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l'art. 951, que de déroger à l'ancienne jurisprudence, qui autorisait le donateur à stipuler le retour, et pour lui, et pour ses héritiers, et même pour des étrangers. Il savait que le retour avait même lieu de plein droit au profit des héritiers du donateur, alors qu'il se l'était réservé sans elause expresse pour eux (1).

En vain on objecte que la stipulation du droit de retour au profit d'un tiers impose la charge de lui conserver et rendre les biens donnés, et que c'est à ce caractère que l'on doit reconnaître une substitution. Il est facile de répondre à cette objection. D'abord, nous avons déjà remarqué que le retour conventionnel au profit des héritiers du donateur ou d'autres personnes n'a jamais été considéré, même avant le code civil, comme un fidéicommis; et cela est si vrai que, tandis que les substitutions devaient être publiées et enregistrées, il n'en était pas de même, dans aucun cas, des dispositions à charge de retour. Cela est si vrai que ces dispositions, alors même qu'elles étaient faites en faveur d'autres personnes que du donateur, n'ont pas été comprises dans l'abolition des substitutions prononcée par la loi de novembre 1792 (2). Ensuite, en limitant la stipulation du retour au donateur seul, le code civil n'en a pas changé Ja nature; il en a seulement restreint l'étendue. Et quelle sanction a-t-il donnée à la défense qu'il a faite? A-t-il ici, comme en matière de substitution, prononcé la nullité tant de la disposition principale que de la clause qui y au rait été attachée? Point du tout. Or c'en est assez, comme nous l'avons déjà dit, pour que cette nullité ne doive pas être admise. Enfin, si la stipulation du retour en faveur d'une autre personne que le donateur caractérisait un véritable fideicommis, la défense renfermée dans l'art. 951

(1) Répertoire de jurisprudence, vo Rěversion, sect. 1, § 2, art, i (2) Voir ce Journal, 1er sem. 1806, pag. 529; 1o sem. 1810, pag. 118; tom. 1er de 1823, pag. 296, etc.

serait entièrement superflue: une donation entachée d'un vice semblable étant une véritable substitution, l'art. 896 aurait suffi pour l'anéantir. Dès lors il faudrait attribuer au législateur une redondance qui ne peut aucunement se présumer.

Mais la cour royale n'a-t-elle pas reconnu elle-même que le retour, tel qu'il a été stipulé dans l'espèce, ne peut être considéré comme une substitution, en ce qui concerne le père donateur? Eh bien! la question est décidée par cela même : car, si le disposant a établi un véritable retour, du moins on ne peut nier qu'il n'ait entendu profiter de la faculté accordée par l'art. 951, et on ne peut lui prêter l'intention d'avoir voulu faire une disposition d'une nature différenté, d'avoir voulu éluder la prohibition de substituer. Il a donné à la stipulation du retour une extension que la loi ne permet pas, soit; mais il ne peut y avoir de nul ici que la disposition extensive, qui doit être considérée comme non écrite, et, à cet égard, le donateur est d'autant plus excusable que l'ancienne jurisprudence avait admis la stipulation du retour non seulement au profit da donateur, mais encore au profit d'autres personnes.

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Enfin le demandeur disait : Nous avons raisonné jusqu'ici dans la supposition que le droit de retour au profit du second fils devait avoir lieu dans le cas de décès du donateur avant le donataire et sa postérité. Mais cette supposition, faite par la cour royale de Toulouse, est purement gratuite, et il est tout aussi facile d'admettre que le retour ne doit avoir lieu que dans le cas de survie du donateur; et alors la clause de retour au profit de Paul Saint-Arroman ne présenterait qu'une simple substitution vulgaire. C'est cette interprétation qu'il faudrait adopter, s'il en était besoin, d'après la règle Potius valeat quam pereat.

Tels étaient les moyens du demandeur. Ils présentaient T'application d'une règle fort importante. C'est que, lorsqu'une clause qui présente tous les résultats d'une substitu-/

tion appartient néanmoins à une classe on nature différente de dispositions, les clauses pénales, les principes qui gouvernent les substitutions, deviennent étrangers; et ainsi la nullité de la clause accessoire ne doit plus influer sur la disposition principale... (1)

En réponse à ces moyens, les défendeurs à la cassation disaient : La différence qui pouvait exister anciennement entre les substitutions et le droit de retour, de même que l'analogie que l'on peut supposer entre les anciens principes et les nouveaux, relativement à ce droit, ne peuvent pas servir de base pour apprécier la disposition qui nous occupe, laquelle n'a pas été stipulée sous l'empire des lois anciennes, mais sous l'empire de la loi nouvelle, par laquelle seule elle est régie. Or cette loi nouvelle, l'art. 951 du code civil, n'autorise la stipulation du droit de retour qu'au profit du donateur seul; et dès lors peu importe que la loi ancienne autorisât la stipulation de ce même droit, non seulement en faveur du donateur, mais encore en faveur de ses héritiers et des étrangers.

