Page images
PDF
EPUB

>> La troisième représentation fut consacrée >> aux personnes pieuses, telles que le père » de La Chaise, quelques évêques, et douze » ou quinze jésuites, auxquels se joignirent >> madame de Miramion, et ses plus distinguées » religieuses. Madame de Maintenon vouloit » se rassurer sur les scrupules qu'elle prévoyoit. » Aujourd'hui, leur dit-elle, on ne jouera que » pour les saints. Les saints applaudirent comme » les autres, et souhaitèrent que toutes les tra» gédies ressemblassent à Esther.

>> Le roi y mena ensuite les courtisans; ils >> admirèrent de bonne foi. Madame de Main>> tenon étoit importunée de tous côtés. Il y >> avoit plus de deux mille aspirans, et il n'y >> avoit que deux cents places. Le roi faisoit >> une liste, comme pour les voyages de Marly. >> Il entroit le premier; et se tenant à la porte, » la feuille dans une main, la canne levée dans >> l'autre, en forme de barrière, il y restoit >> jusqu'à ce que tous les nommés fussent >> entrés.

>> Le roi et la reine d'Angleterre voulurent » voir la pièce nouvelle. Le spectacle fut en>> core plus beau les actrices couvertes de >> pierreries, l'orchestre formé des meilleurs. >> musiciens du roi.

» Madame de Montespan et Louvois se trou» vant sous les noms de Vasthi et d'Aman, >> rougissoient et battoient des mains; le roi » et la reine d'Angleterre étoient ravis qu'on » représentât le pape, qui avoit contribué à » les détrôner, comme aveuglé par l'enfer >> même; Louis XIV, un peu confus des grands » éloges que la piété faisoit de lui, étoit charmé » de se reconnoître dans la fierté d'un roi per» san, dans son amour pour la justice, dans »sa tendresse pour Esther.

>> Racine voulut dédier sa pièce à madame » de Maintenon, qui le pria de ne pas même » la nommer dans sa préface.

» En 1721, les comédiens donnèrent Esther, » et ne la donnèrent qu'une fois. Si Esther >> inspira de l'ennui, c'est qu'elle fut jouée par » des personnes qui n'étoient pas faites pour » elle. Représentée par les actrices de Saint>> Cyr, elle auroit excité les mêmes transports. » Il falloit cette naïveté, ces voix pures, ces >>ames innocentes pour lesquelles Racine avoit » travaillé (*).... »

Ce petit récit est curieux; et entre autres circonstances, quand on le joint au tableau

(*) Publiciste.

donné par Saint-Simon du camp de Compiégne, il montre combien ce grand homme, Louis XIV, car il étoit véritablement tel, étoit tombé sous la tutelle d'une femme plus âgée que lui, et qui, sous l'air de la soumission la plus absolue, le conduisoit à son gré.

[ocr errors]

Racine eut ordre de composer une autre pièce. Il en trouva le sujet dans le quatrième livre des Rois; et il la donna sous le nom d'Athalie. Elle ne fut d'abord que médiocrement accueillie; le sujet n'inspiroit pas, dans ce moment, de l'intérêt. Elle a été regardée ensuite, pour la versification et pour la vérité des sentimens, comme un des chefs-d'œuvre du théâtre français.

La comédie des Plaideurs, se rapportant à des personnes et à des anecdotes du temps, a perdu de l'intérêt que ces circonstances produisoient; mais elle est conservée au théâtre et mise à côté des pièces de Molière.

MOLIÈRE.

Jean-Baptiste Poquelin, fils du valet-dechambre tapissier du roi Louis XIII, naquit à Paris en 1620. Il fit ses études au collége des jésuites. Les belles - lettres ornèrent son esprit, et les préceptes du philosophe Gassendy

formèrent sa raison; mais il prit un goût violent pour le théâtre. Son père étant devenu vieux et infirme, le jeune Poquelin se trouvoit alors obligé de remplir sa charge auprès du roi. Corneille avoit déjà restauré, ou plutôt créé la tragédie en France; le partage de Thalie avoit été réservé pour Poquelin. Entraîné par son penchant, il quitta l'emploi de valet-dechambre, et changea son nom de Poquelin pour celui de Molière. Il s'associa avec un acteur nommé Béjart; et, de concert avec lui, ils formèrent une troupe qui représenta à Lyon, en 1653, la comédie de l'Étourdi, pour la première fois. Molière alla ensuite, avec sa troupe, à Beziers. Devenu célèbre comme auteur, plus que comme comédien, il se rendit à Paris. Louis XIV lui donna une pension de mille livres, et à sa troupe, le nom et les priviléges de comédiens ordinaires du roi. S'étant cassé une veine dans la poitrine, en jouant à la première représentation du Malade imaginaire, il mourut quelques heures après, le 17 février 1673.

L'archevêque de Paris refusa de lui accorder la sépulture, en objectant son état de comédien; mais le roi s'y étant interposé, ce prélat consentit enfin à ce qu'il fût enterré à Saint

Joseph. C'est au refus de l'archevêque que se rapportent ces vers de Boileau:

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière, etc.

Il étoit généreux et bienfaisant. Il aimoit éperduement sa femme, qui étoit indigne de son affection; mais son empire étoit tel, disoit-on, qu'elle lui faisoit croire qu'il n'avoit pas vu ce qu'il avoit vu; et il finissoit par lui demander pardon à genoux. Il jouissoit de plus de trente mille livres de revenus, qui équivaudroient au moins à soixante mille de notre temps; et il en faisoit le meilleur usage. <«<Les traits qui font connoître le caractère » noble et généreux de Molière, lui font en>> core plus d'honneur que ses ouvrages. Le » génie est à l'ame ce que la beauté est au >> corps; il rend la vertu plus belle, mais il » ne peut en tenir lieu.

» Ce que j'admire sur-tout dans le siècle de >> Louis XIV, c'est cette réunion si précieuse » de vertus et de talens. Vous ne pouvez pas >> citer un grand homme dans les lettres, à » cette époque, qui ne soit en même temps » un honnête homme Corneille, Racine >> Boileau, La Fontaine, La Bruyère, Pascal,

« PreviousContinue »