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cette trempe n'aient point d'amis, pour empêcher que leur déclin ne soit exposé à la malignité du public. Cependant, comme le soleil à son coucher fait voir, dans certains instans, toute sa splendeur, on observe de même, dans les dernières tragédies de Corneille, des endroits magnifiques et sublimes.

On est étonné de voir Corneille, dont le style étoit toujours des plus nerveux, s'exprimer avec cette douceur, avec cette tendre délicatesse qu'on trouve dans la déclaration de Psyché à l'Amour:

A peine je vous vois, que mes frayeurs cessées
Laissent évanouir l'image du trépas,

Et

que je sens couler, dans mes veines glacées, Un je ne sais quel feu que je ne connois pas. J'ai senti de l'estime et de la complaisance,

De l'amitié, de la reconnoissance;
De la compassion les chagrins innocens,
M'en ont fait sentir la puissance :
Mais je n'ai point encor senti ce que je sens.

Tout ce que j'ai senti n'agissoit pas de même;
Et je dirois que je vous aime,

Seigneur, si je savois ce que c'est que d'aimer.

Et puis ce que répond l'Amour, lorsque Psyché lui demande s'il est jaloux:

Je

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature :
Les rayons du soleil vous frappent trop souvent;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent :
Dès qu'il les flatte, j'en murmure.

L'air même que vous respirez,

Avec trop de plaisir passe par votre bouche;
Votre habit de trop près vous touche;

Et sitôt que vous soupirez,

Je ne sais quoi qui m'effarouche,

Craint parmi vos soupirs des soupirs égarés, etc. (*)

« Ces vers charmans peuvent servir à prou>> ver que si Corneille, dans ses tragédies, n'a >> point fait parler l'Amour assez tendrement, » on ne doit point attribuer cette manière de » le peindre à un défaut de talent. Il paroît » que ce grand poète s'étoit formé, sur l'amour

en

(*) Ces vers sont tirés de Psyché, tragédie-ballet, jouée en 1670, et qui est imprimée dans les œuvres de Molière. Corneille y travailla, parce que Molière n'eut pas le temps de remplir tous les rôles. Voici comme parle le Dictionnaire des Théâtres : « Le temps pressant trop Molière, il ne put faire que le prologue, le premier acte, la première scène du second, et la première du troisième. Corneille l'aîné se chargea du reste, et le fit en quinze jours. Toutes les paroles qui se chantent sont de Quinault, à la réserve de la plainte italienne, qui est de Lully, etc. »

Les vers cités ici sont dans la scène troisième du troisième acte; par conséquent, ils sont de P. Corneille.

» tragique, un systême absolument opposé à >> celui de Racine (*). »

A l'époque où Corneille commença à écrire, «< la littérature espagnole étoit très-répandue >> en France. Anne d'Autriche avoit introduit » à la cour une langue sonore et majestueuse, » dans laquelle avoient été composés plusieurs >> ouvrages qui avoient alors une grande répu»tation. Tous les poètes dramatiques savoient >> cette langue, et cherchoient à faire passer, » sur le théâtre français, des pièces que notre >> indigence dans cette partie de la littérature, >> nous faisoit regarder comme des chefs-d'oeu»vre. Les auteurs espagnols, doués d'une ima» gination vaste et brillante, avoient fait quel>>ques bonnes scènes théâtrales; mais plus jaloux d'inspirer la curiosité que d'exciter >> cette sorte d'intérêt, qui ne peut naître que » d'un sujet simple, ils s'étoient étudiés à com>>pliquer leurs canevas dramatiques; et la représentation de leurs pièces exigeoit une >> attention si scrupuleuse, que, comme le dit >> Boileau, d'un divertissement, ils en faisoient » une fatigue. Ils ne suivoient aucune règle

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(*) Essai qui précède la Grammaire de Port - Royal, nouvelle édition.

» dans leurs compositions informes; et les trois >> unités leur étoient absolument inconnues.... >> Corneille ne put se préserver entièrement >> du mauvais goût, qui étoit répandu dans les >> meilleures compagnies de son temps. Mais, » dans le choix qu'il fit des auteurs espagnols » dont il voulut embellir ses ouvrages, on ne >> peut méconnoître un homme supérieur. Le » sujet du Cid, qui étoit un des plus heureux >> que l'on pût trouver, avoit été traité par deux » poètes espagnols. Corneille se l'appropria; » il en fit un chef-d'oeuvre. L'Héraclius de >> Calderone étoit un chaos, où le mauvais goût >> et les fausses combinaisons étoient portés à » un degré difficile à concevoir. Le poète fran»çais en fit une pièce régulière, où cependant >> il suivit un peu trop les traces de ses modèles. >> Dans la suite, il puisa encore chez les Espa» gnols le sujet de don Sanche d'Arragon, » qui, pour la conduite et pour le style, est >> inférieur à Héraclius. On ne doit pas oublier >> qu'il trouva aussi, dans ce théâtre informe, » l'idée du Menteur. Mais, outre que la pre» mière pensée d'une comédie de caractère » est peu importante, puisque tout dépend de » l'exécution, on doit remarquer encore que » la liaison des scenes, et sur - tout le style

>> vraiment comique de cette pièce, appartien» nent entièrement à Corneille.

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>> Quoique ce grand poète ait embelli et perfectionné tout ce qu'il a emprunté aux Espagnols, on ne peut révoquer en doute qu'en général le style de presque toutes ses pièces ne porte quelque empreinte des dé» fauts que l'on a reprochés aux Calderone et >> aux Lopez de Vega. On remarque quelque» fois, dans les tragédies même de son bon >> temps, que les scènes d'amour y sont trop >> raisonnées, et que l'auteur y suit, d'une ma» nière trop marquée, les formes un peu pé»dantesques de l'école....

» Mais les défauts ne se trouvent que très>> rarement dans les bonnes pièces de Corneille, >> et ils disparoissent sous le grand nombre de >> beautés franches, hardies et sublimes. Dans >> ses dernières pièces, lorsque le feu de la jeu» nesse se fut éteint, les beautés diminuèrent, » et les fautes devinrent plus fréquentes (*). »

RACIN E.

Jean Racine naquit à la Ferté- Milon, en 1639, d'une famille noble, et fut élevé à Port

(*) Essai qui précède la Grammaire de Port-Royal, nouvelle édition.

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