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A plus forte raison doit-elle décider que les citoyens de couleur, qui sont 3 fois plus nombreux; qui ne pouvaient ni se rapprocher dans les colonies, ni se réunir, sans s'exposer aux peines les plus sévères, ont pu se rapprocher, s'assembler et nommer, à Paris, les représentants qui demandent aujourd'hui leur admission.

Indépendamment de leur titre primitif, de leur droit au fond, de l'infaillibilité des décrets, dont ils ne cesseront de s'étayer, les citoyens de couleur ont encore l'avantage d'avoir rempli toutes les formalités que l'on pouvait exiger d'eux.

Leurs assemblées ont été précédées de l'avis qu'ils en ont fait donner aux chefs de la commune (1); leurs délibérations n'ont été décidément commencées que lorsque les blancs ont refusé de s'unir à eux; les ministres du Roi ont été prévenus; l'Assemblée nationale les a déjà reçus, elle a décrété en leur faveur la liberté d'assister à la séance, dans laquelle ils ont été admis; Leurs Majestés ont bien voulu recevoir, agréer leurs hommages; le 22 octobre 1789, les citoyens de couleur ont eu l'honneur de leur être présentés; MONSIEUR a également consenti à les recevoir; en un mot, ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir i's ont fait autant et plus que les commissaires, les députés des colons blancs; ils se présentent avec les mêmes titres, les mêmes droits, le même zèle, et certainement avec plus d'intérêt et de nécessité. Pourquoi donc y auraitil dans la décision une différence qui ne se trouve ni dans les principes, ni dans les faits?

Recevez, Messieurs, l'hommage respectueux que nous devons à vos lumières, et surtout au patriotisme qui vous soutient au milieu des fonctions honorables et pénibles que nous ambitionnons de partager.

Nous sommes avec la plus profonde vénération, Messieurs,

Vos très-humbles et très-obéissant serviteurs.

DE JOLY; RAIMOND ainé; OGÉ jeune;
DU SOUCHET DE SAINT-REAL; HONORÉ
DE SAINT-ALBERT, habitant de la Mar-
tinique; FLEURY,

Commissaires et députés des citoyens de couleur des îles et colonies françaises.

Paris, ce 23 novembre 1789.

4° ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 28 novembre 1789.

Observation de M. de Cocherel, député de Saint-Domingue à l'Assemblée nationale sur la demande des mulâtres (2).

Messieurs, lorsque les députés de Saint-Domingue sont venus solliciter leur admission à l'Assemblée nationale, ils vous ont annoncé qu'ils étaient les représentants des communes de leur pays; ils vous ont déclaré qu'ils n'y connaissaient point la distinction des ordres; ils vous ont dit

(1) M. le maire et M. le commandant général en ont été informés.

(2) Le Moniteur n'a reproduit ce document que d'une façon très-incomplète.

qu'ils n'en connaissaient qu'un, celui d'hommes libres; ils vous en ont présenté l'état de population qu'ils ont fait monter à environ 40,000 hommes; vous avez fixé le nombre de leurs députés en raison de cette population seulement, sans vouloir avoir égard à l'importance, à la richesse de la province qu'ils représentent et à l'étendue de son territoire, principe que vous venez cependant de consacrer depuis cette époque, par un de vos décrets.

Vous avez donc jugé l'île de Saint-Domingue suffisamment représentée.

Cependant aujourd'hui une réunion de quelques individus isolés à Paris, connus dans les colonies sous le nom de mulâtres, et dénommés à Paris gens de couleur, vient réclamer contre une représentation que vous avez jugée légale.

Mais permettez-moi, Messieurs, de faire quelques questions d'abord à M. le rapporteur du comité de vérification, avant de répondre à cette réclamation: il serait intéressant qu'il nous apprît de combien de membres était composé le comité, lorsqu'il a donné son avis. On m'a assuré qu'il ne s'y était trouvé que neuf commissaires, que leurs opinions avaient été très-partagées, que quatre ou cinq membres, au plus, avaient été de l'avis du rapport arrêté dans le comité (1).

