Page images
PDF
EPUB

Ainsi, les Girondins n'étaient unis entre eux ni par les relations, ni par les affections, ni par l'estime. On a vu Grangeneuve nier le patriotisme de Vergniaud, de Guadet, de Gensonné et de Brissot, et donner la plus misérable ambition pour mobile à leur conduite; on a vu Vigée déclarer qu'il connaissait fort peu ses collègues; on a vu Vergniaud se défendre de toute intimité avec Brissot et avec Gensonné; on a vu Sillery renier Petion, auquel il avait pourtant confié sa femme; on a vu Ducos soupçonner la pureté des liaisons de Gensonné, détester ses opinions politiques, et convaincu par témoins d'avoir dit qu'il était le plus scélérat du parti; on a vu les Girondins, assis au tribunal, s'accorder pour rejeter toute la responsabilité sur les Girondins en fuite; on a vu enfin Boileau abjurer les doctrines de la Gironde, se déclarer Jacobin et Montagnard, à l'audience, et faire planer sur ses compagnons le soupçon d'avoir assassiné Marat.

Quelles vues politiques pouvaient avoir en commun des hommes séparés par des sentiments si bas, que la conformité du malheur ne pouvait pas les unir, au moins en apparence, et tant qu'ils restaient sous les yeux de leurs bourreaux? Nous allons montrer qu'en effet ils n'en avaient pas; et que ces chefs d'un des plus grands partis de la Révolution n'avaient aucune opinion politique arrêtée, pas même celles dont on les accusait, et pour lesquelles ils allaient mourir.

VII

Cinq griefs ou cinq prétextes étaient mis en avant par les Montagnards pour égorger les vaincus du 31 mai 1793, indépendamment des conspirations banales, qui étaient comme la ritournelle obligée de tous les actes d'accusation à cette époque.

On reprochait aux Girondins d'avoir voté une force départementale pour opprimer la ville de Paris;-d'avoir dirigé et exagéré les opérations de la commission des Douze, chargée de poursuivre les conspirateurs;-d'avoir fait un crime à Pache, maire de Paris, de la fermeture des barrières, le 2 juin;— enfin d'avoir attaqué la municipalité insurrectionnelle du 31 mai, et de n'avoir pas aimé Marat. 'C'étaient là les crimes, et les plus grands, pour lesquels on montait à l'échafaud, sous le régime de la Terreur.

-

Eh bien ! la plupart des Girondins vont s'inscrire en faux contre ces accusations, et déclarer qu'ils ont repoussé la garde départementale, blâmé la commission des Douze, approuvé Pache, vanté la Commune insurrectionnelle et défendu Marat!

C'est vers la fin de septembre 1792, lorsqu'ils eurent vu que les fruits du crime du 10 août étaient

cueillis par d'autres; que la monarchie, dont ils n'avaient voulu qu'être les ministres, était abattue,

et

que les révolutionnaires de Paris, dont ils avaient cherché à se faire des auxiliaires, étaient devenus leurs maîtres, que les Girondins se virent clairement perdus, s'ils ne parvenaient pas à maîtriser les forces insurrectionnelles des faubourgs, les Jacobins et la Commune. Une garde de vingt-quatre mille hommes, fournie par les quatre-vingt-trois départements, leur parut être un moyen sûr de maintenir Paris. Lanjuinais la proposa le 3 octobre, et, le principe une fois voté, Buzot présenta le rapport sur son organisation cinq jours après1.

Comme on le pense bien, les révolutionnaires de Paris voyaient aussi clair que les Girondins dans cette question; les pétitions des clubs et des faubourgs y mirent bon ordre; et la garde départementale fut dissoute le 12 août 1793, avant d'avoir été complétement organisée *.

Ce fut donc là le premier grief élevé contre les Girondins. Or, voici, sur la déposition de Pache, les réponses de trois des principaux accusés :

:

Vergniaud « Le témoin dit que la faction avait voté pour l'établissement de la force départementale, et il en a tiré la conséquence qu'elle voulait fédéraliser la république. Ceci s'adresse à tous les

1 Moniteur du 7 et du 9 octobre 1792.

2 Moniteur du 14 août 1793.

[ocr errors]

Vigée « Si l'établissement de la commission des Douze est le résultat d'une intrigue, elle m'était absolument étrangère 1. >>

-Boileau: « Si l'établissement de la commission des Douze est la suite d'un complot, il paraît que les meneurs ne m'en ont nommé membre que pour inspirer de la confiance 2. »

La fermeture des barrières de Paris était l'accompagnement obligé de toutes les grandes mesures révolutionnaires. On les ferma le 10 août, le 2 septembre et le 31 mai. C'était un moyen d'arrêter plus sûrement les gens dont on voulait la bourse ou la vie, et il est à noter que cette mesure fut toujours l'œuvre de la Commune. C'est spécialement contre les Girondins qu'elle fut prise, le 31 mai; et, à ce titre, Guadet et Gensonné la blâmèrent vivement, au sein du Comité de sûreté générale; mais on va voir que, sur ce point comme sur les autres, il n'y avait aucune sorte d'unité dans les idées de la Gironde.

-Gensonné: « J'ai appartenu au Comité de súreté générale, et je m'y trouvai le jour où la Commune avait fait fermer les barrières de Paris. Je dis au maire, qui y vint : Cette mesure est contraire aux lois, et je vous conseille de faire ouvrir les barrières le plus tôt possible. Je fus présent à la sortie violente de Guadet; mais Pache ayant observé que ce n'était p. 162.

1 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, n. 41, Ibid., n. 41, p. 164.

qu'une fermeture momentanée, on fut sur-le-champ d'accord, et tout le monde qui se trouvait là blåma la sortie de Guadet. »

Vergniaud: « Je ne sais pas si le témoin est venu deux fois au comité pour le même objet; je m'y trouvai une fois, et je le prie de déclarer si je n'appuyai pas la mesure de fermer les barrières, lorsqu'il eut déclaré que ce n'était qu'une garde de sûreté qu'on voulait y établir 1. »

IX

La révolution du 31 mai 1793, qui dura jusqu'au 2 juin, fut l'acte même par lequel les Girondins furent arrêtés sur leurs bancs, déclarés traîtres à la patrie ou mis hors la loi. Une insurrection dont Pache, Hébert et Danton étaient les chefs, envahit la Convention, l'entoura de canons, empêcha les députés de sortir, et imposa par la force la suppression de la commission des Douze, l'établissement de l'armée révolutionnaire, à quarante sous par soldat et par jour, payés par les riches, et l'arrestation immédiate de vingt-deux représentants.

Certes, si jamais il y eut un acte odieux, atroce, infâme, ce fut cette révolution du 31 mai, accomplie par la Commune insurrectionnelle et par Hanriot, an

1 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2o partie, p. 164-165.

« PreviousContinue »