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gants. Je ne connais pas Condorcet, j'ai de la vénération pour ses talents; mais Brissot a une mauvaise figure et une mauvaise réputation; et quant à mes trois collègues de la députation de la Gironde, je les connais pour des ambitieux et des intrigants. « Gensonné est le plus hypocrite de tous. C'était un aristocrate, qui n'a fait le patriote que pour avoir des places. Il ne fut pas plutôt procureur de la commune à Bordeaux, que, pour faire la cour au ci-devant duc de Duras, il fit tout son possible pour dissoudre le Club national.

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« Vergniaud est encore l'ami et le protecteur des aristocrates, comme il l'était en 1789.

« Guadet aspirait à une place de commissaire du roi ; son titre était un grand dévouement à la cour. Il vint la solliciter à Paris; le ministre la lui refusa; et, depuis cette époque, il est devenu ennemi de la cour. Jugez quelle confiance méritent ces hommes parmi les patriotes (1).

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Ducos n'avait pas de ses collègues une meilleure opinion que Grangeneuve; car il les donnait tous, et Gensonné à leur tête, pour des scélérats. Voici à quelle occasion et en quels termes Fabre-d'Églantine rapporta l'opinion de Ducos :

«En sortant un jour de la Convention nationale, nous nous rassemblâmes sept patriotes pour aller dîner ensemble. Ducos nous aborda, et nous demanda s'il pouvait venir avec nous. Nous lui dîmes que oui. Pendant le dîner, la conversation se passa, de notre part, en peinture du caractère des membres de la faction et de leur marche, et de celle de Ducos en atténuation. A la fin du dîner, Ducos nous dit : « Vous les jugez « très-bien; ce que vous dites est vrai; mais vous avez oublié de parler du plus scélérat d'entre eux, c'est Gensonné. »

Honteux d'une telle révélation, faite en présence de ses amis qu'elle outrageait, Ducos voulut en atténuer la portée : « Il est vrai, dit-il, que l'indépendance de mon caractère et de mon

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, p. 195.

opinion me permettait de fréquenter les députés des deux partis. J'assistais au dîner dont a parlé Fabre. La conversation tomba sur les personnes avec lesquelles j'étais lié dans l'Assemblée législative. La partialité n'entrait point dans le portrait qu'on faisait d'eux. Alors je dis : « Vous jugez vos adversaires << sans prévention; mais il en est qui mettent de la haine dans «leur jugement. » Quant au propos que le témoin me prête sur Gensonné, je déclare qu'il avait des opinions politiques qui ne me plaisaient pas, qu'il avait des liaisons dont je voulais éclaircir le motif; mais je n'ai jamais dit qu'il fût un scélérat. >>

Persistant dans sa déclaration, Fabre ajouta : «< Danton, Camille Desmoulins et Tallien pourront attester le fait. » Et Ducos se tut (1).

IX

Ainsi, les Girondins n'étaient unis entre eux ni par les relations, ni par les affections, ni par l'estime. C'étaient des ambitieux et des révolutionnaires, momentanément rapprochés et juxta-posés par le besoin de fronder et par l'envie de dominer. On a vu Grangeneuve nier le patriotisme de Vergniaud, de Guadet, de Gensonné et de Brissot, et donner la plus misérable ambition pour mobile à leur conduite; on a vu Vigée déclarer qu'il connaissait fort peu ses collègues; on a vu Vergniaud se défendre de toute intimité avec Brissot et avec Gensonné; on a vu Sillery renier Pétion, auquel il avait pourtant confié sa femme; on a vu Ducos soupçonner la pureté des liaisons de Gensonné, détester ses opinions politiques, et convaincu par témoins d'avoir dit qu'il était le plus scélérat du parti; on a vu les Girondins, assis au tribunal, s'accorder pour rejeter toute la responsabilité sur les Girondins en fuite; on a

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 58, p. 231.

vu enfin Boileau abjurer les doctrines de la Gironde, se déclarer Jacobin et Montagnard à l'audience, et faire planer sur ses compagnons le soupçon d'avoir assassiné Marat.

Quelles vues politiques pouvaient avoir en commun des hommes séparés par des sentiments si bas, que la conformité du malheur ne pouvait pas les unir, au moins en apparence, et tant qu'ils restaient sous les yeux de leurs bourreaux? Nous allons montrer qu'en effet ils n'en avaient pas, et que ces chefs d'un des plus grands partis de la révolution n'avaient aucune opinion politique arrêtée, pas même celles dont on les accusait, et pour lesquelles ils allaient mourir.

