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Elle

ImposRèglement de la

La fausseté de la tradition sur le banquet des Girondins est démontrée. est moderne. - Aucun journal contemporain ne parle du banquet. sibilité matérielle qu'il y aurait eu à donner un tel festin. commune sur le pain, le vin et la viande. On n'avait que deux onces de pain par jour, et une livre de viande pour dix jours. — Lettre de M. Audot. -- Deux lettres inédites. — Singuliers détails sur la chandelle. inconnus qui montrèrent plus de courage que les Girondins. de Bailly, de Lamourette.

XX

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- Prisonniers Mort de Biron,

Nous avons pris les Girondins dans la salle du tribunal révolutionnaire; nous les avons suivis dans l'escalier qui mène à la Conciergerie; nous avons entendu leurs chants, signe convenu avec leurs compagnons, pour leur annoncer de loin la fatale sentence; nous ne les avons pas quittés d'un instant, pendant leur dernière et tumultueuse nuit, et nous avons vu Vergniaud partir, les mains liées, pour monter sur la charrette. Qu'avons-nous trouvé? Des chants, des cris, de l'agitation, de l'exaltation, quelques retours vers la France, quelques saillies de Ducos; la seule chose dont nous n'ayons pas trouvé la moindre trace, c'est le célèbre et fantastique banquet. Et c'est bien simple d'un côté, Bailleul, celui qui, caché dans Paris, disait-on, l'avait réglé et ordonné, du fond de sa retraite, était sous les verrous de la Conciergerie, probablement dans la salle même des Girondins; de l'autre, Sillery et Lasource, deux des orateurs du banquet, n'étaient même pas à la Conciergerie.

La tradition relative au banquet des Girondins est tout à fait moderne. Nous n'avons rien trouvé qui fût antérieur au récit de M. Thiers. Les journaux ou les mémoires contemporains n'y font pas la moindre allusion. Les Révolutions de Paris, par Prudhomme, celui de tous les journaux qui donne

le plus de détails sur les derniers moments des Girondins, ne disent pas un mot du banquet (1).

Qu'on songe au beau texte qu'un luxe pareil, déployé au fond d'une prison, aurait donné aux déclamations du Père Duchêne; et aux rapprochements qui seraient sortis de la misère alors effroyable du peuple, et du raffinement des Girondins condamnés!

D'ailleurs, on ne sait pas assez à quel point la donnée d'un tel banquet est insensée, placée en un tel moment.

La famine était générale en France, elle était affreuse à Paris. Le maximum avait été voté en principe le 10 octobre (2), et organisé le 26 (3).

Le blé valait 200 fr. le sac dans la Beauce (4); le poisson, 18 fr. la livre (5); les pommes de terre, à peine connues, puisqu'elles n'avaient été importées en France qu'en 1785 (6), s'élevèrent successivement jusqu'à 80 fr. le boisseau (7).

Et savez-vous quelles formalités il fallait remplir, afin d'avoir, dans chaque famille, strictement de quoi ne pas mourir de faim?

Les voici, officiellement réglées par un arrêté du conseil général de la commune, en date du 8 brumaire, la veille même de la condamnation des Girondins :

« Art. I. Dans le délai de trois jours, à dater du présent règlement, chaque chef de famille, chaque citoyen domicilié, sera tenu d'aller faire, au comité de bienfaisance de sa section, la déclaration :

(1) Révolutions de Paris, t. XVII, p. 146 à 150.

(2) Moniteur du 14 octobre 1793, séance de la Convention du 10.

(3) Moniteur du 28 octobre 1793, séance de la Convention du 26.

(4) Moniteur du 5 mai 1793, séance de la Convention du 2; discours de Chasles.

(5) Moniteur du 12 mars 1794.

(6) Feuille Villageoise, 29 mars 1792.

(7) Moniteur du 24 octobre 1795, séance de la Convention du 18; discours de Louchet.

« 1° Du nombre de personnes qui composent sa famille ou sa maison, en distinguant les femmes et les enfants;

« 2o De la quantité de pain nécessaire à leur consommation

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« 3o Des noms et demeure de son boulanger habituel.

« Art. II. Il sera fait un relevé du nombre de citoyens qui auront déclaré se fournir chez chaque boulanger, et de la quantité de livres portées en chaque déclaration.

« Art. III. Ces relevés faits, et la consommation de chaque boulanger établie, il sera remis par le comité, à chaque citoyen, une carte ou tableau, au bas duquel sera l'autorisation, signée de deux membres du comité, au boulanger, de fournir chaque jour du mois la quantité de livres de pain indiquée dans la déclaration.