Cependant, Messieurs, l'importance de la question dont il s'agit, d'où dépend, dans ce moment, le sort des colonies, méritait toute l'attention du comité; nous espérons que vous voudrez bien y suppléer, en ordonnant que toutes les pièces soient déposées préalablement sur le bureau, afin que l'Assemblée en prenne elle-même communication, ou bien qu'elle ordonne qu'elles soient remises aux députés des colonies, pour y répondre.

Je demanderai ensuite comment est formée et composée cette espèce de corporation.

Est-ce des colons? ces colons sont-ils affranchis? de laquelle des quatorze colonies françaises sont ces colons? ces colons sont-ils propriétaires dans les colonies? ces colons ont-ils des pou

(1) Nota. Il est très à propos de remarquer encore que dans le nombre de cinq honorables membres qui ont voté en faveur des mulâtres, était M. le curé Grégoire, qui venait de répandre contre les habitants des colonies un libelle incendiaire, où, entre autres nouveaux principes de morale, proclamés charitablement par M. le curé, on lit ceux-ci:

Page 11. « Ainsi l'intérêt et la sûreté seront pour les blancs la mesure des obligations morales. Nègres et gens de couleur, souvenez-vous-en. Si vos despotes persistent à vous opprimer, ils vous ont tracé la route que vous pourrez suivre. »

Page 29. Convient-il que nos esclaves deviennent nos égaux? je crains bien que cela ne soit le fin mot! pauvre vanité! je vous renvoie à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen tirez-vous-en, s'il se peut. »

Page 35. « Puissé-je voir une insurrection générale dans l'univers pour étouffer la tyrannie, ressusciter la liberté, etc. »

Page 36. Il ne faut qu'un Othello, un Padrejan, pour réveiller dans l'âme des nègres les sentiments de leurs inaliénables droits. »

Page 37. «Parce qu'il vous faut du sucre, du café, du tafia, indignes mortels! mangez plutôt de l'herbe et soyez justes. >>

Je ne fais que citer, et je ne me permets aucune réflexion sur les principes religieux et pacifiques de M. le curé, insérés dans son libelle c'est aux représentants de la nation, assemblés, à les apprécier et à les juger. Ce libelle a été remis à chacun de Messieurs, avec la plus grande publicité, par mandement de M. le curé d'Embermenil.

voirs? en quel nombre sont ces pouvoirs? sontils donnés par des propriétaires libres résidant dans les colonies? Ces pouvoirs sont-ils légaux? les procurations qui énoucent ces pouvoirs sontelles passées par devant notaires? sont-elles légalisées dans les formes prescrites par les juges des lieux ? quel est l'état de ces soi-disant colons? n'est-ce pas, peut-être, celui de la bâtardise, celui de la domesticité?

Je demanderai encore si ces hommes,ique gens de couleur, ne peuvent pas être nés en France, sans avoir pour cela aucuns rapports, aucunes propriétés à Saint-Domingue? Ces gens de couleur ne peuvent-ils pas être nés dans les colonies étrangères? Voilà ce qu'avait à examiner, Messieurs, votre comité de vérification; c'est à quoi se borne son institution, toute autre question lui est étrangère et appartient à votre comité de constitution. Votre comité de vérification ne pourrait pas même vous proposer, dans cet état de cause, un mode de convocation pour nos assemblées, sans sortir des bornes qui lui sont prescrites par votre règlement.

