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Ils accusent leurs Boileau se proclame

Quelle était la doctrine politique des Girondins? Ils n'en avaient aucune. —
C'étaient des ambitieux, rapprochés par des intérêts et des intrigues.
Spectacle hideux qu'ils donnent pendant leur procès.
amis absents. Vigée déclare les connaître à peine.
Montagnard. Lettre diffamatoire pour ses amis
Bourdon. Sillery prétend connaître à peine Pétion. - Brissot désavoue
les opinions de Roland. Vergniaud renie Brissot et Gensonné.
Ils se
Valazé dénonce Valady. Gardien accuse ses

dénoncent mutuellement.

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qu'il écrit à Léonard

-

collègues. Vigée dénonce Gardien. Ils se diffament.

diffame Gensonné, Vergniaud et Guadet. - Griefs élevés contre les Girondins.

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Grangeneuve

- Ducos traite Gensonné de scélérat.

Force départementale proposée par Lanjuinais, adoptée sur le rapport de Buzot. - Vergniaud, Carra et Fonfrède déclarent l'avoir repoussée.

VI

La première question que le lecteur s'adressera, au sujet des Girondins, c'est naturellement la question de savoir quelle était leur doctrine politique.

Les Girondins n'avaient aucune doctrine politique. C'était une réunion d'ambitieux, rapprochés par des passions, non par des idées. Unis pour attaquer le gouvernement de Louis XVI, pour s'en partager l'influence et les profits, ils n'avaient en commun ni opinions, ni plans, ni projets de gouvernement. Bien plus, ils n'avaient les uns pour les autres ni confiance, ni affection, ni estime.

On ne saurait donner un spectacle plus triste, plus heureux et plus navrant que celui qu'ils offrirent à la France lorsque, vaincus par les Montagnards, ils eurent à exposer et à défendre leurs principes et leur conduite devant le tribunal révolutionnaire, durant leur célèbre procès commencé le 24 octobre 1793 et terminé le 30. Quelque passionné et violent qu'il fût, l'acte d'accusation, dressé par Amar, au nom du comité de sûreté

générale, les accabla moins qu'ils ne s'accablèrent eux-mêmes. Désaveux, dénonciations, reproches, injures, ils se prodiguèrent tout, avec violence et avec cynisme.

L'acte d'accusation lu, et Pache, le premier témoin à charge, entendu, les vingt et un (1) Girondins présents à l'audience commencèrent par rejeter tous les faits graves sur leurs amis absents, Roland, Pétion, Barbaroux, Louvet. « Les accusés interpellés de répondre, aucun des prévenus ne nie que le parti ne soit coupable de ces faits; mais plusieurs avancent qu'ils n'y ont pas pris part individuellement. Ils s'accordent à rejeter les fautes les plus graves sur leurs complices contumaces, tels que Guadet, Barbaroux, etc. (2).

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Interrogé sur ses liaisons avec les Girondins, ses collègues, assis près de lui au tribunal, Vigée les renie, et déclare n'en connaître aucun particulièrement (3).

Interrogé sur ses doctrines qu'il a défendues en commun avec les Girondins, Boileau se déclare franc Montagnard : « Je ne sortais pas, dit-il, j'ignorais ce qui se passait; j'étais placé entre deux écueils; je voulais, comme la Montagne, toute la liberté... J'avais, ainsi que la Montagne, voté la mort du tyran; et si j'ai quelquefois été opposé aux patriotes qui la composent, je suis maintenant désabusé sur son compte, et à présent franc Montagnard (4). »

Cette odieuse et inutile lâcheté était écrite, Boileau la lut mot à mot, de crainte de ne pas s'abaisser assez en improvisant. Cependant, Boileau ne connaissait pas toutes ses rcs

(1) Quoique le procès des Girondins porte habituellement, dans l'histoire, le nom de Procès des vingt-deux, il n'y avait que vingt et un accusés présents à l'audience, savoir: Brissot, Vergniaud, Gensonné, Lauze-Duperret, Carra, Gardien, Dufriche-Valazé, Duprat, Sillery, Fauchet, Ducos, Boyer-Fonfrède, Lasource, Lesterpt-Beauvais, Duchâtel, Mainvielle, Lacaze, Lehardy, Boileau, Antiboul et Vigée. Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 64. (2) Idem, ibid., no 40, p. 161. (3) Idem, ibid., no 41, p. 164. (4) Idem, ibid., no 41, p. 164.

sources en ce genre; car, à une audience, Léonard Bourdon apporta une lettre dans laquelle Boileau, en le priant de le défendre devant le tribunal, accusait ainsi ses collègues : « J'ai été un moment dans l'erreur; mais à présent que le bandeau est tombé de mes yeux, et que je sais où siége la vérité, je déclare que je suis Montagnard. Il est clair, à mes yeux, qu'il a existé une conspiration contre l'unité de la république, comme il est clair que les Jacobins ont toujours servi la république. Pour finir, je reconnais que tant que le côté droit aurait été en force, il aurait paralysé les mesures les plus vigoureuses (1). »

Après la lecture de cette honteuse lettre, le président Herman dit à Boileau :

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Nommez, Boileau, ceux d'entre les accusés que vous avez entendu désigner dans votre lettre?

