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de la révolution avaient préparé et inauguré un régime sous lequel la prudence voulait qu'un homme politique fût prêt, à tout instant, à éviter par la mort furtive du suicide la mort

quelques autres citoyens dont les noms ne nous sont pas connus, la généreuse abnégation de ces derniers méritait d'être couronnée d'un plein succès.

Valady, dès le premier jour, se dirigea sur Périgueux; plusieurs personnes lui donnèrent l'hospitalité sur sa route. Des notes qu'il prenait, afin peut-être de leur témoigner plus tard sa reconnaissance, faillirent leur être funestes, et quelques jours après que sa tête fut tombée à Périgueux, quelques-unes d'entre elles payèrent de leur liberté le dévouement dont elles avaient fait preuve. Nous pouvons citer, parmi les familles qui le reçurent, MM. Borie, Gueyssard, Paquerée et Riffaud.

Buzot, Petion et Barbaroux, après avoir demeuré plusieurs jours chez M. Coste, à Castillon, furent forcés de s'éloigner de cette maison, que le soupçon commençait déjà à signaler. Pendant trois jours, ils restèrent cachés sous un pont placé sur un ruisseau qui traverse la ville, et là, une partie du corps plongée dans l'eau, ils passèrent de longues heures à méditer, peut-être, le projet qui mit fin à leur vie. Quelques jours après, en effet, Petion et Buzot mirent à exécution ce sinistre projet, dans une pièce de blé située dans la commune de Saint-Magne, où ils avaient cherché un refuge. Leurs corps furent trouvés, non en partie dévorés par les bêtes, mais putréfiés. Ils furent inhumés sur place, à cause de cet état de décomposition.

On pense également qu'une troupe de jeunes gens ayant passé sur la grande route, avec un tambour, quinze jours environ avant celui où l'on trouva ces cadavres, le bruit qu'ils entendirent leur fit supposer qu'un corps de troupes était à leur recherche, ce qui hâta la détermination qu'ils avaient prise d'attenter à leurs jours. Cette circonstance est racontée par Guadet, neveu du Girondin, dans son ouvrage sur les antiquités de Saint-Émilion. Elle paraît d'ailleurs certaine. Cependant l'acte de décès ne fait aucuue mention de la cause de la mort de Petion et de Buzot. On ignore si des pistolets furent trouvés près des cadavres. On n'a pu retrouver ni le procès-verbal qui fut dressé par le juge de paix, ni le rapport de l'officier de santé. Mais la version du suicide est trèsaccréditée dans la contrée, et n'a peut-être été jamais révoquée en doute.

Barbaroux, plus jeune qu'eux, ne suivit point leur exemple, et plusieurs jours encore il erra dans les environs de Castillon, se cachant le jour dans les blés et les bois taillis. M. Coste lui envoyait des vivres le plus souvent qu'il le pouvait, sans éveiller les soupçons; il en avait fait, du reste, autant à l'égard de Buzot et de Pétion. Un jour enfin, Barbaroux s'était assis sous un arbre, et mangeait les provisions qu'il venait de recevoir. La faim l'avait empêché de prendre toutes les précautions que sa position exigeait ; il n'avait pas achevé son repas, qu'un bruit qu'il entendit lui fit lever la tête, et il vit un homme monté sur l'arbre qui le dominait; cet homme ramassait des feuilles pour le bétail. Barbaroux se crut découvert, et aussitôt il se tira un coup de pistolet, qui lui

publique de l'échafaud (1). Mis hors la loi, le 28 juillet 1795, pour s'être soustrait au décret d'arrestation, Condorcet sortit de Paris déguisé en ouvrier, et se retira à Sceaux, où il espérait trouver un asile chez un ami. N'ayant pas trouvé cet ami chez lui, il erra plusieurs jours et plusieurs nuits dans les carrières, d'où la faim le fit sortir pour entrer dans un cabaret de Cla

mart.

fit une légère blessure à la tête, derrière l'oreille. Le témoin de cette scène, qui se passait dans la même commune et près de l'endroit où l'on trouva plus tard les cadavres de Petion et de Buzot, cet homme, disons-nous, attira par ses cris un grand nombre de personnes, et l'on transporta à Castillon Barbaroux, que la douleur avait fait évanouir.