Au reste, en supposant à quelques-uns de ces hommes de couleur toutes les qualités requises pour appayer leurs réclamations, je leur demanderai s'ils veulent former une classe particulière, s'ils prétendent à une distinction d'ordre, si leur projet est de se séparer des communes des colonies composées d'hommes libres, en sollicitant cette représentation qui détruirait tous les principes de l'Assemblée nationale? Je demanderai à laquelle des 14 colonies françaises on voudrait attacher les deux députés privilégiés, proposés par le comité de vérification? Je demanderai quel sera le bailliage de ces 14 colonies, que ces deux députés auraient la prétention de représenter? Je demanderai, eufin, si l'Assemblée nationale peut enlever aux provinces le droit de nommer ellemêmes leurs députés, en permettant à des individus isolés de s'assembler à cet effet, hors de leur patrie, et d'en faire eux-mêmes le choix le plus irrégulier?

D'après toutes cette considerations, je me résume et je dis que s'il est prouvé que les gens de couleur sont propriétaires libres des colonies, il est prouvé par là même qu'ils composent les communes des colonies, dont la représentation à été calculée et fixée, par un décret de l'Assemblée nationale,en raison de la population des communes des colonies; cette population n'a pas augmenté depuis ce décret, qui a consacré les droits et l'admission des députés à l'Assemblée nationale. Les réclamations des gens de couleur ne pourraient donc être accueillies sans détruire votre premier décret; et dans cette hypothèse, la députation des colonies deviendrait tout au plus nulle; leurs députés cesseraient, en conséquence, de s'asseoir parmi vous, Messieurs, mais ce ne serait point assurément une raison pour y faire admettre les gens de couleur.

En deux mots, ou la nomination des députés des colonies est légale, ou, elle ne l'est pas. Si elle est légale, les gens de couleur sont reprétés parce qu'ils composent les communes; si elle ne l'est pas, les députés des colonics doivent se retirer. Voilà à quoi se réduit uniquement la question qui vous est soumise; et vous ne pouvez prononcer, sous aucun rapport, en faveur des gens de couleur, sans attaquer et annuler votre premier décret d'admission des députés de SaintDomingue à l'Assemblée nationale. Mais comme vous l'avez déclaré vous-mêmes irrévocable, je

demande que l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

Et je suis d'autant plus fondé, Messieurs, dans mon opinion, qu'elle n'est que le résultat de la vôtre.

En effet, Messieurs, rappelez-vous qu'une corporation des plus grand propriétaires des colonies, résidant actuellement en France, a cru devoir également faire des réclamations à votre tribunal, contre la nomination des députés de Saint-Domingue, qu'ils ont jugée illégale par le défaut de convocation de tous les habitants libres, qui composent la colonie de Saint-Domiague vous avez rejeté leurs réclamations.

Mais ne seraient-ils pas fondés à se présenter de nouveau aujourdhui à votre tribunal, si vous légitimiez la corporation des gens de couleur, assemblés à Paris? Ne seraient-ils pas également autorisés à s'assembler dans le royaume, pour protester contre l'admission illégale de leurs députés, et n'auraient-ils pas le droit de les rappeler, par la raison qu'ils auraient été nommés sans convocation et sans leur participation?

Get exemple ne serait-il pas dangereux pour d'autres provinces, dont quelques habitants également isolés, et peut-être mécontents, se croiraient fondés à s'assembler partout où ils se trouveraient, même hors de leurs provinces et, à rappeler leurs députés, s'ils le jugeaient nécessaire à leurs intérêts particuliers? Que deviendrait alors votre décret, qui enlève ce droit à nos propres et véritables commettants?

J'abandonne ces réflexions, Messieurs, à votre sagesse; mais permettez-moi seulement de vous observer que l'Assemblée nationale, ayant rejeté le comité national demandé par les députés des colonies, a manifesté l'intention où elle est de ne rien préjuger, de ne rien arrêter sur les questions relatives à la constitution des colonies, qui lui seraient présentées : celle qui vient d'être soumise à votre examen est sans doute de ce nombre, puisqu'elle tient essentiellement à la constitution des colonies; je demande donc qu'il ne soit rien statué à cet égard par l'Assemblée nationale, que préalablement elle n'ait reçu du sein des colonies mêmes leurs vœux légalement manifestés dans un plan de constitution propre à leur régime, qui sera présenté à l'examen de l'Assemblée nationale.

