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Saint-Antoine, où les pétitionnaires se rassemblaient, pour les éclairer sur la misérable manœuvre qu'on préparait. Il harangua le peuple, assemblé dans l'église des Quinze-Vingts. Il était trop tard; et son prône civique échoua contre ces mots, qui furent prononcés en présence de 3,000 individus : « Nous sommes sûrs de Pétion; Pétion le veut; Pétion est pour nous (1).

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Et comme Pétion avait relevé ces paroles, Robespierre lui répliqua ainsi : « N'est-il pas vrai que le but annoncé du mouvement du 20 juin était le rappel des ministres Clavière et Roland? N'est-il pas vrai que les ministres étaient les amis intimes de Brissot et Guadet, et les vôtres, et qu'ils avaient été placés par ce parti? N'est-il pas vrai que ce mouvement était prédit huit jours d'avance, et que le jour même en était fixé (2)? »

Ainsi, rien ne saurait être établi plus clairement, et par des témoignages plus directs, que la participation honteusement intéressée des Girondins dans l'ignoble émeute du 20 juin 1792.

III

Une enquête judiciaire fut commencée par le juge de paix de la section du Roi-de-Sicile; et un soldat volontaire du bataillon de l'ile Saint-Louis, décoré de la croix militaire, nommé Lareynie, fit connaître, en ces termes, les personnages subalternes que les Girondins avaient mis en œuvre pour soulever le faubourg Saint-Antoine :

« Le témoin a déclaré que depuis huit jours environ (depuis le 16 juin), il savait, par les correspondances qu'il a dans le faubourg Saint-Antoine, que les citoyens de ce faubourg étaient travaillés par le sieur Santerre, commandant du bataillon des

(1) Lettres de Maximilien Robespierre à ses commellants, no 7, p. 315 et 314. (2) Idem, no 10, p. 444.

Enfants-Trouvés, et par d'autres personnages, au nombre desquels étaient le sieur Fournier, se disant Américain et électeur de 1791, du département de Paris; le sieur Rotundo, se disant Italien; le sieur Legendre, boucher, demeurant rue des Boucheries-Saint-Germain ; le sieur Buirette-Verrières, demeurant au-dessus du café du Rendez-vous, rue du Théâtre-Français; lesquels tenaient nuitamment des conciliabules chez le sieur Santerre ; que là, on délibérait en présence d'un petit nombre d'affidés du faubourg, tels que le sieur Rossignol, ci-devant compagnon orfévre; le sieur Nicolas, sapeur du bataillon des Enfants-Trouvés; le sieur Brière, marchand de vin; le sieur Gonor, se disant vainqueur de la Bastille, et autres qu'il pourra citer.

«Que c'est là qu'on arrêtait les motions qui devaient être agitées dans les groupes des Tuileries, du Palais-Royal, de la place de Grève, et surtout de la porte Saint-Antoine, place de la Bastille; qu'on y rédigeait les placards incendiaires, affichés par intervalle dans les faubourgs, les pétitions destinées à être portées par des députations dans les sociétés patriotiques de Paris; et enfin que c'est là que s'est forgée la fameuse pétition et tramé le complot de la journée du 20 juin.

«Que lors de cette journée du 20, le sieur Santerre, voyant que plusieurs des siens, et surtout les chefs de son parti, effrayés par l'arrêté du directoire du département, refusaient de descendre armés, sous prétexte qu'on tirerait sur eux, les assura qu'ils n'avaient rien à craindre, que la garde nationale n'aurait pas d'ordres, et que M. Pétion serait là (1). »

Voilà quels étaient les conjurés avec lesquels les Girondins. allaient ourdir nuitamment leurs trames honteuses, et par quelles mains ils prétendaient faire enlever de force le pouvoir que la royauté leur retirait.

Eh bien! c'est, comme nous disions, pour avoir échoué dans

(1) Ferrières, Mémoires, l. III; pièces officielles, p. 426.

l'émeute du 20 juin, qu'ils préparèrent ce qui devait être la révolution du 10 août.

IV

Une tradition ancienne et des erreurs modernes, l'éclat toujours plus ou moins grand que jettent les sciences et les lettres, l'intérêt qui s'attache à la jeunesse et au malheur, toutes ces causes réunies ont rendu célèbre la dénomination de Girondins. Toutefois, il faut bien le reconnaître, les hommes qu'elle désigne doivent moins cette célébrité à leurs propres mérites qu'à la juste exécration dont l'histoire poursuivra éternellement leurs vainqueurs et leurs bourreaux.

