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» Bossuet, Fénélon, Fléchier, Bourdaloue, >> sont aussi recommandables par leurs mœurs >> et leurs sentimens, que par leurs écrits. Je >> ne sais même si une ame avilie par la cu» pidité et l'intrigue, dégradée par le làche » égoïsme, par la basse et sotte vanité, peut jamais atteindre jusqu'au sublime. Un am>> bitieux, un intrigant littéraire, un dangereux »novateur, un charlatan qui flatte et trompe » son siècle, peut avoir des qualités brillantes; >> il peut éblouir, mais il ne peut arriver dans » aucun genre à la perfection de son art le clinquant domine dans ses productions; le » faux y perce de toutes parts; il séduit et >> subjugue le vulgaire; il charme les esprits » frivoles et les cœurs corrompus, mais il ne >> soutient pas l'examen sévère de la raison; » une ame noble est le seul sanctuaire que le >> véritable génie daigne habiter (*). »

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Molière s'étant trompé un jour, donna un louis à un pauvre qui le lui rapporta, en lui disant Monsieur n'a pas sans doute eu l'intention de me donner un louis? Molière dit à un de ses amis qui étoit présent: Où la vertu va-t-elle se nicher! Il laissa au pauvre ce que

(*) Journal des Débats.

la

la fortune lui avoit donné, et y ajouta encore. C'est Molière qui a peint le premier, sur le théâtre comique en France, avec un art. parfait, le caractère des hommes dans toutes les classes. Il les avoit étudiés et dans le monde, et dans la source intarissable du cœur humain. C'est lui qui a le premier corrigé l'affectation, l'orgueil, le pédantisme, le mauvais goût, l'hypocrisie; enfin, les travers et les vices, en les exposant au ridicule.

Molière est, de tous ceux qui ont jamais écrit, celui qui a le mieux observé l'homme, sans annoncer qu'il l'observoit. . . . Quand on lit ses pièces avec réflexion, ce n'est pas de l'auteur qu'on est étonné, c'est de soi-même...

Eh! qui t'avoit appris cet art, homme di>> vin? T'es-tu servi de Térence et d'Aristo>>phane, comme Racine se servoit d'Euripide; » Corneille, de Guillin de Castro, de Calderon » et de Lucain; Boileau, de Juvénal, de Perse >> et d'Horace ? Les anciens et les modernes >> t'ont-ils fourni beaucoup? Il est vrai que les >> canevas italiens et les romans espagnols t'ont guidé dans l'intrigue de tes premières pièces; dans ton excellente farce de Scapin, >> tu as pris à Cyrano le seul trait comique qui » se trouve chez lui; que, dans le Tartufe,

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» que,

>> tu as mis à profit un passage de Scarron; >> que l'idée principale du sujet de l'École des » Femmes, est tirée aussi d'une Nouvelle du >> même auteur; que, dans le Misanthrope, >> tu as traduit une douzaine de vers de Lu>> crèce ; mais toutes tes grandes productions >> t'appartiennent, et sur-tout l'esprit général >> qui les distingue n'est qu'à toi. N'est-ce pas » toi qui as inventé ce sublime Misanthrope, » le Tartufe, les Femmes savantes, et même » l'Avare, malgré quelques traits de Plaute » que tu as tant surpassé? Quel chef-d'œuvre » que cette dernière pièce! Chaque scène est » une situation; et l'on a entendu dire à un » avare de bonne foi, qu'il y avoit beaucoup » à profiter dans cet ouvrage, et qu'on en >> pouvoit tirer d'excellens principes d'éco» nomie.

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» Et les Femmes savantes? Quelle prodigieuse création! quelle richesse d'idées sur >> un fonds qui paroissoit si stérile! quelle va» riété de caractères! Qu'est-ce qu'on mettra » au-dessus du bon homme Chrysale, qui ne >> permet à Plutarque d'être chez lui que pour » garder ses rabats? Et cette charmante Mar» tine, qui ne dit pas un mot dans son patois >> qui ne soit plein de sens? Quant à la lecture

» de Trissotin, elle est bien éloignée de pou» voir perdre aujourd'hui de son mérite. Les >> lecteurs de société retracent souvent la scène

» de Molière, avec la différence que les auteurs » ne s'y disent pas d'injures, et ne se donnent » pas des rendez-vous chez Barbin ils sont aujourd'hui plus fins et plus polis, et en >> savent beaucoup davantage.

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>> Oublierons-nous, dans les Femmes savan»tes, un de ces traits qui confondent? C'est >> le mot de Vadius, qui, après avoir parlé » comme un sage sur la manie de lire ses vers, >> met gravement la main à la poche, en tire » le cahier, qui probablement ne le quitte » jamais : Voici de petits vers. C'est un de ces >> endroits où l'acclamation est universelle ; j'ai >> vu des spectateurs saisis d'une surprise réelle: >> ils avoient pris Vadius pour le sage de la » pièce.

>> Ces sortes de méprises sont ordinairement >> des triomphes pour l'auteur comique ; ce fut » pourtant une méprise semblable qui contri>> bua beaucoup à faire tomber le Misanthrope. >> Il est dangereux en tout genre d'être trop >> au-dessus de ses juges. On n'en savoit pas >> encore assez pour trouver le sonnet d'Oronte >> mauvais : ce sonnet d'ailleurs est fait avec

» tant d'art, il ressemble si fort à ce qu'on ap>> pelle de l'esprit, il réussiroit tant aujourd'hui » dans des soupers qu'on appelle charmans, » que je trouve le parterre excusable de s'y » être trompé. Mais s'il avoit été assez raison»nable pour en savoir gré à l'auteur, je l'ad>> mirerois presque autant que Molière.

» Cette injustice nous valut le Médecin mal» gré lui. Molière, tu riois bien, je crois, au » fond de ton ame, d'être obligé de faire une >> bonne farce pour faire passer un chef-d'œuvre. >> Te serois-tu attendu à trouver de nos jours » un censeur rigoureux, qui reproche amère>>ment à ton Misanthrope de faire rire? Il ne >> voit pas que le prodige de ton art est d'avoir » montré le Misanthrope, de manière qu'il n'y >> a personne, excepté le méchant, qui ne vou» lût être Alceste avec ses ridicules. Tu hono>> rois la vertu en lui donnant une leçon; et >> Montausier (*) a répondu, il y a long-temps, » à l'orateur génevois.

>>

>> Est-il vrai qu'il ait fallu que tu fisses l'apologie du Tartufe? Quoi! dans le moment

» où tu t'élevois au-dessus de ton art et de

(*) Le duc de Montausier, homme d'une vertu exemplaire.

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