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l'exacte vérité. Or, la vérité est que les Girondins n'ont pas tracé une seule de ces inscriptions, par la raison qu'ils ne furent jamais enfermés dans la prison des Carmes.

Nous n'argumenterons, pour établir ce fait, ni de ce que la chambrette dont il s'agit ne saurait contenir les lits de plus de cinq ou six personnes, ni de ce que le nom d'aucun Girondin n'est écrit sur les murs, ni de ce que rien au monde ne saurait faire attribuer à Vergniaud ou à Fauchet telle ou telle inscription, ni de ce que les neuf dixièmes de ces inscriptions sont évidemment de la même écriture. Nous montrerons que les Girondins ne furent jamais enfermés à la prison des Carmes, en traçant, à l'aide de documents authentiques, leur marche dans les prisons de Paris, depuis leur arrestation jusqu'à leur mort.

C'est donc après avoir fait, avec le soin le plus scrupuleux, l'examen et le dépouillement des registres d'écrou des prisons de Paris, en 1793, que nous opposons à la légende consacrée par M. de Lamartine, le tableau exact du séjour des Girondins dans les prisons.

Brissot, arrêté à Moulins, fut écroué à l'Abbaye le 23 juin, et transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Vergniaud, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 26 juillet, transféré à la Grande-Force le 31, et transféré enfin à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Gensonné, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 26 juillet, transféré à l'Abbaye le 31, et transféré enfin à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Lauze-Duperret, arrêté à Paris, fut écroué à l'Abbaye le 14 juillet, et transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Carra, arrêté à Paris, fut écroué à l'Abbaye le 2 août, et transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Gardien, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 26 juillet, transféré à l'Abbaye le 31, et transféré enfin à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Dufriche-Valazé, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 26 juillet, transféré à la Grande-Force le 31, et transféré enfin à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Duprat, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 30 juillet, et transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Brulart-Sillery, arrêté à Paris, fut écroué à l'Abbaye le 5 août, et transféré au Luxembourg le 17. S'étant trouvé malade le 6 octobre, il ne fut point transféré à la Conciergerie. Il était mené, durant le procès, du Luxembourg au tribunal révolutionnaire; et c'est du Luxembourg qu'il fut directement conduit à l'échafaud, ainsi que le constate, en marge de l'écrou, l'huissier qui le livra à l'exécuteur.

Fauchet, arrêté à Paris, fut écroué à l'abbaye le 14 juillet, ct transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Ducos, arrêté à Paris, fut écroué directement à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4, et sur un mandat délivré par la mairie.

Boyer-Fonfrède, arrêté à Paris, fut écroué directement à la Conciergerie, le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4, et d'un mandat délivré par la mairie.

Lasource, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 19 août. Il resta, comme Sillery et pour la même cause, au Luxembourg, et fut conduit de cette prison à l'échafaud, ainsi que le constate la déclaration, écrite en marge de l'écrou, par l'huissier qui donna décharge de sa personne au concierge.

Lesterpt-Beauvais, arrêté à Paris, fut écroué à l'Abbaye le 12 octobre, et transféré à la Conciergerie le 22, en vertu d'un jugement du 4.

Duchâtel, arrêté à Bordeaux le 4 octobre, fut conduit à Paris, et écroué à la Conciergerie le 16 novembre, en vertu d'un jugement du 4 octobre.

Mainvielle, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 50 juillet, et transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Lacaze, arrêté à Paris, fut écroué directement à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4, sur un mandat délivré par la mairic.

Lehardy, arrêté à Paris, fut écroué au Luxembourg le 26 juillet, et transféré à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Boileau, arrêté à Paris, fut écroué directement à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4, sur un mandat délivré par la mairie.

Antiboul, arrêté à Paris, fut écroué à la Grande-Force le 30 septembre, et transféré à la Conciergerie le 8 octobre, en vertu d'un jugement du 4.

Vigée, arrêté à Paris, fut écroué directement à la Conciergerie le 6 octobre, en vertu d'un jugement du 4, sur un mandat délivré par la mairie (1).

On voit par ces faits et par ces dates, fidèlement extraits des registres d'écrou et du dépôt des mandats d'arrêt, que les Girondins furent enfermés dans les quatre prisons du Luxem bourg, de l'Abbaye, de la Grande-Force et de la Conciergerie. Du reste, pas un de ces écrous ou transfèrements ne signale leur passage à la prison des Carmes, et le registre même de cette prison est muet à leur égard.