- Je n'ai entendu accuser personne, répondit Boileau, dominé par un reste de pudeur, bientôt évanouie ; j'ai cherché la vérité, je l'ai trouvée parmi les Jacobins, et je suis maintenant Jacobin.

Et pour mettre le comble à cette ignominie, qui ne pouvait même pas le sauver, ce Girondin avoua que le monstre qui avait tranché les jours de Marat avait été vomi par le côté droit, et que c'était cet événement qui l'avait éclairé (2).

Interrogé sur ses relations avec Pétion, son ancien collègue à l'Assemblée constituante, et son collègue actuel à la Convention, Sillery répond qu'il n'était pas intimement lié avec lui jusqu'à la fin de 1791, et qu'il ne l'a pas vu depuis la fin de 1792. Et comme Fouquier-Tinville lisait une lettre intime de Pétion, dans laquelle il s'applaudissait du retour de madame de Genlis qu'il avait accompagnée en Angleterre, Sillery, pris au piége de sa dissimulation, répondait : « Il est vrai

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 60, p. 238. (2) Idem, ibid., p. 239.

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« que le citoyen Pétion a accompagné mon épouse en Angle« terre; mais, à son arrivée à Londres, ils se sont séparés (1). » Interrogé sur ses relations avec Roland, dont il était l'intime ami, le commensal et le directeur, Brissot répond : « Je le regarde comme un homme pur, mais qui peut avoir erré dans son opinion (2).

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Interrogé sur ses relations avec Brissot et Gensonné, avec lesquels il avait, le 10 août, ajourné et combattu la déchéance de Louis XVI, Vergniaud « se défend d'avoir eu des intimités avec Brissot et Gensonné. Il répond ainsi au reproche de s'être obstinément opposé à la déchéance (3), quand on pouvait la décréter (4). »

VII

Voilà donc jusqu'ici les Girondins qui se renient mutuellement; les voici maintenant qui se dénoncent.

Chaumette, témoin à charge, rappelle qu'il avait paru précédemment un placard rouge, dans lequel on invitait le peuple à massacrer les Jacobins et les Cordeliers, pour avoir du pain. Il ajoute que l'auteur de ce placard, resté longtemps inconnu, fut enfin reconnu pour être Valazé ou Valady. « Je répondis dans le temps, s'écrie Valazé, que je n'étais point l'auteur de l'affiche qu'on m'imputait. Il a été reconnu depuis que Valady en était l'auteur (5).

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 63, p. 251.

(2) Idem, ibid., no 46, p. 182.

(3) Vergniaud s'était si bien opposé à la déchéance, qu'il répondit en ces termes aux pétitionnaires qui la demandaient : « Les représentants du peuple ont fait tout ce que leur permettaient de faire les pouvoirs qui leur ont été délégués, quand ils ont arrêté qu'il serait nommé une Convention nationale, pour prononcer sur la question de la déchéance. En attendant, l'Assemblée vient de prononcer la suspension, et cette mesure doit suffire au peuple pour le rassurer contre les trahisons du chef du pouvoir exécutif. » Moniteur du

12 août 1792.

(4) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 46, p. 184. (5) Idem, ibid., no 49, p. 195.

Léonard Bourdon, autre témoin à charge, ayant imputé aux Girondins, et notamment à Brissot, le projet, hautement exprimé dès le 12 août, de renouveler la commune de Paris, formée dans la nuit du 10, par voie insurrectionnelle, Brissot répondit vivement: « La proposition de renouveler la commune de Paris fut faite à l'Assemblée par Gensonné (1).:

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Gardien, l'un des accusés, répondant au témoin Dobsen, au sujet des opérations de la commission des Douze, prétendit l'avoir quittée, parce que Dobsen y avait été maltraité, et qu'on n'avait pas voulu le mettre en liberté. Là-dessus, Vigée prit la parole et dit : « Je ne suis pas inculpé dans cette affaire, et je ne prendrais pas la parole, si Gardien n'avait pas cherché à se défendre en inculpant ses collègues. Gardien fut celui qui interrogea le citoyen Dobsen. Je me plaignis de la manière dure dont ils s'acquittèrent de ce ministère. Ils lui demandèrent quelle avait été son opinion dans sa section sur plusieurs arrêtés qu'elle avait pris. Le témoin lui répondit en homme libre, et qui ne doit compte à personne de sa manière de voir. Alors je m'approchai de Gardien, et je lui dis : « Tu inter" roges d'une manière indécente. » J'entrai ensuite au comité, où je demandai la liberté du citoyen Dobsen (2).

VIII

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Ainsi, on le voit, les Girondins viennent de se renier et de s'accuser. Ce n'est pas tout encore, car ils vont se diffamer. Ils avaient formé, dans la rue d'Argenteuil, où demeurait Dufriche-Valazé, une sorte de cercle, où ils dînaient et se concertaient. Brissot y invita Chabot, qui refusa de s'y rendre.

<«< Tu as bien fait, lui dit Grangeneuve, ce sont des intri

(1) Bulletin du tribunal révolutionnaire, 2e partie, no 50, p. 250. (2) Idem, ibid., p. 176.

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