Je vais vous proposer, en conséquence, un décret, dicté en ce moment par la prudence; croyez, Messieurs, qu'il vous conservera à jamais vos colonies, dont la perte occasionnerait à la métropole des maux incalculables. Rien ne périclite, rien ne vous presse de prononcer isolément sur la question prématurée qui vient de vous être présentée; elle ne pourra dans aucun temps échapper à votre examen; elle ne sera point oubliée dans le plan de constitution qui vous sera proposé par les colonies légalement assemblées, lorsque vous l'ordonnerez, et que vous pourrez vous en occuper; votre sagesse, d'ailleurs, doit rassurer les gens de couleur et dissiper leurs craintes. Les nègres libres, qui ont le même droit que les gens de couleur, seront également appelés; plus sages que les gens de couleur, plus reconnaissants que leurs enfants, ils se tiennent à l'écart dans ce moment, mais leur confiance en nous est pour nous un nouveau titre de défendre leurs intérêts comme les nôtres, ils nous seront toujours aussi chers; nous en contractons avec eux un nouvel engagement dans le sanctuaire même des représentants de la nation.

Nous serons fidèles à notre serment.
Voici donc le décret que je propose:

L'Assemblée nationale, considérant la différence absolue du régime de la France à celui de ses colonies, déclarant par cette raison que plusieurs de ses décrets, notamment celui des droits de l'homme, ne peuvent convenir à leur constitution, a décrété et décrète que toute motion relative à la constitution des colonies, serait suspendue et renvoyée à l'époque où elle recevra du sein même de ses colonies leurs vœux légalement manifestés dans un plan de constitution qui sera soumis à un sérieux examen de l'Assemblée nationale, avant d'être décrété.

ASSEMBLEE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGELIN, ARCHEVÊQUE D'AIX.

Séance du lundi 30 novembre 1789 (1).

M. Rabaud de Saint-Etienne, l'un de MM. les secrétaires, fait la lecture du procès verbal des deux séances du 28.

M. Gillet de la Jacqueminière fait une observation relative au décret sur l'imposition des biens privilégiés, et demande qu'on y ajoute que la capitation noble et privilégiée des six derniers mois de 1789 et de 1790 ne sera point imposée ou perçue, et qu'elle sera remboursée à ceux qui l'auraient acquittée, en justifiant par les uns ou les autres de l'acquit d'une ou plusieurs cotes de taille personnelle réunie, excédant ladite capitation.

La discussion de cette demande est ajournée. On a fait lecture des adresses dans l'ordre qui suit :

Adresse de félicitations, remerciments et adhésion de la ville de Mâcon en Bourgogne; elle demande à être le chef-lieu d'un département.

Adresse du même genre des habitants du bourg des Gardes en Anjou; ils attendent avec la plus vive impatience l'organisation des assemblées provinciales et municipales, et demandent l'établissement d'une paroisse dans leur bourg.

Adresse du même genre des représentants de la commune de Château-du-Loir; ils réclament avec instance la conservation de la sénéchaussée de cette ville, et présentent un nouveau plan d'arrondissement.

Adresse du même genre de la ville de Château-Renard en Gâtinais; elle demande à être le siége d'une assemblée de département.

Adresse des habitants des Riceys, qui forment trois bourgs et trois paroisses, dans laquelle ils conjurent l'Assemblée de conserver l'abbaye de Molesuce, dont les religieux ne passent point de jour sans donner des preuves sensibles de leurs vertus et de leur bienfaisance; cependant, remplis de confiance dans les lumières de l'Assemblée nationale, ils adhèrent d'avance avec une soumission respectueuse à tous les décrets qu'il lui plaira de porter.

Délibération de la compagnie présidiale de la ville de Moulins, par laquelle elle a arrêté de rendre la justice gratuitement.

