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XIII

Après de si éclatantes apostasies, il serait superflu d'insister sur les petites et ridicules lâchetés des Girondins, commises en présence de leurs bourreaux, c'est-à-dire bien inutilement; car, à moins d'être insensés, ils ne pouvaient pas se promettre la clémence de la Montagne. Le parti qui avait voulu les faire massacrer, dans la nuit du 9 au 10 mars, n'était sûrement pas disposé à les lâcher au mois d'octobre.

Alors, à quoi bon s'abaisser dans leur propre estime, et s'humilier aux yeux de l'histoire? Quel profit pensait tirer Antiboul de son triste mensonge, lorsqu'il se justifiait d'avoir déserté la Montagne pour le Marais, en disant qu'il s'était rapproché, afin de mieux entendre (1)? A qui Vigée espérait-il faire croire que, s'il siégeait à droite, c'était uniquement parce qu'il était sourd de l'oreille gauche (2)? La France est, avant tout, un pays de loyauté et de courage. Le public du tribunal révolutionnaire levait les épaules, en écoutant ces paroles honteuses; et Fouquier-Tinville s'enhardissait dans la résolution de tuer, d'un seul coup, tout un parti, par l'idée de le trouver si menteur et si lâche.

Chose étrange! ces mêmes Girondins, si tremblants en face de la mort, avaient affiché dans les assemblées une bravoure poussée jusqu'à la fanfaronnade; on ne compterait pas les serments individuels et spontanés qu'ils firent de mourir à leur poste, et ils renouvelèrent tous ensemble, et avec solennité, ce serment, sur la motion de Vergniaud, le 31 mai 1793 (3). Isnard, le plus bruyant de tous, n'avait pas trouvé que ce fût assez de mourir sur son banc; dans un discours prononcé le

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 63, p. 249.

(2) Idem, ibid., no 57, p. 226.

(3) Moniteur du 1er juin 1793.

9 août, à l'Assemblée législative, il s'était écrié : « Si un décret me condamnait à mort, et que personne ne voulût me conduire au supplice, j'irais moi-même (1). » Naturellement, Isnard partit le premier de tous, et n'eut même pas le courage d'aller jusqu'au bout.

Au moment où, le 2 juin, la Convention fut repoussée dans son enceinte par le sabre d'Hanriot, et que la populace, maîtresse de l'Assemblée, demandait l'arrestation des Girondins, Barère proposa, comme moyen terme, au nom du comité de salut public, que les députés proscrits sortissent volontairement de l'Assemblée par une démission. Quatre d'entre eux saisirent avec empressement ce moyen de salut; et le premier qui parla, ce fut Isnard. Les trois autres qui suivirent son exemple furent Lanthenas, Fauchet et le vieux Dussaulx ; et nul ne peut dire ce que seraient devenus tous ces fiers courages, si Marat, le maître ce jour-là, n'avait blàmé hautement la proposition du comité de salut public, et arrêté les démissions, en disant qu'il fallait être pur, pour offrir des sacrifices à la patrie (2). Proscrit et mis hors la loi, Isnard se sauva prudemment, et ne reparut qu'après le 9 thermidor.

Plusieurs des Girondins mis en arrestation chez eux, par décret du 2 juin, ne crurent pas à un danger imminent, et se laissèrent arrêter sans chercher à fuir. Vergniaud fut de ce nombre, et il se mit volontairement sous la garde de son gendarme. Bergoeing et Barbaroux s'échappèrent après leur arrestation (5); le plus grand nombre n'attendit pas le dernier moment et prit la fuite. Parmi ceux qui se dispersèrent dans les départements étaient Louvet, Pétion, Barbaroux, Sales, Buzot, Cussy, Lesage, Giroust, Meillan, Lanjuinais, Guadet, Valady, Larivière, Duchâtel, Kervélégan, Mollevaut, Gor

(1) Moniteur du 11 août 1792.

(2) Il faut lire la séance du 2 juin 1793, dans Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVI, p. 473 et suivantes.

(3) Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVI, p. 560.

sas (1), Lidon, Rabaut-Saint-Étienne, Brissot, Chambon, Grangeneuve, Vigée et Ducos (2).