On le déposa dans le local qui est aujourd'hui encore l'hôtel de ville, dans l'appartement occupé actuellement par le concierge Guitard. Pendant les premiers jours, il ne voulut point répondre aux questions qui lui étaient faites, et comme l'on ignorait que Barbaroux fùt dans la Gironde, son linge de corps, marqué R. B., fit supposer que c'était Buzot. Son silence, néanmoins, eut un terme, et il déclina ses noms

Le maire d'alors, M. Lawaich, homme d'une haute intelligence, allait le visiter souvent, et Barbaroux paraissait se plaire beaucoup à sa conversation. Douze jours environ s'écoulèrent ainsi; enfin l'ordre de l'envoyer à Bordeaux arriva; il fut embarqué à bord d'un bateau appartenant au sieur François Bordes. M. de Lamartine le fait voyager sur une charrette, sans doute pour avoir l'occasion de dire qu'une trainée de sang marqua sa route vers l'échafaud.

Pendant les quelques jours qu'il demeura à Castillon, il parlait souvent de sa mort prochaine, et ses appréhensions, qui avaient pour lui le caractère de la certitude, ne parurent pas lui inspirer le moindre sentiment de crainte. J'ai causé avec un vieillard de Castillon qui se souvient d'avoir vu transporter Barbaroux sanglant dans l'hôtel de la mairie. Il me parlait avec admiration de la beauté de ses traits et de sa haute stature.

Le peuple de Saint-Magne appelle le champ où furent trouvés les cadavres de Buzot et de Petion, et où leurs restes sont encore enfouis, le Champ des Émigrés. Comment se fait-il que personne n'ait songé à faire exhumer ccs restes, et à donner une sépulture à l'ancien maire de Paris, qui repose dans une vigne, sans épitaphe, et dont les cendres sont foulées journellement par les possesseurs insouciants de cette terre consacrée par l'infortune et par la mort?

(1) « O toi qui arrêtas la main avec laquelle tu traçais le tableau des progrès de l'esprit humain, pour porter sur tes lèvres le breuvage mortel, d'autres pensées et d'autres sentiments ont incliné ta volonté vers le tombeau, dans ta dernière délibération : tu as rendu à la liberté ton âme républicaine, par ce poison qui avait été partagé entre nous comme le pain entre des frères! » Garat, Mémoires, p. 38.

La voracité avec laquelle il mangeait, son air inquiet, sa longue barbe, le firent remarquer. On le conduisit au comité révolutionnaire de Clamart, où il se donna pour domestique, du nom de Simon. Fouillé aussitôt, un Horace, annoté de sa main, donna des soupçons assez naturels, et il fut conduit à Bourg-la-Reine, où on l'emprisonna en attendant qu'il fût transféré à Paris. Le lendemain matin, comme on lui apportait un morceau de pain et une cruche d'eau, on le trouva mort (1).

Dans l'adresse aux Français, votée par l'Assemblée législative le 15 août, sur la proposition de Condorcet, le philosophe girondin terminait par ces mots son apologie de la révolution du 10 août : « Quelque jugement que nos contemporains puissent porter de nous, nous n'aurons pas à craindre celui de notre conscience, et nous échapperons du moins aux remords (2). » Dieu seul, témoin du désespoir de Condorcet à son heure fatale, Dieu seul peut savoir si, au moment où il porta le poison à sa bouche, il ne sentit naître au fond de son âme éperdue aucun regret ni de ce qu'il avait fait, ni de la politique révolutionnaire qu'il avait conseillée et pratiquée, ni de la monarchic, sa bienfaitrice, qu'il avait renversée, ni de la mort de Louis XVI qu'il avait voulu faire marquer et envoyer aux galères perpétuelles (5)!

Roland mourut aussi par le suicide, comme Pétion, comme Buzot, comme Condorcet, comme Valazé; mais ses manies le privèrent de la pitié qui s'attache toujours au malheur, car il Inourut ridicule.

La manie principale de Roland, c'était de passer pour ce qu'il appelait vertueux et honnête, chose qui, dans ses idées,

(1) Mathon de la Varenne, Histoire particulière des événements, etc., p. 215. (2) Moniteur du 16 août 1792

5, n sait que le vote de Condorcet, sur la peine à infliger à Louis XVI, avait été ainsi formulé: Ad omnia citra mortem.

