Page images
PDF
EPUB

démocratiques, il avait paralysé les principes démagogiques, pour donner la vie à ceux qui forment le gouvernement royal. Sous son règne, les souverains n'ont eu à lutter que contre son projet de monarchie universelle, mais jamais ils n'ont eu à redouter les moyens insurrectionnels des peuples, ni la propagation des idées désorganisatrices des sociétés. Jamais l'Espagne, le Portugal, Naples, le Piémont, n'eussent osé, sous le règne de Napoléon, imposer des lois à leurs souverains.

On pouvait penser que l'homme qui avait voulu rallier à son gouvernement un corps qu'il considérait comme l'élite de la nation, était décidé à obtenir ce résultat par quelque moyen que ce fût. Trouvant de la résistance lorsqu'il proposait, il parla en despote, il effraya; on se plaignit, mais on obéit. La cour fut en un moment composée en grande partie des noms les plus connus, et trois mois suffirent à l'opinion pour remplir les listes d'auditeurs, et faire solliciter les places dans les administrations civiles. Les jeunes gens, qui ne purent être auditeurs, se jetèrent dans la carrière des armes, et la gloire devint leur unique ambition. Napoléon avait obtenu ce qu'il avait voulu, à la différence énorme qu'il accordait, comme grâce, ce qu'il eût accepté avec reconnaissance. Les nobles reprirent cependant une grande faveur; ils avaient la préférence dans toutes les concurrences d'emplois ; mais la noblesse, comme corps, resta dans l'état où la révolution l'avait mise, et d'où elle avait été maîtresse de sortir.

L'histoire jugera si cette conduite a été politique; mais il nous est permis de croire que la restauration de 1814 eût été complète, que le 20 mars 1815 n'eût pas été une époque funeste à la France, si la noblesse eût reconquis une grande prépondérance dans l'État, en entrant dans le gouvernement d'un homme qui, en empruntant l'expression de M. le vicomte de Chateaubriand, « avait en lui un principe de séduction : en <«<le servant, on pouvait croire servir la gloire. » (6 février 1810, lettre quatrième sur l'Espagne.)

Pendant mon séjour en Espagne j'avais pris des notes sur ce royaume, on peut dire alors inconnu; car on s'était plu

à peindre les mœurs, les usages, les institutions, le caractère des Espagnols avec les couleurs les plus défavorables. Je m'en servis pour réfuter un ouvrage de M. de Langle, et les erreurs commises par M. Bourgoing dans son tableau de l'Espagne moderne. Je fis imprimer cet ouvrage en 1805. La morale, qui y est exprimée, contrastait avec la morale du temps.

Ce ne fut qu'en hésitant que je le livrai à la publicité; et M. L..., mon imprimeur, fut aussi étonné que moi de l'ordre que la police donna d'annoncer, par un article analysé, la publication de mon livre sous le titre de Nouveau voyage en Espagne.

Le succès flatteur qu'eut cet ouvrage anonyme m'enhardit pour celui que je préparais sur le royaume d'Espagne que je voulais décrire, province par province, en réunissant tous les documents qui pouvaient détruire les préjugés répandus sur un pays qu'on s'était plu jusqu'alors à représenter comme éloigné de la civilisation. J'avais reçu, du premier ministre de Charles IV, l'autorisation de parcourir l'Espagne; et il m'avait facilité les moyens d'obtenir tous les détails qui pouvaient m'ètre utiles pour faire connaître les ressources de ce royaume dans tous ses rapports.

Je fis imprimer, en 1807, le premier volume de cet ouvrage, sous le titre d'Aperçus sur la Biscaye et les Asturies, etc. Je me rendis de suite à Madrid pour le présenter à S. M. C. Je m'y trouvai à l'époque où l'Espagne mettait à la disposition de Napoléon quinze mille hommes sous les or dres du marquis de la Romana, neveu du général Caro, dont j'ai déjà parlé. Je l'avais connu à l'armée de Navarre.

Je vis plusieurs fois le prince de la Paix, et je fus étonné de son ignorance profonde de la politique du cabinet des Tuileries. Comment en effet la connaître, puisqu'il était défendu à l'ambassadeur de S. M. C. à Paris, M. le prince de Masserano, de s'écarter, dans sa correspondance, de la ligne de l'échange des notes diplomatiques? On lui interdisait dans sa correspondance le rapport des événemens et des conjectures qu'ils pouvaient faire naître. Ce que nous appellerons la di

plomatie secrète lui était défendu; elle était confiée à don Eugenio Yzquierdo. Les rapports de cet agent secret paraissent avoir égaré le cabinet de Madrid, et avoir amené les. malheureux événements qui ont compromis la couronne d'Espagne.

