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Premièrement, voici la preuve que Sillery ne fut pas transféré à la Conciergerie pendant le procès : c'est son écrou régulier sur le registre du Luxembourg, à la date du 7 octobre :

« Le citoyen Sillery, prévenu de conspiration contre l'unité et l'indivisibilité de la République, a été écroué et recommandé provisoirement sur le présent registre, à la requête du citoyen accusateur public du tribunal révolutionnaire, lequel fait élection de domicile en son parquet, sis audit tribunal au Palais, en vertu d'un jugement dudit tribunal, en date du 4 du présent mois, dûment en forme, pour par ledit Sillery rester en cette maison, comme en maison de justice, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné par ledit tribunal. Le présent écrou fait, attendu l'état de maladie où se trouve ledit citoyen Sillery, qui ne lui permet pas d'être transféré à la Conciergerie, ainsi que le porte ledit jugement ; et avons laissé ledit citoyen Sillery à la garde du citoyen Benoist, concierge de ladite maison, pour le représenter quand il en sera requis comme dépositaire judiciaire; et avons audit Sillery, en parlant à sa personne, trouvée dans une chambre de ladite maison donnant sur le jardin, où nous avons été introduit par ledit citoyen Benoist, laissé copie du décret d'accusation, dudit jugement et du présent.

«Fait par nous, huissier dudit tribunal révolutionnaire, soussigné, ce sept octobre 1795, l'an 2o de la République une et indivisible.

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Enfin, le 10 brumaire (51 octobre), sur quel registre d'écrou voit-on l'huissier du tribunal révolutionnaire transcrire le procès-verbal d'exécution, pour servir au concierge de décharge de la personne des deux condamnés? C'est encore

(1) Registre d'écrou du Luxembourg, du 26 juillet 1793 au 30 mai 1794, p. 3. - Archives de la préfecture de police.

sur le registre d'écrou du Luxembourg, non ailleurs, que l'écrou de Sillery et de Lasource est levé, ainsi que le constate la déclaration suivante, relative à Sillery, qui se trouve également, et dans les mêmes termes, en marge de l'écrou de Lasource:

« Du 10° jour du 2o mois de l'an second de la République une et indivisible.

« Le nommé Bruslard, ci-devant Sillery, extrait le jour d'hier de cette maison d'arrêt en vertu d'un mandat signé Herman, président, a été conduit ce jourd'hui sur la place de la Révolution, en vertu d'un jugement rendu par le tribunal révolutionnaire, en date du jour d'hier, dûment signé, qui le condamne à la peine de mort, à la requête du citoyen accusateur public dudit tribunal, où il a subi ladite peine en notre présence.

« Fait par nous, huissier-audiencier dudit tribunal, soussigné, lesdits jour et an que dessus.

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Quant au mandat signé Herman, en date du 9 brumaire, qui extrait Sillery et Lasource, ce ne pouvait être que l'ordre donné, à la suite de la condamnation, pour extraire, et non l'extraction elle-même ; car on voit par le procès-verbal d'exécution que la décharge est donnée au concierge le 10 brumaire, jour de l'exécution; tandis qu'elle eût été évidemment donnée le 9, au moment même de l'extraction, si Lasource et Sillery avaient quitté la prison ce jour-là.

Ajoutons d'ailleurs que Lasource et Sillery, s'ils avaient quitté la prison du Luxembourg le 9 brumaire, n'auraient pu être conduits qu'à la Conciergerie, où ils auraient été écroués. Or, ni le registre des entrées provisoires, ni le registre d'écrou

(1) Registre d'écrou du Luxembourg, du 26 juillet 1793 au 30 mai 1794, p 3. Archives de la préfecture de police.

de la Conciergerie, ne portent, comme on peut aisément s'en convaincre, aucune trace de l'entrée de Sillery et de Lasource dans cette prison.

XVIII

Ainsi, on voit clairement, par l'examen des registres d'écrou des prisons, que la base sur laquelle repose la tradition du dernier banquet des Girondins s'écroule tout entière.

D'abord, l'invisible et romanesque Bailleul, ordonnant un festin et y présidant du fond de son asile et de sa proscription, se réduit en réalité au malheureux Bailleul, écroué à la Conciergerie, accusé de conspiration, attendant l'appel de Fouquier-Tinville, sans relations au dehors, sans crédit, sans argent, car le geôlier était le dépositaire de toutes les valeurs des détenus.

Ensuite, Sillery et Lasource, deux des orateurs dont la légende raconte les prouesses durant le banquet, ne sont pas sortis de la prison du Luxembourg, et, en tout cas, ne sont pas entrés à la prison de la Conciergerie.

Des faits authentiques et irrécusables établissent donc à priori, comme on dit dans l'école, que le banquet n'a pas pu avoir lieu.

Nous allons montrer maintenant, par des faits d'une autre nature, mais non moins authentiques, qu'en effet le banquet n'a pas eu lieu. Cette démonstration nouvelle sortira du récit des derniers moments des Girondins, depuis l'heure de leur condamnation jusqu'à l'heure de leur mort.