C'était la formule consacrée, par laquelle les chambres des Présidiaux et des Tournelles condamnaient à la marque et aux fers à perpétuité.

signifiait orgueilleux, brutal et malpropre. S'être présenté chez le roi en souliers lacés, tandis que tout Paris y allait en souliers à boucles; avoir prétendu forcer Louis XVI à changer de confesseur, et l'avoir dénoncé à l'Assemblée, le jour de sa sortie du ministère, par une lettre dont la lâcheté pèsera éternellement sur la mémoire de madame Roland, son véritable auteur; c'étaient là des traits fondamentaux par où Roland prétendait établir son honnêteté et sa vertu. Louvet avait été chargé d'en reproduire l'éclat dans le journal-affiche la Sentinelle, rédigé avec les fonds secrets du ministère de l'intérieur; et Roland méritait encore mieux que Pétion cette raillerie de Robespierre « Vous ai-je jamais contesté, moi, le ridicule de faire imprimer tous les jours, de faire placarder même vos vertus, lorsque personne ne les discutait (1)?

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Quoiqu'il eût cent fois juré, comme tous les autres, de mourir à son poste, Roland s'était fort judicieusement sauvé, après la révolution du 31 mai, avec cette circonstance d'une honnêteté et d'une vertu néanmoins fort discutables, qu'il laissait derrière lui sa femme et sa fille unique en prison. Arrivé à Rouen, il s'y tint caché jusqu'au 8 novembre 1793. Ce jour-là, madame Roland mourait, à Paris, sur l'échafaud. Ce coup alla droit au cœur de Roland. Il sortit le 15 au soir, à six heures, de la retraite où il s'était confiné, et il prit le chemin de Paris. Arrivé au bourg de Baudouin, il s'appuya contre un arbre et se poignarda.

Eh bien! l'orgueil et la prétention au genre de vertu dont il était fier furent la dernière pensée de Roland; et il mit sur lui, afin de parader encore après sa mort, la pancarte suivante qu'il avait rédigée à tout événement :

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Qui que tu sois qui me trouves gisant, respecte mes restes; ce sont ceux d'un homme qui consacra toute sa vie à être utile, et qui est mort comme il a vécu, vertueux et honnête.

(1) Robespierre, Lettres à ses commettants, no 7, p. 323.

<< Puissent mes concitoyens prendre des sentiments plus doux et plus humains! Le sang qui coule par torrents dans ma patrie me dicte cet avis. Non la crainte, mais l'indignation, m'a fait quitter ma retraite, au moment où j'ai appris qu'on avait égorgé ma femme. Je n'ai pas voulu rester plus longtemps sur une terre souillée de crimes (1).

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Les prisonniers de Paris avaient été massacrés, Roland étant ministre de l'intérieur, le 2, le 3, le 4, le 5 et le 6 septembre 1792; les clubs avaient fait égorger Louis XVI le 21 janvier 1795; la reine, le 6 octobre; les vingt et un Girondins, le 51 octobre; le bourreau ne désemparait pas depuis le mois de mars; et Roland s'apercevait seulement, le 15 novembre, par la mort de sa femme, que la terre était souillée de crimes! tant le mot célèbre de Bias, je porte tout avec moi, est la devise naturelle de l'orgueil humain révolté contre la Providence.

XXVIII

Les vingt et un Girondins condamnés moururent vulgairement, sans peur, mais sans éclat. Custine entouré, au sortir de la Conciergerie, d'une foule hurlante qui lui criait : A la guillotine! se retourna avec dédain, et lui répondit : On y va, canaille! Hébert, aussi lâche que féroce, était fort abattu sur la fatale charrette; et comme le cortège passait dans la rue SaintHonoré, en face du club des Jacobins, Vincent, assis à côté d'Hébert, lui dit en le poussant du coude: Dis donc, Père Duchêne, si tu descendais un instant pour aller faire une motion!

Les Girondins ne montrèrent ni ce dédain du soldat, ni cette ironie du clubiste. D'ailleurs le temps lui-même était contre eux; il pleuvait à seaux (2); les rues étaient encom

(1) Mathon de la Varenne, Histoire particulière des événements, elc., p. 14. (2) Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVII, p. 148.

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