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

Adresse de la compagnie des volontaires de Château-Thierry, dans laquelle ils présentent à l'Assemblée nationale l'hommage de leur profond respect et de leur dévouement sans bornes pour maintenir l'exécution de ses décrets.

Adresse des officiers municipaux et habitants de la communauté des Essarts en Bas Poitou, contenant l'expression d'une adhésion absolue à tous les arrêtés et décrets rendus et à rendre par l'Assemblée nationale.

Adresse de la municipalité de la ville d'Antibes en Provence, par laquelle elle adhère avec une respectueuse reconnaissance à tous les décrets rendus par l'Assemblée nationale, et notamment à ceux des 26 septembre, 8 et 9 octobre, 2 et 5 novembre.

Adresse de la communauté du Gua en Dauphiné, contenant adhésion au décret concernant la contribution patriotique; elle supplie l'Assemblée de porter une liquidation générale sur les arrérages de rente à un taux modéré, afin qu'elle puisse se libérer malgré son extrême détresse.

Adresse des officiers de la maîtrise des eaux et forêts de la ville de Vendôme, contenant une ordonnance de ces officiers, portant défense à tous particuliers de s'introduire dans les bois de Monsieur et autres bois ecclésiastiques situés aux environs de cette ville, et en même temps réquisition aux officiers de la milice bourgeoise, à ceux du régiment Royal-Cravate en garnison audit Vendôme, et à celui de la maréchaussée, de veiller de tout leur pouvoir à la conservation de ces bois, livrés au plus affreux pillage depuis le décret de l'Assemblée nationale sur la disposition des biens ecclésiastiques, parce que des gens mal intentionnés ont fait entendre à quantité de vignerons journaliers et autres qu'il avaient droit à ces bois, comme appartenants à la nation. Les officiers de la maîtrise annoncent que leur ordonnance a eu tout l'effet qu'ils en espéraient.

Adresse des marchands taneurs réunis à la foire d'Angers, qui supplient avec instance l'Assemblée nationale de supprimer les droits de régie, et de rendre à la fabrication des cuirs, la liberté et les facultés nécessaires à son développement.

Il a été demandé ensuite à l'Asssemblée d'accorder un passe-port au sieur Tavernier de la Junquières, chargé des dessins relatifs à l'ouvrage connu sous le nom de Voyage pittoresque de la France, et qui craint d'être inquiété dans ses travaux. Le passe-port a été accordé.

On a fait lecture ensuite d'une règle de police relative aux billets de tribune.

La ville de Josselin en Bretagne a fait un don patriotique de la somme de 4,125 livres.

M. de Volney, l'un des secrétaires, fait lecture d'une lettre écrite par les membres de la commune de Bastia, dans l'île de Corse, pár laquelle ils exposent à leurs députés les événements survenus dans l'ile et l'adhésion du peuple corse à la constitution française. La voici :

« Messieurs, l'orage vient enfin d'éclater; voici le récit très-précis du fait tragique arrivé entre les bourgeois de Bastia et le régiment du Maine.

«Le 5 du courant, après en avoir amplement prévenu M. le vicomte de Bassin, commandant de Corse, toute la ville s'est assemblée dans l'église paroissiale de Saint-Jean, afin de procéder à l'enregistrement de la garde nationale. Le commandant lui-même a bien voulu venir parmi les

citoyens dans l'église. Dans le temps que les bourgeois étaient paisiblement entrés dans la salle, on entend battre la générale et aussitôt on vient pour avertir que M. de Rouilles, colonel du régiment du Maine, à la tête de sa compagnie de grenadiers, marchait à droite, et M. de Tissonet, capitaine, à la tête des chasseurs à gauche, pour s'emparer de notre salle, et pour nous en chasser. 25 à 30 de nos braves bourgeois, avec quelques fusils, se sont présentés pour nous défendre; mais à peine les chasseurs commandés par M. de Tissonet les ont-ils aperçus qu'ils ont fait feu sur eux. Nos citoyens, en défendant leur vie, lâchèrent à leur tour des coups sur la troupe et par ce moyen les obligèrent à rétrograder.