Cela posé, tout le système du demandeur se réduit à attaquer l'interprétation donnée par la cour royale de Tou+louse à la clause d'un contrat de mariage. Cette interprétation, néanmoins, a appartenu de tout temps aux tribunaux. Il y a plas, la jurisprudence de la cour suprême investit aujourd'hui les cours royales non seulement du droit d'interpréter les clauses quelconques des actes, mais elle les en investit d'une manière tellement exclusive et absolue, que la cour régulatrice elle-même s'interdit l'examen de cette interprétation.

Ensuite, lors même que la cour royale de Toulouse au rait mal interprété la clause litigieuse, il n'en résulterait

(1) Voir le traité des Substitutions prohibées, par M. Rolland de Villargues, no 274.

"assurément pas que son arrêt dût être cassé; mais les motifs de l'arrêt, à cet égard, ne laissent rien à désirer pour. sa justification. Ils posent comme constant en fait que le sieur Saint-Arroman père stipula le droit de retour en faveur de son second fils, pour le cas même où lui, donateur, décéderait avant son fils aîné, premier appelé, et avant les enfans de ce fils en minorité. Or cette stipulation ne présentait-elle pas une véritable substitution indirecte, prohibée, par l'art. 896 du C. civ., laquelle devait entraîner la nullité entière de la donation?

Les auteurs sont unanimes sur ce point (et ici le demaudeur citait M. Grenier, Traité des donations, no 34; M. Toullier, Droit civil français, "tome 5, no 287; et M. Rolland de Villargues, Des substitutions prohibees no 95 et 253, 2o édit.), et la jurisprudence des arrêts est conforme à cette opinion. (V..ce Journal, t. 1er de 1821, P. 241.)

Da 3 juin 1825, ARRÊT de la cour de cassation, section civile, M. le comte Desèze, pair de France, premier président; M. Vergès rapporteur, M. Joubert avocat-général, MM. Naylies et Duprat avocats, par lequel

« LA COUR, Vu les art.. 896, 900 et 951 du C. civ. Considérant que, par le contrat de mariage du demandeur en cassation, son père lui fit donation, par préciput et hors part, da quart de tous ses biens présens et à venir; que le donateur réserva le droit de retour, tant pour lui que pour son fils puîné, si le donataire n'avait pas d'enfans, on si ses enfans décédaient en minorité; que la cour royale de Toulouse a annulé cette donation, sur le fondement de l'art, 896, qui, dans le cas d'une substitution faite avec la charge de conserver et de rendre à un tiers, pronouce la nullité tant de la substitution que de la donation;

Considérant que le sort et les effets de la donation et du droit de retour dont s'agit ont dû, au contraire, être réglés par l'art. 951, qui contient des dispositions précises et spé

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ciales sur cette question; que, par cet article, le législateur, malgré le plus ou moins de ressemblance ou d'analogie qu'il peut avoir reconnu entre le droit de retour conventionneľ et la substitution fidéicommissaire, a fait cesser les incertitudes auxquelles cette espèce d'analogie aurait pu, dans quelques circonstances, donner lieu; qu'il a laissé au donateur la faculté de stipuler pour lui le droit de retour, soit pour le cas du prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendans; qu'il a défendu, au contraire, la stipulation de ce droit au profit de tout autre que le donateur, sans prononcer cependant, dans le cas de cette extension, la nullité de la donation; que, par conséquent, au lieu d'annuler arbitrairement la donation faite au demandeur en cassation par son père, dans ledit contrat de mariage, la cour royale de Toulouse aurait uniquement dû considérer comme non écrite la sti-. pulation du droit de retour au profit du fils puîné; — Qu'en effet, d'après l'art. 900 du C. civ., conforme au droit commun, dans les dispositions entre vifs ou testamentaires, les conditions contraires aux lois sont seulement réputées non, écrites; que si, d'après l'art. 896, la nullité de la substitution fideicommissaire entraîne avec elle la nullité de la donation ou de l'institution, ce n'est évidemment que parce que la disposition de cet article prononce formelle, ment cette double nullité; Considérant enfin que les nullités sont de droit étroit, et ne peuvent être ni suppléées ni étendues d'une espèce à l'autre, surtout lorsque, dans les diverses espèces, malgré leur plus ou moins d'analogie le législateur a tracé des règles et des principes différens qu'en décidant le contraire, et en annalaut la donation dont s'agit, la Cour royale de Toulouse a fait une fausse application de l'art. 896 du C. civ., et violé les art. 900 et 951 du même code; CASSE, etc. »

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