Cinq griefs ou cinq prétextes étaient mis en avant par les Montagnards pour égorger les vaincus du 31 mai 1793, indépendamment des conspirations banales qui étaient comme la ritournelle obligée de tous les actes d'accusation à cette époque.

On reprochait aux Girondins d'avoir voté une force dépar tementale pour opprimer la ville de Paris; d'avoir dirigé et exagéré les opérations de la commission des Douze, chargée de poursuivre les conspirateurs; d'avoir fait un crime à Pache, maire de Paris, de la fermeture des barrières le 2 juin; enfin d'avoir attaqué la municipalité insurrectionnelle du 51 mai, et de n'avoir pas aimé Marat. C'étaient là les crimes, et les plus grands, pour lesquels on montait sur l'échafaud sous le régime de la Terreur.

Eh bien ! la plupart des Girondins vont s'inscrire en faux contre ces accusations, et déclarer qu'ils ont repoussé la garde départementale, blâmé la commission des Douze, approuvé Pache, vanté la Commune insurrectionnelle, et défendu Marat.

X

C'est vers la fin de septembre 1792, lorsqu'ils eurent vu que les fruits du crime du 10 août étaient cueillis par d'autres ; que la monarchie, dont ils n'avaient voulu qu'être les ministres, était abattue, et que les révolutionnaires de Paris, dont ils avaient cherché à se faire des auxiliaires, étaient devenus leurs maîtres, que les Girondins se virent clairement perdus, s'ils ne parvenaient pas à maîtriser les forces insurrectionnelles des faubourgs, les Jacobins et la Commune. Une garde de vingt-quatre mille hommes, fournie par les quatre-vingt-trois départements, leur parut être un moyen sûr de maintenir Paris. Lanjuinais la proposa le 3 octobre, et, le principe une fois voté, Buzot présenta le rapport sur son organisation, cinq jours après (1).

Comme on le pense bien, les révolutionnaires de Paris voyaient aussi clair que les Girondins dans cette question; les pétitions des clubs et des faubourgs y mirent bon ordre ; et la garde départementale fut dissoute le 12 août 1793, avant d'avoir été complétement organisée (2).

Ce fut donc là le premier grief élevé contre les Girondins. Or, voici, sur la déposition de Pache, les réponses de trois des principaux accusés :

Vergniaud: « Le témoin a dit que la faction avait voté pour l'établissement de la force départementale, et il en a tiré la conséquence qu'elle voulait fédéraliser la république. Ceci s'adresse à tous les accusés. Les uns ont voté pour cette force, les autres contre, et j'étais de ce nombre. Ainsi ce fait ne peut m'être imputé (5).

Carra: «... Quant à la force départementale, mon opinion

(1) Moniteur du 7 et du 9 octobre 1792.

(2) Moniteur du 14 août 1793.

(3) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 40, P. 162,

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était contraire à cette proposition on peut s'en assurer en visitant les journaux. Ainsi, ce que dit le témoin ne me regarde nullement (1).

Fonfrède : « Quant à la déposition du témoin, je répondrai que je n'ai point été d'avis de la garde départementale. Au contraire, c'est moi qui ai voté pour que deux bataillons, qui venaient sur Paris, fussent tenus de retourner vers les côtes maritimes (2).

Ainsi, au sujet de la mesure capitale imaginée par les Girondins pour résister à la tyrannie des clubs, de la Commune et des faubourgs de Paris, voilà trois d'entre eux, et des plus influents, qui la répudient et qui la blâment.

Fonfrède, Vigée

Gouvernement des commissions. - Commission des Douze. et Boileau l'attaquent. Fermeture des barrières de Paris. Gensonné el Vergniaud la blâment. Révolution du 31 mai, qui viole l'Assemblée, et proscrit cent de ses membres. - Fonfrède, Duprat et Vergniaud l'approuvent.

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Abaissement des Girondins devant leurs bourreaux. Puérilités de la peur. - Fanfaronnades. Arrestation des Girondins. - La prison des Carmes. Légende sur cette maison. — Poésie du récit de M. de Lamartine. - Inscriptions. Les Girondins n'ont jamais été mis aux Carmes.-Tableau de leur séjour dans les prisons.

XI

Les grands philosophes qui s'emparèrent, en 1789, du gouvernement de la France, crurent faire merveilles en substituant à l'action du pouvoir central et moteur une broussaille de comités et de commissions de tout genre. La commission extraordinaire des Douze était un effet de ce morcel

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2o partie, no 40, p. 162. (2) Idem, ibid., p. 165,

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