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quels termes Dumouriez, membre de ce ministère, raconte cette singulière persécution: «Guadet lut une grande lettre fort insolente et fort dure, que les six ministres étaient censés écrire à Louis XVI, pour le forcer à renvoyer son confesseur... Dumouriez dit qu'il ne permettrait pas qu'on écrivit au nom du conseil au roi sur les affaires de sa conscience; qu'il pouvait prendre un iman, un rabbin, un papiste ou un calviniste pour la diriger, sans que personne eût le droit de s'en mêler 1. »

Quant à leur mépris pour la religion et pour le culte, les Girondins ne manquaient aucune occasion de l'afficher.

Barbaroux avait eu un fils d'une jeune amie, comme on disait alors, et il a grand soin de s'excuser d'avoir porté à l'église l'enfant d'Annette.

« A mon départ, dit-il, Annette était enceinte ; ma mère soigna mon amie, et, depuis dix jours, j'avais un fils... Je fus avec ma mère, avec quelques amis présenter mon fils à l'église, cur les officiers publics n'étaient pas encore établis. Le baptême n'est rien aux yeux des philosophes; mais la cérémonie quelle qu'elle soit, par laquelle on transmet son nom à son fils, est bien intéressante pour un père. Le mien fut appelé Ogé Barbaroux. Ogé était un homme de couleur de

1 Dumouriez, Mémoires, t. II, p. 256, 257.

Saint-Domingue... J'ai voulu que mon fils portât son nom avec le mien, parce que c'est celui d'un brave homme 1. »

Quoiqu'il ne fût pas Girondin, Camille Desmoulins était philosophe aussi, et, lorsqu'un fils lui fut né de Lucile Duplessis, sa femme, il alla, dans les singuliers termes que voici, le faire inscrire le 8 juillet 1792, sous le nom d'Horace, sur les registres de sa municipalité :

<< Louis-Simplice-Camille Desmoulins..... a déclaré........... que la liberté des cultes étant décrétée par la Constitution, et que, par un décret de l'Assemblée législative, relatif au mode de constater l'état civil des citoyens, autrement que par des cérémonies religieuses, il doit être élevé dans chaque municipalité de chef-lieu un autel sur lequel les pères, assistés de deux témoins, présenteront à la patrie leurs enfants2, le comparant voulant user des dispositions de la loi constitutionnelle et voulant s'épargner un jour, de la part de son fils, le reproche de l'avoir lié par serment à des opinions religieuses qui ne pouvaient pas encore être les siennes, et de l'avoir fait débuter dans le monde par un choix inconséquent, entre les neuf cents et tant de religions

1 Barbaroux, Mémoires, p. 85, 86.

2 C'est là un trait qui peint les soi-disant philosophes du XVIIe siècle; ils ne croyaient pas à l'autel de Dieu, mais ils croyaient à l'autel de la patrie.

qui partagent les hommes, dans un temps où il ne pouvait seulement pas distinguer sa mère; en conséquence il nous requiert, etc., etc1. >>

C'était bien là, comme on voit, le langage des fils légitimes de la philosophie. A quoi bon des prêtres pour de pareils hommes? Ils auraient volontiers dit. à l'abbé Lambert, comme Voltaire à d'Alembert : << Les cordonniers et les servantes sont le partage des apôtres2; » ou comme Voltaire à d'Argental : « Les prêtres ne doivent avoir d'empire que sur la canaille 3. >>

Quels étaient d'ailleurs les principes moraux de ces hommes, et quels chefs s'étaient-ils donnés?

1 Archives de l'Hôtel de ville de Paris.

2 Lettre de Voltaire à d'Alembert, 2 septembre 1768.

3 Lettre de Voltaire à d'Argental, 27 avril 1765.

LIVRE QUATRIÈME

LES CHEFS DU PARTI DE LA GIRONDE.

SOMMAIRE. - PETION.-Sa faiblesse.-Sa vanité.-Il espère être roi de France.-Railleries de Robespierre. -Jugement de Bertrand de Molleville. - CONDORCET.-Son mariage.-Son ingratitude envers M. de La Rochefoucauld.-BRISSOT.-Son éducation.-Son séjour en Angleterre.-Il est mis à la Bastille. Il entre au service de la maison d'Orléans.-Madame de Genlis marie Brissot.-Voyage aux États-Unis et retour. -Fondation du Patriote Français.-Brissot est membre du comité des recherches de la Commune. -Ses opinions royalistes.

I

PETION.

C'est mal parler peut-être de dire que Petion fut le chef du parti de la Gironde; il en fut tout ce qu'il en pouvait être le mannequin. L'homme qui le connut le mieux, Robespierre, le peignit tout entier d'un mot fort spirituel et fort juste, en l'appelant le Crillon de la révolution du 10 août1.

En effet, la révolution du 10 août se fit au nom de Petion, et il n'y était pas.

Jérôme Petion de Villeneuve, né à Chartres en

1 << Vous fûtes le Crillon de la dernière révolution. » (Robespierre, Lettres à ses commettants, n. 7, p. 308.)

Roederer, dans sa Chronique de cinquante jours, et M. de

1759, et avocat au bailliage de cette ville, fut le roi de ces Gérontes politiques, dont les partis se servent pour masquer leurs menées, pour moraliser leurs intrigues, et pour populariser leurs séditions. Il fut, pour les révolutionnaires de 1792, ce que Necker avait été pour les révolutionnaires de 1787, ce que Bailly avait été pour les révolutionnaires de 1789,une vanité naïve et facile, enchantée de tout, enchantée surtout d'elle-même, riant de bonheur, pleurant par convenance; enfin, le drapeau le plus léger et le plus commode à porter, depuis la botte de foin classique donnée par Romulus aux premiers soldats du Latium.

Les partis ont toujours intérêt à ce que leur chef se recommande par une qualité quelconque, respectée de tous ne pouvant lui donner ni l'esprit, ni le courage, les amis de Petion lui donnèrent la vertu; et Petion s'appela le vertueux, comme Robespierre l'incorruptible.

Ce mot d'ordre une fois donné, la vertu de Petion brilla d'un éclat incomparable; lui-même en fut ébloui; et comme tout le monde en parlait, il finit par y croire. Il payait, avec l'argent de sa police, des journaux en forme d'affiches, où Louvet exaltait

Lamartine, dans ses Girondins, écrivent le nom de Petion avec un h Pethion. C'est une erreur. Les signatures de Petion ne sont pas rares; et tous les collectionneurs d'autographes savent qu'il signait: Petion.

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