On réunirait dans les mêmes hommes la férocité, la sottise et la crapule, que ce serait à peine donner une idée de ce qu'on nommait les Montagnards. Danton, leur chef et leur victime, pouvait seul les peindre, et il les définissait ainsi : « C'est un tas de b...... d'ignorants, qui ne sont patriotes que quand ils sont souls; ils n'ont pas le sens commun; mais ils ont des c..... (1). » Il faut que le lecteur pardonne à l'historien ces paroles infâmes; nul ne saurait toucher aux choses et aux hommes de la Terreur, sans se salir un peu de leur sang et de leur boue.

C'est à l'un de ses amis, au journaliste Prudhomme, que Danton donnait, dans les termes exprès que nous venons de mentionner, cette idée des Montagnards; et il la complétait plus tard en ces mots, formule habituelle et bien digne des idées de ce grossier et cynique tribun: « Je suis de la Montagne, nous ne formons qu'une faible minorité de l'Assemblée, et nous ne sommes qu'un tas de gueux, bien inférieurs en talents aux Girondins et aux Brissotins. Ces b...... nous feraient guillotiner, si nous avions le dessous, en nous faisant

(1) Prudhomme, Histoire impartiale des révolutions, t. IV, p. 27.

un crime du 10 août, des journées de septembre et de la mort de Capet, dont ils ont été d'accord; mais nous avons plus d'audace qu'eux, et la canaille est à nos ordres (1).

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L'horreur attachée aux principes, aux actes, aux personnes des Montagnards a donc jeté, comme nous disions, une sorte d'intérêt, de pitié et d'admiration sur les Girondins; mais ils n'étaient ni moins factieux, ni moins révolutionnaires, et la postérité ne leur doit pas un moindre mépris.

V

Pendant les derniers temps de l'assemblée législative, aussi longtemps qu'ils ne formèrent qu'une espèce de secte philosophique et littéraire, dirigée par Condorcet, par Brissot et par Roland, les hommes qu'on désigne sous le nom de Girondins ne s'appelaient encore que Brissotins ou Rolandins. Le nom de Girondins leur fut donné pendant les premiers temps de la Convention, lorsqu'ils formèrent un parti considérable et puissant, maître des affaires, et plus spécialement dirigé par Gensonné, Guadet et Vergniaud.

Sur douze membres dont se composait la députation du département de la Gironde, huit seulement appartenaient au parti dit girondin. C'étaient Pierre-Victorin Vergniaud, Amand Gensonné, Jean-François Ducos, Jean-Baptiste BoyerFonfrède, Jacques Lacaze, François Bergoeing, MargueriteÉlie Guadet, et Jacques-Antoine Grangeneuve.

Les quatre autres, Jay de Sainte-Foy, Garreau, Duplanticr et Deleyre, appartenaient au parti montagnard.

Environ cinquante autres députés, représentant une trentaine de départements, formaient, avec les huit députés bordelais, le noyau du parti girondin, dont les auxiliaires appartenaient à la partie de la Convention nomméc le Marais, et

(1) Prudhomme, Histoire impartiale des révolutions, t VI, p. 271 et 272.

que, pour cette raison, les démagogues désignaient par le terme méprisant de marécageux (1).

Les plus célèbres de ces Girondins, étrangers au département de la Gironde, étaient : Brissot et Pétion, députés d'Eureet-Loir; Condorcet, député de l'Aisne; Louvet, député du Loiret; Roland, ministre de l'intérieur; Buzot, député de l'Eure; Barbaroux, député des Bouches-du-Rhône; Salles, député de la Meurthe; Isnard, député du Var; Fauchet, député du Calvados; Carra, député de Saône-et-Loire; Lasource, député du Tarn; Sillery, député de la Somme; Gorsas, député de Seine-et-Oise; et Meillan, député des Basses-Pyrénées.

Deux journalistes, étrangers à la Convention, se faisaient remarquer dans leurs rangs : c'étaient Girey-Dupré et Marchena.

Dix-huit autres Girondins méritent encore d'être nommés, parce qu'ils périrent sur l'échafaud ou se tuèrent de leur propre main, victimes des principes révolutionnaires qu'ils avaient déchaînés : c'étaient Lauze-Duperret, Duprat et Mainvielle, députés des Bouches-du-Rhône; Gardien, député d'Indre-et-Loire; Dufriche-Valazé, député de l'Orne; LesterptBeauvais, député de la Haute-Vienne; Duchâtel, député des Deux-Sèvres; Lehardy, député du Morbihan; Boileau, député de l'Yonne; Antiboul, député du Var; Vigée, député de Maine-et-Loire; Cussy, député du Calvados; Valady, député de l'Aveyron; Lidon et Chambon, députés de la Corrèze; Biroteau, député des Pyrénées-Orientales; Rabaud-SaintÉtienne; et enfin la belle et malheureuse madame Roland.

(1) Moniteur du 23 janvier 1794; discours d'Audouin au club des Jacobins.

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