<< En tête seront imprimés, en colonnes, les trente jours du mois, avec un espace ou un trait horizontal entre chaque jour, dont le cadre formera un coupon.

"A droite de chacun des jours sera la quantité de pain à délivrer; à gauche, la signature ou le nom du citoyen.

« Art. IV. Tous les jours, chaque citoyen ira ou enverra chez son boulanger recevoir la quotité de pain déterminée, et y laissera le coupon indicatif de cette quantité, du jour où elle lui aura été délivrée, et de son nom.

« Art. V. Chaque boulanger aura sur son comptoir une boîte fermée, et en forme de tronc, dont le commissaire de la section aura seul la clef, et dans laquelle les coupons reçus seront successivement insérés.

« Art. VI. Le boulanger qui aura délivré du pain sans retenir ni réserver les coupons, sera puni, pour la première fois, de 50 livres d'amende; et, en cas de récidive, réputé suspect, et traité comme tel.

« Art. IX. Les marchands de vin, traiteurs, aubergistes, limonadiers, etc., feront la déclaration approximative de leur consommation journalière. Le comité établira, à leur égard,

un terme moyen, afin que les jours où ils en débitent le moins leur en laissent une réserve pour les autres (1). »

ΧΧΙ

Et encore, quelles quantités de pain et de viande obtenaiton, au prix de toutes ces formalités ?

Du pain? le plus souvent DEUX ONCES PAR JOUR.

De la viande? UNE LIVRE POUR DIX JOURS.

Et voici nos autorités :

Sur ce que nous avions dit, dans notre Histoire du Directoire, que les Parisiens recevaient, sous le régime du maximum, un quarteron de pain par jour, un respectable témoin des faits de cette époque, M. Audot, ancien libraire-éditeur, nous a écrit la lettre suivante :

« Vous nourrissez trop bien les Parisiens, en répétant qu'ils n'étaient nourris qu'avec trois quarterons de pain par jour.

« Il y avait sans doute des jours heureux à trois quarts; mais il y en a eu à deux quarts, à un quart, et beaucoup à deux onces, ce qui fait un demi-quart.

« Ces deux onces, j'allais, enfant de douze ans, les attendre, dès quatre heures du matin, à la queue, devant les maisons de la rue de l'Ancienne-Comédie, pour les recevoir de la main de M. Loquin, boulanger, dont la boutique existe encore, mais pleine d'excellent pain. En arrivant plus tard à la queue, la provision de M. Loquin pouvait être épuisée.

« On était récompensé de tant de peines par la bonne qualité du son, qui pesait un quart sur le quart d'once de pain très-tendre et très-mou du maximum; donc, encore un quart d'eau surabondante. Je rapportais, pour quatre personnes que nous étions, huit onces de pain pour la journée. »

(1) Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVII, p. 168 et 169. Procès-verbaux du conseil général de la commune.

Ce récit de M. Audot est parfaitement exact, et nous en avons trouvé la confirmation bien douloureuse dans un docu

ment de l'époque.

relié

La Bibliothèque de l'Arsenal possède un recueil manuscrit de chansons et de poésies révolutionnaires. Ce volume, en basane, n'est rempli de vers que jusqu'à la page 57. Aux pages 58, 59 et 60 se trouvent deux brouillons de lettres, écrites par une fille à son père. Nous allons les reproduire dans leur désolante naïveté.

« Mon cher père,

« Je suis bien inquiète de savoir de vos nouvelles. Je souhaite de tout mon cœur que ma lettre ne vous trouve pas dans une aussi grande misère comme nous. Nous avons quatre onces de pain pour nous deux. Je souhaite que vous en ayez davantage. Ma tante n'a plus que cinquante sous par jour. Vous devez bien sentir que nous ne sommes pas à notre aise. Les marchandises sont hors de prix; si vous avez quelque occasion, et que vous pussiez nous envoyer un peu de farine, vous me feriez bien plaisir. Je voudrais bien que ma tante soit avec vous; peut-être qu'elle ne pâtirait pas autant qu'ici, faute de nourriture et de moyens.

« Je vous prie, aussitôt que vous aurez reçu ma lettre, de me faire un mot. Je souhaite de tout mon cœur que vous soyez mieux; mais j'en doute! »

La seconde lettre est plus navrante encore; la voici :

« Mon cher père,

« Je suis bien inquiète de savoir de vos nouvelles. Je souhaite de tout mon cœur que ma lettre ne vous trouve pas dans une aussi grande misère comme nous.

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