Les événements s'y succédèrent avec rapidité; ils sont connus de l'Europe entière. Bientôt Joseph Bonaparte passa de Naples à Madrid; le roi Charles IV arriva à Compiègne, et le roi Ferdinand VII, son fils, fut envoyé à Valençay. J'eus occasion de voir à Paris le duc de San-Carlos que j'avais connu à Madrid, ainsi que mon ancien ami, don Juan d'Escoiquitz. Ce dernier me développa l'intrigue qui avait amené les événements d'Espagne. J'en pris la relation sous sa dictée, mais comme il en a fait imprimer les détails, je ne les répéterai pas. Ce qu'il m'assura et ce qui ne me parut pas étonnant, d'après ce que j'avais vu à Madrid l'année précédente, c'est que la cour d'Espagne était loin de se douter des projets de Napoléon, et que la loyauté et la confiance dans les promesses de l'Empereur déterminèrent le départ de Ferdinand VII de Madrid pour Vittoria, lieu fixé par Napoléon pour une entrevue. Tout le monde savait en France ce qui devait se passer, et on l'ignorait en Espagne ! « Si une « personne de confiance nous eût avertis, me disait Escoi« quitz, nous ne serions jamais partis de Madrid; nous ne <«< connaissions point le caractère de l'Empereur, et mème en << quittant Vittoria pour nous rendre à Bayonne, malgré « les doutes qui s'élevèrent sur ses intentions, nous ne pou«vions croire qu'il voulût nous trahir; et nous trouvions « ses intérêts dans la conservation de Ferdinand sur le << trône d'Espagne, en liant les deux couronnes par le ma<«<riage que l'Empereur nous proposait, et auquel S. M. «< consentait. >>

Je citerai, comme une preuve de l'aveugle confiance avec laquelle les généraux français entreprenaient la guerre d'Espagne, la conversation de l'un d'eux qui me disait en partant: « La conquête de l'Espagne sera un déjeuner pour <«<l'arinée française. » Je cherchai à lui prouver le contraire,

en lui pronostiquant que l'Espagne serait le tombeau des ar«mées qu'on y enverrait. « Nous savons bien, me répondit « ce général, que vous êtes le Don Quichotte de l'Espagne, << mais vous verrez comme nous allons travailler vos Espa<< gnols. >>

Malgré les fautes graves en politique que le gouvernement impérial commettait à l'extérieur, il prenait une grande consistance dans son organisation intérieure. Les partis royalistes dans l'Ouest étaient soumis depuis plusieurs années; ceux du midi ne recevaient aucun développement; et, ainsi que nous l'avons dit plus haut, on avait même rendu les fonds que le gouvernement anglais avait faits pour leur formation. Les mesures de proscription envers les émigrés avaient été annulées; on leur avait rendu les bois non vendus. Un assez grand nombre avait déjà fait des arrangements de rachats avec les acquéreurs de leurs biens; beaucoup servaient le gouvernement impérial, soit dans l'armée, soit dans l'administration ou dans l'ordre judiciaire. Les passions étaient éteintes, les opinions avaient vieilli, elles n'existaient que dans le souvenir; et disons-le avec vérité : l'espérance du retour de la famille d'Henri IV était presque une chimère. Les Bourbons conservaient sans doute des cœurs fidèles, mais les amis de la légitimité osaient à peine faire des vœux, tant était forte la main qui frappait également sur les hommes d'opinion contraire. On calculait presque l'époque que Bossuet a déterminée pour fixer la légitimité. Les vieux serviteurs des lis, cédant à ces circonstances impéricuses, craignaient d'entretenir dans le cœur de leurs enfants les principes d'une fidélité immuable pour l'antique race de nos rois. Ils concentraient des regrets, mais ne croyaient pas devoir éloigner leur postérité d'un gouvernement seus lequel elle paraissait devoir vivre et même chercher à prospérer. La conscription atteignait toutes les classes de la société ; on pouvait, il est vrai, s'en soustraire par des sacrifices pécuniaires; mais comment enlever à un Français l'ambition de la gloire? Comment dire, par conséquent, à un jeune homme de vingt ans, né depuis la révolution : La gloire n'est pas

aux champs d'Hoenlinden, de Marengo, d'Austerlitz, etc., etc., comme elle le fut aux champs de Rocroi, de Fontenoi, etc., etc., Plus ces jeunes Français comptaient d'aïeux illustres, plus ils mettaient d'orgueil à passer en revue, dans leur vieux château, les portraits des héros que leur famille avait fournis aux croisades, aux armées d'Henri IV, aux succès de Louis XIV; plus leur cœur battait fortement aux récits des victoires journalières des armées de leur pays.

Louis XVIII avait fait connaître depuis longtemps son désir pour que les émigrés, non-seulement rentrassent en France, mais prissent même du service auprès du gouvernement. Toutes ces considérations avaient amené une fusion qu'on pouvait appeler complète; et si l'on veut être de bonne foi, l'on conviendra qu'en 1812 elle était terminée, et que si Buonaparte avait su jouir en repos de ce que la fortune avait fait pour lui, s'il avait su s'arrêter, le gouvernement impérial s'établissait sur des bases indestructibles.

Ce fut à cette époque, à laquelle les royalistes purent avoir perdu tout espoir de voir les Bourbons remonter sur le trône de France, que je me déterminai à solliciter d'entrer dans la carrière administrative. M. le comte de Montalivet était alors ministre de l'intérieur. Je lui demandai une sous-préfecture...

« PreviousContinue »