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L'une des choses dont s'honorait Brissot, au milieu de sa carrière politique, c'était de s'être voué à la destruction du christianisme. « La tyrannic religieuse et politique, dit-il, m'avait révolté, depuis le moment où j'avais commencé à réfléchir, J'avais dès lors juré de consacrer ma vie à leur destruction. La première succombait sous les efforts redoublés des Rousseau, des Voltaire, des Diderot, des d'Alembert (1).

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Dès le 24 mai 1792, Guadet, renouvelant, au nom de la philosophie, l'esprit de persécution qui révoqua l'édit de Nantes, fit voter par l'Assemblée législative la peine de la déportation contre les prêtres qui refusaient de prêter serment à la nouvelle et absurde organisation de l'Église catholique, œuvre des protestants et des athées, connue sous le nom de Constitution civile du clergé.

Le ministère girondin était allé plus loin : il avait prétendu, lui qui certes ne se confessait pas, donner de sa main un confesseur à Louis XVI. Voici en quels termes Dumouriez, membre de ce ministère, raconte cette singulière persécution : « Guadet lut une grande lettre, fort insolente et fort dure, que les six ministres étaient censés écrire à Louis XVI, pour le forcer à renvoyer son confesseur... Dumouriez dit qu'il ne permettrait pas qu'on écrivit, au nom du conseil, au roi sur les affaires de sa conscience; qu'il pouvait prendre un iman, un rabbin, un papiste ou un calviniste pour la diriger, sans que personne eût le droit de s'en mêler (2). »

Quant à leur mépris pour la religion et pour le culte, les Girondins ne manquaient aucune occasion de l'afficher.

Barbaroux avait eu un fils d'une jeune amie, comme on disait alors, et il a grand soin de s'excuser d'avoir porté à l'église l'enfant d'Annette.

"A mon départ, dit-il, Annette était enceinte; ma mère

(1) Brissot, Réponse à tous les libellistes qui ont attaqué et qui attaquent ma vie passée, p. 8.

(2) Dumouriez, Mémoires, t. II, p. 256 et 257.

soigna mon amie; et, depuis dix jours, j'avais un fils... Je fus avec mère, avec quelques amis, présenter mon fils à l'église, car les officiers publics n'étaient pas encore établis. Le baptême n'est rien aux yeux des philosophes; mais la cérémonie, quelle qu'elle soit, par laquelle on transmet son nom à son fils, est bien intéressante pour un père. Le mien fut appelé Ogé Barbaroux. Ogé était un homme de couleur de Saint-Domingue... J'ai voulu que mon fils portât son nom avec le mien, parce que c'est celui d'un brave homme (1).

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Quoiqu'il ne fût pas Girondin, Camille Desmoulins était philosophe aussi; et, lorsqu'un fils lui fut né de Lucile Duplessis, sa femme, il alla, dans les singuliers termes que voici, le faire inscrire, le 8 juillet 1792, sous le nom d'Horace, sur les registres de sa municipalité :

<< Louis-Simplice-Camille Desmoulins... a déclaré... que la liberté des cultes étant décrétée par la Constitution, et que, par un décret de l'Assemblée législative, relatif au mode de constater l'état civil des citoyens, autrement que par des cérémonies religieuses, il doit être élevé, dans chaque municipalité de chef-lieu, un autel sur lequel les pères, assistés de deux témoins, présenteront à la patrie leurs enfants (2), le comparant, voulant user des dispositions de la loi constitutionnelle, et voulant s'épargner un jour, de la part de son fils, le reproche de l'avoir lié par serment à des opinions religieuses qui ne pouvaient pas encore être les siennes, et de l'avoir fait débuter dans le monde par un choix inconséquent, entre les neuf cents et tant de religions qui partagent les hommes, dans un temps où il ne pouvait seulement pas distinguer sa mère; en conséquence, il nous requiert, etc., etc. (5).

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C'était bien là, comme on voit, le langage des fils légitimes

(1) Barbaroux, Mémoires, p. 85 et 86.

(2) C'est là un trait qui peint les soi-disant philosophes du xvIe siècle; ils ne croyaient pas à l'autel de Dieu, mais ils croyaient à l'autel de la Patrie. (5) Archives de l'hôtel de ville de Paris.

de la philosophie. A quoi bon des prêtres pour de parcils hommes? Ils auraient volontiers dit à l'abbé Lambert, comme Voltaire à d'Alembert: « Les cordonniers et les servantes sont le partage des apôtres (1); ou comme Voltaire à d'Argental: « Les prêtres ne doivent avoir d'empire que sur la canaille (2).» Qu'étaient d'ailleurs ces hommes, et qu'avaient-ils été ?

XXXI

Ce serait mal parler de dire que Petion fut le chef du parti de la Gironde; il en fut tout ce qu'il en pouvait être : le mannequin. L'homme qui le connut le mieux, Robespierre, le peignit tout entier d'un mot fort spirituel et fort juste, en l'appelant le Crillon de la révolution du 10 août (3).

En effet, la révolution du 10 août se fit au nom de Petion, et il n'y était pas.