Deux autorités irrécusables vont nous fournir les éléments de ce récit d'un côté, le Bulletin du tribunal révolutionnaire; et, de l'autre, Toussaint Riouffe, compagnon et ami des Girondins, prisonnier comme eux à la Conciergerie et placé dans la même salle.

Henri Toussaint Riouffe, fils d'un chirurgien de Rouen,

était un lettré fort instruit, âgé d'environ vingt-neuf ans, et mêlé, un peu à l'étourdie, aux projets des Girondins. Il quitta Paris avec les députés fugitifs, après le 31 mai. « C'était, dit Louvet, un brave jeune homme, qui était venu nous trouver à Caen (1). » Arrêté à Bordeaux le 4 octobre, il fut conduit à Paris, avec Duchâtel, écroué à la Conciergerie le 16, et mis avec des voleurs dans un cachot, d'où il fut transféré, le 27, dans la grande salle des Girondins.

Délivré après le 9 thermidor, il devint, en 1799, membre du tribunat, et mourut, le 30 novembre 1813, à Nancy, préfet de la Meurthe. Riouffe publia, en 1794, les Mémoires d'un détenu pour servir à l'histoire de la tyrannie de Robespierre ; et l'on trouve, dans ce curieux ouvrage, avec le témoignage de l'enthousiasme le plus exalté en faveur des Girondins, des détails très-circonstanciés sur leur séjour et sur leurs derniers moments à la Conciergerie.

Le procès des Girondins commença, au tribunal révolutionnaire, dans la salle où siége aujourd'hui la cour de cassation, à l'audience du 3 du second mois de l'an 2o de la République, comme on disait d'après le calendrier républicain de Romme, c'est-à-dire le 24 octobre 1793. Il dura sept jours pleins. L'acte d'accusation, rédigé et lu par Amar, au nom du comité de sûreté générale, fut suivi de l'audition des témoins et de l'interrogatoire des prévenus. Chauveau-Lagarde était au nombre des défenseurs officieux.

A la septième audience, le 30 octobre, en vertu d'un décret sur l'accélération des jugements, voté le matin même sur la demande d'Herman et Fouquier-Tinville (2), Herman demanda

(1) Louvet, Mémoires, p. 66.

(2) Voici la lettre infàme adressée à ce sujet au comité de salut public par Herman et par Fouquier-Tinville :

<< La lenteur avec laquelle marchent les procédures instruites au tribunal criminel extraordinaire nous force de vous présenter quelques réflexions. Nous avons donné assez de preuves de notre zèle pour n'avoir pas craindre d'être

à Antonelle, chef du jury, si la religion des jurés n'était pas suffisamment éclairée. Sur la réponse négative du jury, l'interrogatoire des prévenus continua.

A deux heures de l'après-midi, l'audience fut suspendue jusqu'à cinq.

A sept heures, Antonelle ayant déclaré que la conscience du jury était suffisamment éclairée, les jurés se retirèrent dans la salle de leurs délibérations, sans que les accusés eussent été entendus dans leur défense.

A dix heures, les jurés rentrèrent en séance, et portèrent, à l'unanimité, un verdict affirmatif sur tous les points et contre tous les accusés.

<< Les accusés, dit le Bulletin du tribunal révolutionnaire, sont ramenés à l'audience.

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Herman, président, leur fait lecture de la déclaration dn jury, et leur annonce qu'ils vont entendre l'accusateur public dans son réquisitoire.

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Fouquier-Tinville, ayant conclu à la peine de mort contre tous les accusés, termina ainsi : « Je requiers en outre que le

accusés de négligence; nous sommes arrêtés par les formes que prescrit la loi.

Depuis cinq jours, le procès des députés que vous avez accusés est commencé, et neuf témoins seulement ont été entendus. Chacun, en faisant sa déposition, veut faire l'historique de la révolution. Les accusés répondent ensuite aux témoins, qui répliquent à leur tour. Ainsi, il s'établit une discussion que la loquacité des prévenus rend très-longue, et, après ces débats particuliers, chaque accusé ne voudra-t-il pas faire une plaidoirie générale? Ce procès sera donc interminable.

«

D'ailleurs, on se demande : pourquoi des témoins? La Convention, la France entière accusent ceux dont le procès s'instruit. Les preuves de leurs crimes sont évidentes. Chacun a dans son âme la conviction qu'ils sont coupables; le tribunal ne peut rien faire par lui-même; il est obligé de suivre la loi. C'est à la Convention à faire disparaître toutes les formalités qui entravent sa marche. » - Moniteur du 30 octobre 1793. A la suite de cette lettre, la Convention décréta la loi sur l'accélération des procès, et le tribunal extraordinaire prit, par décret, et sur la motion de Billaud-Varennes, le nom de tribunal révolutionnaire.

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