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jugement à intervenir soit, à ma requête et diligence, exécuté sur la place de la Révolution. »

« Un grand mouvement, continue le Bulletin, se fait parmi les accusés. Les citoyens présents à l'audience conservent un calme majestueux.

« Le président, aux accusés.—La loi vous permet de parler, ou de vous faire défendre sur l'application de la loi, invoquée contre vous par l'accusateur public.

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« Gensonné. Je demande la parole sur l'application de la loi.

« Le mot je me meurs se fait entendre.

<< Le tumulte redouble parmi les accusés. Plusieurs crient par ironie: Vive la République! Le président ordonne aux gendarmes de faire leur devoir et de faire sortir les accusés.

« Ceux-ci sortent, jettent des assignats au peuple en disant: A nous, nos amis ! Une indignation universelle se manifeste dans l'auditoire. Le peuple foule aux pieds les assignats, les met en pièces, au milieu des cris de: Vive la République (1)! « Les gendarmes emmènent hors l'audience les accusés. Un d'eux est gisant sur l'estrade (2). C'était Dufriche-Valazé, qui s'était tué d'un coup de cou

teau.

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« Les condamnés, ajoute le Bulletin, au moment que l'on les faisait redescendre à la Conciergerie, se permirent de chanter en chœur les quatre premiers vers de la première strophe de l'hymne des Marseillais, qu'ils croyaient pouvoir adapter à la position où ils se trouvaient. Il était onze heures et quelques minutes du soir, le 9 brumaire (30 octobre) (3). »

(1) Le Bulletin du tribunal révolutionnaire était pourtant, malgré ce langage, un journal dévoué aux Girondins, car il fut, pour cela, dénoncé au-club des Jacobins, par Hébert, le 27 octobre. - Moniteur du 30 octobre 1793.

(2) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2o partie, no 64, p. 255. (3) Ibid.

XIX

Le récit du Bulletin du tribunal révolutionnaire conduit donc les Girondins condamnés jusqu'à l'entrée de l'escalier intérieur qui menait du tribunal à la prison. C'est ici que les prend le récit de Riouffe, placé dans la salle des prisonniers.

D'abord, quelle était donc cette variante de la première strophe de l'hymne des Marseillais, chantée par les Girondins que les gendarmes entraînaient, et qu'ils croyaient, dit le Bulletin, pouvoir adapter à la position où ils se trouvaient? La voici, telle que Riouffe l'entendit et la rapporte. Ils chantaient :

Allons, enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé.
Contre nous, de la tyrannie

Le couteau sanglant est levé (1).

C'est à cela que se réduisent les hymnes à la France et à la liberté, que la légende fait chanter par les Girondins.

En général, il faut bien se garder de prendre à la lettre le langage ampoulé des révolutionnaires. Chanter des hymnes était pour eux une phrase sonore et figurée qu'ils employaient souvent et à tout propos, sans aucune conséquence pratique. Réal, défenseur de Goulin, l'un des membres du comité révolutionnaire de Nantes, lui disait dans une apostrophe de son plaidoyer: « O Goulin, quand tu passeras sur les ponts de Cé, n'oublie pas d'entonner l'hymne de la Reconnaissance! »

Le bon et vieux Dussaulx, le même qui fit la motion de planter des pommes de terre dans le jardin des Tuileries, avait, dans un récit de la prise de la Bastille, fait chanter des

(1) Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 65.

hymnes aux Parisiens, le 14 juillet 1789 : « Les citoyens, dit-il, entonnant d'un air prophétique l'hymne de la Liberté, se promettaient d'en consacrer la fête et d'aller, au point du jour, saluer le soleil à son lever, et lui apprendre qu'il éclairait un peuple libre (1). »

Tout cela n'était, comme on voit, que du galimatias, imité de Rousseau et de Diderot. Il n'y avait aucun hymne chanté, même quand les écrivains le disaient; à plus forte raison, quand ils ne le disent pas.

Las Girondins descendirent à la Conciergerie par un escalier conduisant au tribunal révolutionnaire, qui est aujourd'hui, comme nous avons dit, la salle de la cour de cassation, et qui était, avant 1790, la grand'chambre du parlement. Cet escalier existe encore, mais condamné et encombré. C'est celui dont la porte close se voit, à droite de l'intérieur de la Conciergerie, avant d'arriver à la communication actuelle qui va de la Conciergerie à la cour d'assises.

Au bas de cet escalier, dans la Conciergerie et en face, sc trouvait la porte de la chapelle; porte aujourd'hui condamnée et masquée à l'intérieur par un confessionnal.