Jérôme Petion (4) de Villeneuve, né à Chartres en 1759, et avocat au bailliage de cette ville, fut le roi de ces Gérontes politiques, dont les partis se servent pour masquer leurs menées, pour moraliser leurs intrigues, et pour populariser leurs séditions. Il fut, pour les révolutionnaires de 1792, ce que Necker avait été pour les révolutionnaires de 1787, ce que Bailly avait été pour les révolutionnaires de 1789, une vanité naïve et facile, enchantée de tout, enchantée surtout d'elle-même, riant de bonheur, pleurant par convenance; enfin, le drapeau le plus léger et le plus commode à porter, depuis la botte de foin classique donnée par Romulus aux premiers soldats du Latium.

(1) Lettres de Voltaire à d'Alembert, t. II, lettre no 235, 2 septembre 1768. (2) Correspondance générale de Voltaire, lettre à d'Argental, 27 avril 1765. (3) « Vous fûtes le Crillon de la dernière révolution.

à ses commellants, no 7, p. 308.

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Robespierre, Lettres

(4) Ræderer, dans sa Chronique de cinquante jours, et M. de Lamartine, dans ses Girondins, écrivent le nom de Petion avec un h, Pethion. C'est une erreur. Les signatures de Petion ne sont pas rares; et tous les collectionneurs d'autographes savent qu'il signait Petion.

Les partis ont toujours intérêt à ce que leur chef se recommande par quelque qualité quelconque, respectée de tous : ne pouvant lui donner ni l'esprit, ni le courage, les amis de Petion lui donnèrent la vertu ; et Petion s'appela le vertueux, comme Robespierre l'incorruptible.

Ce mot d'ordre une fois donné, la vertu de Petion brilla d'un éclat incomparable; lui-même en fut ébloui; et comme tout le monde en parlait, il finit par y croire. Il payait, avec l'argent de sa police, des journaux en forme d'affiche, où Louvet exaltait cette vertu; et Petion, au dire de Robespierre, la faisait placarder lui-même.

Quoique Robespierre ne l'aimat point, et que son témoignage doive être pesé pour cette raison, on est forcé de reconnaître qu'il l'a connu mieux que personne, et qu'il l'a peint d'après nature. C'était bien, comme il dit, « un visage épanoui par un rire éternel (1); » c'était l'homme du monde « dont le sang circule le plus doucement, dont le cœur est le moins agité par le spectacle des perfidies humaines, dont la philosophie supporte le plus patiemment la misère d'autrui (2). »

Petion se défendait d'une façon fort grotesque de cette bonhomie ridicule, et il disait, comme l'eût fait Necker, Bailly ou Roland, dans son Compte-Rendu à la commune de Paris: « Jamais homme en place ne pensa et n'agit par lui-même autant que moi. » A quoi Robespierre répondait, au sujet de la formation du premier ministère girondin :

Vous vous calomniez vous-même, quand vous prétendez que vous n'êtes mené par personne. Peut-être même êtes-vous persuadé de bonne foi; mais il n'en est rien, je vous jure. Lc sait-on, quand on est mené? Voyez encore ce qui se passe sur nos théâtres. Lorsqu'une adroite soubrette, ou un valet intrigant, conduit un Géronte ou un Orgon comme par la lisière,

(1) Robespierre, Lettres à ses commettants, no 7, p. 316. (2) Ibid., p. 326,

ne voyez-vous pas avec quel art les fripons s'extasient sur la rare sagesse et sur l'incroyable fermeté du bonhomme, et comme celui-ci s'écrie, dans les éclats de sa joie bruyante : «Oh! je sais bien qu'on ne me mène pas, moi; et s'il y a une «forte tête en France, je vous garantis que c'est celle-ci ! »

« Par exemple, au mois de mars dernier, quand les ministres furent renouvelés, je vous ai vu dans la ferme croyance que c'était vous qui les aviez choisis. Comme je vous demandais si cette demande de la cour ne vous était pas suspecte, vous me répondites, avec un air de contentement très-remarquable. « Oh! si vous saviez ce que je sais! si vous saviez qui les a désignés ! » Je vous devinai, et je vous dis, en riant de votre bonne foi: « C'est vous, peut être? » Et alors, vous frottant les mains : « Hem! hem!» me répondites-vous.

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« Je vais vous dire comment vous vous étiez persuadé à vous-même que vous aviez créé les ministres.

"Quand Brissot et quelques patriotes de même trempe, de concert avec Narbonne, du consentement de la Fayette, et par l'entremise de quelques femmes, telles que la baronne de Staël, la marquise de Condorcet, eurent tout arrangé, et que les clauses de la transaction furent arrêtées, Brissot vint vous dire : « Qui nommerons-nous ministres? Roland? Clavière? ils sont << bons; les voulez-vous?- Parbleu, oui... Roland, Clavière... «Oh! mais, savez-vous que ça serait délicieux, qu'on les " nomme ! "} Et vous avez cru que le ministère était votre

ouvrage (1).

Tel fut en effet Petion; plastron des projets d'autrui, tant qu'il vécut; commençant par obéir à la Fayette, finissant par obéir à Maillard; trouvant, dans son inépuisable faiblesse, des raisons pour justifier tout ce qu'il n'osait empêcher; et prenant à la fin son parti de tout, même du crime.

Petion n'avait pas voulu la révolution du 10 août, et il s'en

(1) Robespierre, Lettres à ses commettants, no 7, p. 331, 332 et 335.

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