«Il y a eu du sang répandu; savoir: deux soldats tués, deux blessés; et M. de Tissonet ciprésent est lui-même blessé. Parmi les citoyens, il n'y a eu de tués que deux petits enfants, qui ont été massacrés dans les rues à coups de baïonnette. Cette action barbare de la part des soldats a tellement révolté le peuple, qu'elle l'a porté à s'emparer de la citadelle, des magasins à poudre, des armes et de tous les forts de la ville, sans que cependant (grâce à Dieu) il s'en soit suivi d'autres accidents funestes.

Après quoi la garde nationale fut enregistrée et tout le peuple a prêté un nouveau serment de fidélité à la loi, au Roi et à l'Assemblée nationale, dans les mains de la municipalité. Le procès-verbal contenant tous les faits va vous arriver par le premier courrier. Mais nous avons cru qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour vous prévenir que dans toute l'île, il y a une fermentation terrible, dont la cause est l'incertitude dans laquelle nous nous trouvons sur notre sort. L'on nous dit, tantôt que l'on veut nous garder sous le régime militaire actuel; tantôt que l'on va nous céder à la république de Gênes, et notre inquiétude est d'autant plus fondée, que jusqu'à présent, de tous les décrets de l'Assemblée, il n'y a eu d'enregistré et publié que la loi martiale.

« Vous êtes, Messieurs, chargés par vos cahiers de demander que l'île de Corse soit déclarée partie intégrante de la monarchie et nous ne pouvons vous cacher que nous sommes trèsétonnés de voir que vous ne présentez jamais cette demande à l'Assemblée nationale.

<< Vous avez beau nous dire que votre admission comme députés nous déclare par le fait province de France, cela ne suffit pas. Le ministère nous a conquis par la force, et d'après un traité passé avec la République de Gênes, qui n'avait nullement le droit de nous céder. Pour notre sûreté et pour que nous soyons Français à jamais, ce qui est notre unique vou, il nous faut un décret de la nation sur une demande faite par vous, Messieurs, qui êtes nos représentants librement et légalement élus.

Nous attendons votre réponse avec le plus grand empressement et soyez sûrs qu'elle décidera de la tranquillité du pays.

A présent tout va bien, la milice nationale monte la garde à la porte du général, au port, à la citadelle, et partout où il y a besoin de sentinelles. Veuillez bien, en attendant le procèsverbal, représenter à l'auguste Assemblée nationale que nous avons pris les armes pour faire exécuter ses décrets, et que nous ne les quitterons point qu'ils n'aient été exécutés.

« Signé: GALEARINI, GUASCO, MORATI, membres de la commune de Bastia. »

La lecture de cette lettre est suivie de celle d'une adresse d'un grand nombre de citoyens de la ville d'Ajaccio, en date du 31 octobre, par laquelle ces citoyens se plaignent que la commission intermédiaire, de concert avec le régime militaire sous lequel l'île gémit, s'est opposée jusqu'à ce jour à toute assemblée patriotique et formation de milice nationale. Ils représentent d'une manière très-énergique les droits et le désir qu'ils ont de participer à la régénération de l'empire français. Ils réclament contre les vexations de toute espèce dont ils sont accablés. Ils protestent contre les calomnies dont on noircit les prétentions du peuple corse. Ils assurent que son vœu général, exprimé librement dans ses cahiers, est d'être réuni à la nation française devenue libre, et que toute sa crainte est d'être remis sous le joug des Gênois, ou de continuer d'être gouverné militairement, comme il l'a été jusqu'à ce jour. Ils désavouent toute expression des sentiments de la Corse qui émanerait de la commission des douze et s'en réfèrent exclusivement à leurs députés dans l'Assemblée nationale. Enfin ils supplient l'Assemblée d'une manière pathétique de prendre en considération l'état dangereux et déplorable de l'île de Corse.

