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carrières, d'où la faim le fit sortir pour entrer dans un cabaret de Clamart.

La voracité avec laquelle il mangeait, son air inquiet, sa longue barbe, le firent remarquer. On le conduisit au comité révolutionnaire de Clamart, où il se donna pour un domestique, du nom de Simon. Fouillé aussitôt, un Horace, annoté de sa main, donna des soupçons assez naturels, et il fut conduit à Bourg-la-Reine, où on l'emprisonna, en attendant qu'il fût transféré à Paris. Le lendemain matin, comme on lui apportait un morceau de pain et une cruche d'eau, on le trouva mort 1.

Dans l'adresse aux Français, votée par l'Assemblée législative le 13 août, sur la proposition de Condorcet, le philosophe girondin terminait par ces mots son apologie de la révolution du 10 août : «Quelque jugement que nos contemporains puissent porter de nous, nous n'aurons pas à craindre celui de notre conscience, et nous échapperons du moins aux remords. » Dieu seul, témoin du désespoir de Condorcet à son heure fatale, Dieu seul peut savoir si, au moment où il porta le poison à sa bouche, il ne sentit pas naître au fond de son âme éperdue aucun regret de ce qu'il avait fait; ni de la politique révolutionnaire qu'il avait conseillée et pratiquée, ni de

1 Mathon de la Varenne, Histoire particulière des événements, etc., P. 215.

2 Moniteur du 16 août 1792.

la monarchie, sa bienfaitrice, qu'il avait renversée, ni de la mort de Louis XVI, qu'il avait voulu faire marquer et envoyer aux galères perpétuelles !

Roland mourut aussi par le suicide, comme Petion, comme Buzot, comme Condorcet, comme Valazé ; mais ses manies le privèrent de la pitié qui s'attache toujours au malheur, car il mourut ridicule.

La manie principale de Roland, c'était de passer pour ce qu'il appelait vertueux et honnête, chose qui, dans ses idées, signifiait orgueilleux, brutal et malpropre. S'être présenté chez le roi en souliers lacés, tandis que tout Paris y allait en souliers à boucles; avoir prétendu forcer Louis XVI à changer de confesseur, et l'avoir dénoncé à l'Assemblée, le jour de sa sortie du ministère, par une lettre dont la lacheté pèsera éternellement sur la mémoire de madame Roland, son véritable auteur, c'étaient là des traits fondamentaux par où Roland prétendait établir son honnêteté et sa vertu. Louvet avait été chargé d'en reproduire l'éclat dans le journal-affiche la Sentinelle, rédigé avec les fonds secrets du ministère de l'intérieur; et Roland méritait encore mieux que Petion cette raillerie de Robespierre : « Vous ai-je jamais contesté, moi, le ridicule de faire

1 On sait que le vote de Condorcet, sur la peine à infliger à Louis XVI, avait été ainsi formulé: Ad omnia, citra mortem. C'était la formule consacrée, par laquelle les chambres des Présidiaux et des Tournelles condamnaient à la marque ei aux fers à perpétuité.

imprimer tous les jours, de faire placarder même vos vertus, lorsque personne ne les discutait 1? »

Quoiqu'il eût cent fois juré, comme tous les autres, de mourir à son poste, Roland s'était fort judicieusement sauvé, après la révolution du 31 mai, avec cette circonstance d'une honnêteté et d'une vertu néanmoins fort discutables, qu'il laissait derrière lui sa femme et sa fille unique en prison. Arrivé à Rouen, il s'y tint caché jusqu'au 8 novembre 1793. Ce jour-là, madame Roland mourait, à Paris, sur l'échafaud. Ce coup alla droit au cœur de Roland. Il sortit le 15 au soir, à six heures, de la retraite où il s'était confiné, et il prit le chemin de Paris. Arrivé au bourg de Baudouin, il s'appuya contre un arbre et se poignarda.

Eh bien! l'orgueil et la prétention au genre de vertu dont il était fier furent la dernière pensée de Roland; et il mit sur lui, afin de parader encore après sa mort, la pancarte suivante, qu'il avait rédigée à tout événement :

<«< Qui que tu sois qui me trouves gisant, respecte mes restes; ce sont ceux d'un homme qui consacra toute sa vie à être utile, et qui est mort comme il a vécu, vertueux et honnête.

<< Puissent mes concitoyens prendre des sentiments plus doux et plus humains! Le sang qui coule

1 Robespierre, Lettres à ses commettants, n. 7,

p. 323.

par torrents dans ma patrie me dicte cet avis. Non la crainte, mais l'indignation, m'a fait quitter ma retraite, au moment où j'ai appris qu'on avait égorgé ma femme. Je n'ai pas voulu rester plus longtemps sur une terre souillée de crimes 1. >>

Les prisonniers de Paris avaient été massacrés, Roland étant ministre de l'intérieur, le 2, Te 3, le 4, le 5 et le 6 septembre 1792; les clubs avaient fait égorger Louis XVI le 21 janvier 1793; la reine, le 16 octobre; les vingt et un Girondins, le 31 octobre ; le bourreau ne désemparait pas depuis le mois de mars; et Roland s'apercevait seulement le 15 novembre, par la mort de sa femme, que la terre était souillée de crimes! tant le mot célèbre de Bias: Je porte tout avec moi, est la devise naturelle de l'orgueil humain révolté contre la Providence!

VII

Les vingt et un Girondins condamnés moururent vulgairement, sans peur, mais sans éclat. Custines, entouré, au sortir de la Conciergerie, d'une foule hurlante, qui lui criait: A la guillotine! se retourna avec dédain, et lui répondit: On y va, ca

1 Mathon de la Varenne, Histoire particulière des événements, etc., p. 14.

naille! Hébert, aussi lâche que féroce, était fort abattu sur la fatale charrette; et comme le cortége passait dans la rue Saint-Honoré, en face du club des Girondins, Vincent, assis à côté d'Hébert, lui dit en le poussant du coude: Dis donc, Père Duchêne, si tu descendais un instant pour aller faire une motion!

Les Girondins ne montrèrent ni ce dédain du soldat, ni cette ironie du clubiste. D'ailleurs, le temps lui-même était contre eux ; il pleuvait à seaux1; les rues étaient encombrées d'une foule innombrable et hostile; et la vue était douloureusement frappée de la petite charrette qui portait, couché sur le dos et la figure découverte, le cadavre de Valazé2.

(( Depuis 1766 à l'exécution de Lally, dit le Bulletin du Tribunal révolutionnaire, et 1777, à l'exécution de Desrues, on n'avait vu une foule si immense. de spectateurs. Les ponts, les quais, les places et les rues étaient remplis d'un peuple nombreux. Les fenêtres regorgeaient de citoyens des deux sexes. Le long de leur route, ils ont entendu des milliers de voix crier Vive la République! A bas les traîtres!

<«< Aucun d'eux ne marquait d'inquiétude, sinon Brissot et Fauchet (ils étaient dans deux voitures séparées), sur le visage desquels on remarquait un air

1 Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVII, p. 148. Cette scène est fidèlement représentée dans une gravure des Révolutions de Paris, qui parut quatre jours après l'événement, n. 212, t. XVII, p. 148, 149.

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