Cette chapelle d'aujourd'hui, qui l'était également avant la révolution, servait de prison aux Girondins. C'est une construction du XVIIe siècle, spacieuse, élevée, éclairée par deux larges baies, donnant sur une cour intérieure du Palais, et pouvant aisément contenir au moins cent personnes (2). C'est là que Riouffe avait été placé le 27 octobre; c'est de là qu'il entendit le premier couplet de la Marseillaise, chanté en choeur par les Girondins en descendant du tribunal révolutionnaire ;

c'est là

(1) Dussaulx, OEuvre des trois jours, p. 363.

(2) Il ne faut pas confondre la Chapelle de la Conciergerie avec l'Oratoire que l'on a érigé, sous la Restauration, dans le cachot de Marie-Antoinette. L'Oratoire n'a que quelques pieds carrés; mais la Chapelle est fort grande. D'ailleurs l'Oratoire est séparé de la Chapelle par une petite pièce rectangulaire servant de sacristic.

qu'il passa la nuit avec eux, et l'on va voir, par son récit, qu'il n'y eut ni festin, ni harangues philosophiques (1).

<< Ils furent condamnés à mort, dit Riouffe, dans la nuit du 29 octobre (2), vers les onzc heures. Ils le furent tous; on avait en vain espéré pour Ducos et Fonfrède, qui peut-être euxmêmes ne s'étaient pas défendus de quelque espérance.

« Le signal qu'ils nous avaient promis nous fut donné, ce furent des chants patriotiques, qui éclatèrent simultanément; et toutes leurs voix se mêlèrent pour adresser les derniers hymnes à la liberté. Ils parodiaient la chanson des Marseillais. de cette sorte:

Contre nous, de la tyrannie

Le couteau sanglant est levé, etc.

« Toute cette nuit affreuse retentit de leurs chants, et, s'ils les interrompaient, c'était pour s'entretenir de leur patrie, et quelquefois aussi pour une saillie de Ducos.

« C'est la première fois qu'on a massacré en masse tant d'hommes extraordinaires. Jeunesse, beauté, génie, vertus,

(1) Voici qui établit clairement que Riouffe était dans la même salle que les Girondins « On me mit dans une autre partie de la Conciergerie, Je quittais l'antre du crime justement enchaîné, j'entrai dans le temple de la vertu persécutée. Vergniaud, Gensonné, Brissot, Ducos, Fonfrède, Valazé, Duchâtel et leurs collègues, furent les hôtes que je trouvai installés dans ma nouvelle demeure. Depuis une année que je l'habite, je ne cesse d'y voir l'ombre de ces grands hommes planant sur ma tête, et ranimant mon courage... J'appris que c'était aux sollicitations de Ducos que je devais d'être sorti du cachot... L'aimable et intéressant jeune homme! il m'avait vu une seule fois dans le monde, et il me fit l'accueil d'un frère.

"

La curiosité se réveille à ces noms fameux; mais j'ai peu de moyens de la satisfaire. J'arrivai deux jours avant leur condamnation, et comme pour être témoin de leur mort. » Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 58 et 59. — C'est d'ailleurs une erreur de M. de Lamartine, d'avoir cru qu'indépendamment de la salle de la Chapelle, les Girondins avaient encore des chambres. Ils étaient dixneuf dans cette chapelle, où ils avaient leurs lits, sans compter Bailleul, Riouffe et d'autres compagnons.

(2) C'est une erreur de date. Les Girondins furent condamnés le 9 brumaire, c'est-à-dire le 30 octobre.

talents, tout ce qu'il y a d'intéressant parmi les hommes, fut englouti d'un seul coup. Si des cannibales avaient des représentants, ils ne commettraient pas un pareil attentat.

« Nous étions tellement exaltés par leur courage que nous ne ressentimes le coup que longtemps après qu'il fut porté.

« Nous marchions à grands pas, l'âme triomphante, de voir qu'une belle mort ne manquait pas à de si belles vies, et qu'ils remplissaient d'une manière digne d'eux la seule tâche qu'il leur restât à remplir, celle de bien mourir.

« Mais quand ce courage, emprunté du leur, se fut refroidi, alors nous sentimes quelle perte nous venions de faire (1). Le désespoir devint notre partage. On se montrait en pleurant le misérable grabat que le grand Vergniaud avait quitté pour aller, les mains liées, porter sa tête sur l'échafaud. Valazé, Ducos et Fonfrède étaient sans cesse devant nos yeux. Les places qu'ils occupaient devinrent l'objet d'une vénération religieuse; et l'aristocratie même se faisait montrer avec empressement et respect les lits où avaient couché ces grands hommes (2). »

Certes, voilà bien des détails, et des détails précis ; mais où est donc le banquet?

(1) Il résulte évidemment de ce récit qu'indépendamment des dix-neuf Girondins et de Riouffe, d'autres prisonniers étaient également renfermés dans la Chapelle. Rien n'empêche de penser que Bailleul se trouvait parmi eux. (2) Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 64, 65 et 66.

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