XIV

L'histoire des Girondins est déjà, grâce à l'imagination des poëtes, à ce point dégénérée en légende, que la plus exacte prudence et le plus minutieux examen sont nécessaires pour discerner la vérité des plus fausses traditions.

On montre encore, dans les mansardes d'une maison de la rue de Vaugirard, no 70 bis, une chambrette tapissée d'inscriptions latines, françaises et allemandes, de vers et de prose, exprimant en général des idées tristes ou exaltées; et l'on ajoute que ces inscriptions y furent tracées par la main des Girondins, enfermés dans cette maison, qui dépendait, en 1793, de l'ancien couvent des Carmes, où les prêtres furent massacrés le 2 septembre 1792.

Voici comment la plume de M. de Lamartine a décrit cette prison des Girondins :

« Quand leur procès fut décidé, on resserra encore leur captivité. On les enferma, pour quelques jours, dans l'immense maison des Carmes de la rue de Vaugirard, monastère converti en prison et rendu sinistre par les souvenirs et par les traces du sang des massacres de septembre. Les étages inférieurs de cette prison, déjà remplis de détenus, ne laissaient aux Girondins qu'un étroit espace sous les toits de l'ancien couvent, composé d'un corridor obscur et de trois cellules basses, ouvrant les unes sur les autres, et semblables aux plombs de Venise. Un escalier dérobé, dans un angle du bâtiment, montait de la cour dans ces combles. On avait pratiqué sur ces escaliers plusieurs guichets. Une seule porte massive

(1) Louvet, Mémoires, p. 66 et 76.

(2) Prudhomme, Révolutions de Paris, t. XVI, p. 560.

et fermée donnait accès dans ces cachots. Fermée depuis 1793, cette porte, qui s'est rouverte pour nous, nous a exhumé ces cellules et rendu l'image et les pensées des captifs aussi intactes que le jour où ils les quittèrent pour marcher à la mort. Aucun pas, aucune main, aucune insulte du temps n'y a effacé leurs vestiges. Les traces écrites des proscrits de tous les autres partis de la République s'y trouvent confondues avec celles des Girondins. Les noms des amis et des ennemis, des bourreaux et des victimes, y sont accolés sur le même pan de mur.

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Les murailles et le plafond de ces chambres, recouverts d'un ciment grossier, offraient aux détenus, au lieu du papier dont on venait de les priver depuis leur translation, des pages lapidaires, sur lesquelles ils pouvaient graver leurs dernières pensées à la pointe de leurs couteaux, ou les écrire avec le pinceau. Ces pensées, généralement exprimées en maximes brèves et proverbiales, ou en vers latins, langue immortelle, couvrent encore aujourd'hui ce ciment, et font de ces murailles le dernier entretien et la suprême confidence des Girondins. Presque toutes écrites avec du sang, elles en conservent encore la couleur... Aucune n'atteste un regret ou une faiblesse... Presque toutes sont un hymne à la constance, un défi à la mort, un appel à l'immortalité. Quelques noms de leurs persécuteurs s'y trouvent mêlés aux noms des Girondins. Ici on lit :

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« A côté, une inscription religieuse où l'on croit reconnaître la main de Fauchet :

« Souvenez-vous que vous êtes appelés non pour causer et pour être oisifs, « mais pour souffrir et pour travailler. »

(Imitation de J.-C.)

<< Sur un autre pan de mur un souvenir à un nom chéri, qu'on ne veut pas révéler, même à la mort :

« Je meurs pour..... »

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(MONTALEMBERT.)

« Sur la poutre :

Dignum certe Deo spectaculum virum colluctantem cum calamitate. »

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«

<< Au-dessous :

Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur.»

<«< En grosses lettres, avec du sang, de la main de Vergniaud.

« Potius mori quam fœdari (1). »

Rien assurément de plus précis et, au fond, de plus digne d'intérêt que ces détails; mais l'histoire ne peut pas, comme le roman, se contenter d'intérêt et de formes, elle exige encore

(1) De Lamartine, les Girondins, t. VII, liv. 47, p. 13, 14, 15, 16 et 17.

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