Il faut donc restituer à leurs vrais auteurs les inscriptions

(1) C'est un plaisir autant qu'un devoir pour nous de féliciter publiquement M. Labat, archiviste de la préfecture de police, de l'ordre qu'il a su mettre dans l'admirable dépôt qui lui est confié, et de le remercier de la bienveillance éclairée et inépuisable avec laquelle il a bien voulu nous guider dans nos recherches.

de la mansarde de la rue de Vaugirard; et le plus grand nombre reviennent au citoyen Destournelle, délivré après le 9 thermidor, et qui d'ailleurs a pris la peine de les signer de

son nom.

Légende relative au dernier banquet des développements. M. Thiers l'imagine.

Girondins. Son origine et ses
M. Charles Nodier la développe.

- Elle attribue l'ordonnance du banquet à Bailleul, échappé à la proscription. Détails qu'y ajoute M. de Lamartine. L'abbé Lambert, caution de Tout cela n'est qu'une fable. Bailleul n'a pas pu ordonner le

Bailleul. banquet.

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Il était écroué à la Conciergerie en même temps que les Giron

dins. Texte de son écrou. Il ne sort de la Conciergerie que cinq mois après la mort des Girondins. L'écrou de Bailleul ruine donc de fond en comble la tradition fondamentale sur laquelle repose le banquet des Girondins.

XV

La légende relative à ce qu'on a nommé le dernier banquet des Girondins a, quant à l'histoire, des conséquences beaucoup plus graves encore que la légende relative aux inscriptions de la prison des Carmes.

Sans doute, c'est une chose considérable, pour la responsabilité morale d'un historien, que d'avoir attribué aux Girondins en général, à Fauchet et à Vergniaud en particulier, les épanchements, exaltés ou mystiques, tracés sur les murailles d'une prison où il est certain qu'aucun Girondin n'a jamais été enfermé; mais avoir imaginé à plaisir un grand et solennel banquet, y avoir placé les Girondins avec une précision affectée, leur avoir prêté des discours qu'ils n'ont pas tenus, et des sentiments qu'ils n'ont pas eus; c'est avoir, très-imprudemment au moins, induit le public en erreur sur le caractère d'un grand parti politique, auquel l'histoire ne doit, comme à tout le monde, que l'impartiale vérité.

Voici d'ailleurs l'origine première et les développements successifs de cette fable:

M. Thiers est le premier qui ait parlé d'un banquet solennel que les Girondins auraient fait après leur condamnation, et des discours qu'ils auraient tenus. Voici en quels termes i le

raconte :

« Les Girondins firent en commun un dernier repas, où ils furent tour à tour gais, sérieux, éloquents. Brissot, Gensonné étaient graves et réfléchis; Vergniaud parla de la liberté expirante avec les plus nobles regrets, et de la destinée humaine avec une éloquence entraînante. Ducos répéta des vers qu'il avait faits en prison, et tous ensemble chantèrent des hymnes à la France et à la liberté (1). »

Ainsi, voilà un récit précis et circonstancié; les Girondins parlent, discutent, s'exaltent; et le lecteur est informé, avec exactitude, de la nature des sentiments des principaux d'entre cux. Malheureusement, l'historien échappe à tout contrôle, car il évite d'indiquer les sources où il a puisé ces détails.

M. Charles Nodier, homme d'imagination et d'esprit, à qui cette poétique donnée des Girondins discutant avec éloquence, un peu avant leur mort, ne pouvait manquer de sourire, s'empara de la scène de M. Thiers, et en fit la base d'un dialogue philosophique à la manière de Platon, intitulé : le Dernier Banquet des Girondins. Afin que le lecteur vit bien qu'il y avait un fait réel sous le récit imaginaire, M. Charles Nodier mit à son livre le passage de M. Thiers pour épigraphe, et, prenant sur lui de développer les sentiments que M. Thiers s'était borné à indiquer, il fit parler les Girondins de la manière suivante :

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Qui nous empêcherait plus longtemps, s'écria enfin Mainvielle, de prendre place à un repas délectable, à un repas digne, s'il en fut jamais, des voluptueuses soirées d'Hérault

(1) Thiers, Histoire de la révolution française, t. V, p. 406, 4e édition.

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