M. Salicetti. Je demande qu'il soit rendu surle-champ un décret par lequel il sera déclaré que la Corse fait partie de l'empire français; que ses habitants doivent être régis par la même constitution que les autres Français, et que dès à présent le Roi sera supplié d'y faire parvenir et exécuter tous les décrets de l'Assemblée nationale.

M. d'Estourmel. Je propose de dire que le décret est rendu sur la demande et le libre consentement des habitants de la Corse.

M. Target fait remarquer, à propos de l'envoi des décrets de l'Assemblée nationale en Corse, qu'il faut dire que le pouvoir exécutif sera requis et non pas sera chargé d'envoyer les décrets.

M. Brunet de Latuque. C'est honorer la nation que de rendre hommage à son chef, et je propose de dire, comme par le passé, que le Roi sera supplié d'envoyer les décrets.

M. le Président prend le vœu de l'Assemblée et le décret suivant est rendu :

« L'île de Corse est déclarée partie de l'empire français; ses habitants seront régis par la même constitution que les autres Français, et dès ce moment le Roi est supplié d'y faire parvenir et publier tous les décrets de l'Assemblée nationale. >>

M. le marquis de Sillery. Nous n'avons que trop d'exemples de démembrements de la monarchie, et la Louisiane, un de nos plus beaux établissements, a été cédée aux Espagnols sans le consentement de la nation. Je fais donc la proposition de décréter que, dans aucun cas, le pouvoir exécutif ne pourra céder aucun pays ou partie de pays attaché à l'empire français, ou y appartenant, sans avoir consulté la nation.'

M. le comte de Mirabeau. Messieurs, après avoir rendu le décret qui déclare la Corse partie de l'empire français, il s'en présente un autre qui en est la suite nécessaire et que je propose

en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète que ceux des

Corses qui, après avoir combattu pour la liberté, se sont expatriés, par l'effet et la suite de la conquête de leur ile, et qui cependant ne sont coupables d'aucuns délits légaux, auront dès ce moment la faculté de rentrer dans leur pays pour y exercer tous les droits de citoyens francais, et que le Roi sera supplié de donner, sans délai, tous les ordres nécessaires pour cet objet. » Ce projet de décret est vivement applaudi par la grande majorité de l'Assemblée.

M. le prince de Poix. Si ce décret était rendu, il pourrait occasionner une révolte dans l'ile, et ses anciens habitants, coupables envers la France, rapporteraient dans leur patrie le souvenir de leur défaite, et seraient bientôt tentés d'abuser de l'indulgence de la nation. Je propose de consulter le pouvoir exécutif avant de prendre un parti.

M. Salicetti. C'est la province de Corse ellemême qui réclame ceux de ses anciens habitants qui ne sont pas chargés des crimes que la justice des lois doit punir; c'est elle qui redemande pour la France des citoyens français.

M. Gaultier de Biauzat. Je demande la suppression des mots délits légaux comme étant une expression obscure et incohérente.

M. le comte de Mirabeau. Toute objection est levée par ces mots qui ne sont coupables d'aucuns délits légaux; car je ne pense pas que personne ici puisse regarder comme coupables envers la nation des citoyens dont le crime unique serait d'avoir défendu leurs foyers et leur liberté. J'ai dit des délits légaux, parce qu'il n'y a que les actes contraires aux lois protectrices de l'homme qui méritent d'être punis. Je ne conçois pas comment la liberté, quand elle est innocente de tous délits de ce genre, pourrait n'être pas sous votre sauvegarde.

