés ici ne sont pas assez bien secondés par les Parisiens pour réduire la cour. J'espère cependant qu'ils en viendront à bout, et que nous aurons une Convention qui donnera la république pour toute la France. »

Nous jugeâmes bien, sans qu'il s'expliquât davantage, qu'il se préparait une insurrection; elle paraissait inévitable, puisque la cour faisait des pré

paratifs qui annonçaient le dessein de subjuguer1. » Ou madame Roland était trahie par sa mémoire, ou elle dissimulait une partie notable de sa pensée, car elle avait été parfaitement instruite de l'insurrection, de ses moyens et de son but.

<< Roland, dit Barbaroux, logeait dans une maison de la rue Saint-Jacques, au troisième. Sa femme fut présente à la conversation. Roland me demanda ce que je pensais de la France et des moyens de la sauver. Je lui ouvris mon cœur, et ne lui dissimulai rien de nos premières tentatives dans le Midi. Précisément Servan et lui s'étaient occupés du même plan. Mes confidences amenèrent les siennes; il me dit que la liberté était perdue, si l'on ne déjouait sans retard les complots de la cour.

((- -Armons Paris et les départements du Nord, ajouta-t-il, ou, s'ils succombent, portons dans le Midi la statue de la Liberté, et fondons quelque part une colonie d'hommes indépendants. » Il me disait ces mots et des larmes roulaient dans ses yeux; le même sentiment faisait couler celles de son épouse et les miennes. Roland me serra la main, et fut chercher une carte géographique de la France.

<«< Roland pensait qu'il fallait former, au centre du Midi, des magasins de subsistances, s'assurer de la manufacture d'armes de Saint-Étienne et occuper

1 Madame Roland, Mémoires, 1re partie, p. 55.

l'arsenal de Toulon. Je désirais de mon côté qu'on n'abandonnât pas la Bretagne. La marine de Toulon ne suffira jamais pour donner à un État un rang parmi les puissances maritimes. Brest nous était donc nécessaire 1.

« Le plus sûr, c'était d'exécuter le décret sur le camp de Paris, malgré le veto du roi, la pétition de l'état-major de Paris et les oppositions de Robespierre, qui, sans doute, n'espérait pas trouver dans les départements des sicaires pour ses conspirations. Je promis de demander à Marseille un bataillon et deux pièces de canon. Nous ne perdimes pas un instant; nous écrivimes à Marseille d'envoyer à Paris six cents hommes qui sussent mourir, et Marseille les envoya 2. »

On le voit, ce furent bien les meneurs de la Gironde qui, tout en déclamant contre les perfidies et les trahisons de la cour, organisèrent la révolte et la guerre civile; ainsi que Dumouriez le confirme de son côté, ils firent venir à Paris des Fédérés qui, promptement gagnés par les clubs, tinrent Paris, pendant trois années, sous la pression de la terreur et du meurtre. I

1 Il est assez curieux de voir que les Girondins avaient voulu faire, dans l'intérêt de leur système, ce que les royalistes de Toulon furent contraints de faire dans l'intérêt de leur sûreté personnelle.

2 Barbaroux, Mémoires, p. 37, 38, 39, 40.

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