J'avoue, Messieurs, que ma première jeunesse a été souillée par une participation à la conquête de la Corse; mais je ne m'en crois que plus étroitement obligé à réparer envers ce peuple généreux ce que ma raison me représente comme une injustice. Une proclamation a prononcé la peine de mort contre les Corses qui ont défendu leurs foyers, et que l'amour de la liberté à fait fuir. Je vous le demande, serait-il de votre justice et de la bonté du Roi que cette proclamation les éloignât encore de leur pays, et punît de mort leur retour dans leur patrie?

M. le vicomte de Mirabeau. Vous prétendez que l'expression de délits légaux est parfaitement claire ce qui prouve qu'elle est obscure, c'est que vous êtes obligé d'en donner l'explication.

:

M. de Bousmard. Je demande la suppression de cette phrase: qui, après avoir combattu pour la défense de leur liberté, comme injurieuse à la nation et à la mémoire du feu Roi.

M. Salicetti. Je ferai remarquer à l'Assemblée que la motion de M. le comte de Mirabeau répond à un article exprès du cahier de l'île de Corse.

M. Barrère de Vieuzac. Il faut se håter de décréter une motion aussi honorable que celle qui est proposée; il faut que Paoli lui-même apprenne à devenir Français; un tel défenseur de 1re SÉRIE, T. X.

la liberté de son pays est digne d'une nation qui a secoué si courageusement ses fers.

(L'Assemblée devient très-tumultueuse, une partie de la salle réclame l'ajournement, la majeure partie veut passer au vote.)

M. Dupont (de Bigorre). Je demande que certains membres soient nommés dans le procèsverbal comme perturbateurs des délibérations de l'Assemblée.

M. le comte de Mirabeau. On dirait, Messieurs, que le mot de liberté fait ici sur quelques hommes la même impression que l'eau sur les hydrophobes..... Je persiste à demander que mon projet de décret soit mis aux voix; et, pour lever les scrupules de quelques personnes, je substitue à ces mots délits légaux, ceux-ci : délits déterminés par la loi.

M. de Montlosier. Si l'on adopte la motion, il faut en même temps ordonner la retraite des troupes qui sont en Corse, à moins qu'on ne veuille qu'elles soient massacrées. Je demande l'ajournement.

M. le Président veut mettre la motion aux voix; plusieurs membres s'y opposent. Une grande partie de l'Assemblée se lève pour exprimer un vou contraire à cette opposition.

Les voix prises, il est décidé qu'on délibérera sur-le-champ.

L'ajournement proposé est rejeté.

Plusieurs membres pretendent n'avoir pas entendu poser la question de l'ajournement.

Le président conjure l'Assemblée de laisser recommencer l'épreuve, par amour pour la paix. Cette seconde épreuve donne le même résultat.

M. Lavie. Je demande que les Corses qui rentreront dans l'île soient tenus de prêter serment de fidélité.

M. Salicetti. Leur retour seul prouvera leur fidélité et le nom de Français que vous leur avez donné, suffira pour l'assurer.

La question préalable est demandée sur les amendements.

Il est décidé qu'il n'y a pas lieu à délibérer à leur égard.

M. de Montlosier. Je demande qu'il me soit au moins permis de présenter un amendement relatif au général Paoli; j'ai sur cet objet de grandes instructions.

On délibère sur la motion principale, et elle est adoptée à une grande majorité en ces termes :

L'Assemblée nationale décrète que les Corses qui, après avoir combattu pour la défense de leur liberté, se sont expatriés par l'effet et les suites de la conquête de l'île de Corse, et qui cependant ne sont coupables d'aucuns délits déterminés par la loi, ne puissent être troublés dans la faculté de rentrer dans leur pays, pour y exercer tous leurs droits de citoyens français, et que M. le président soit chargé de supplier Sa Majesté de donner, sans délai, tous les ordres convenables à ce sujet.

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M. le Président donne lecture de deux lettres du garde des sceaux. La première, relative aux décrets de l'Assemblée nationale, annonce que Sa Majesté a sanctionné le décret relatif aux grains, celui aux bénéfices, celui qui met les biens ecclé

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