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Tout ce que j'ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l'horreur de mes remords,
Et d'un refus cruel l'insupportable injure,

N'étoit qu'un foible essai du tourment que j'endure.
Ils s'aiment! par quel charme ont-ils trompé mes yeux?
Comment se sont-ils vus?depuis quand? dans quels lieux?
Tu le savois. Pourquoi me laissois-tu séduire?
De leur furtive ardeur ne pouvois-tu m'instruire?
Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher?
Dans le fond des forêts alloient-ils se cacher?
Hélas! ils se voyoient avec pleine licence :
Le Ciel de leurs soupirs approuvoit l'innocence.
Ils suivoient, sans remords, leur penchant amoureux;
Tous les jours se levoient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,

Je me cachois au jour, je fuyois la lumière.
La mort est le seul dieu que j'osois implorer;
J'attendois le moment où j'allois expirer.
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor, dans mon malheur, de trop près observée,
Je n'osois dans mes pleurs me noyer à loisir :
Je goûtois en tremblant ce funeste plaisir;
Et, sous un front serein, déguisant mes alarmes,
Il falloit bien souvent me priver de mes larmes.

M. de La Harpe, après avoir rapporté les vers que je citerai ci-après, dit : « Je ne con>>nois rien, dans aucune langue, au-dessus » de ce morceau; il étincelle de traits de la » première force. Quelle foule de sentimens

>> et d'images! Quelle profonde douleur dans >> les uns! quelle pompe à-la-fois magnifique » et effrayante dans les autres! Et quel coup » de l'art, quel bonheur du génie, d'avoir pu » les réunir! L'imagination de Phédre, con>> duite par celle du poète, embrasse le ciel, >> la terre et les enfers. La terre lui présente >> tous ses crimes, et ceux de sa famille; le » ciel, des ayeux qui la font rougir; les enfers, » des juges qui la menacent : les enfers, qui >> attendent les autres criminels, repoussent la » malheureuse Phédre. Et quelle inimitable >> harmonie dans les vers! Quelle énergie de >> diction! Je me suis souvent rappelé qu'un » jour, dans une conversation sur Racine, Vol>> taire, après avoir déclamé ce morceau avec >> l'enthousiasme que lui inspiroient les beaux » vers, s'écria : Non, je ne suis rien auprès de » cet homme-là. Ce n'est pas qu'il faille voir » dans cette exclamation presque involontaire » un aveu d'infériorité ; c'étoit l'hommage d'un » grand génie, dont la sensibilité étoit en pro>> portion de sa force, et à qui l'admiration » faisoit tout oublier, jusqu'au sentiment de >> l'amour-propre.... »

Misérable! et je vis, et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue!

J'ai pour ayeul le père et le maître des dieux;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes ayeux.
Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais, que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale.
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah! combien frémira son ombre épouvantée,
Quand il verra sa fille, à ses yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers!
Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même de ton sang devenir le bourreau.

:

Pardonne un dieu cruel a perdu ta famille. Reconnois sa vengeance aux fureurs de ta fille. Hélas! du crime affreux dont la honte me suit, Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit. Jusqu'au dernier soupir, de malheurs poursuivie, Je rends dans les tourmens une pénible vie.

Racine, dégoûté par les indignités qu'il avoit éprouvées à l'occasion de Phédre, prit la résolution de renoncer entièrement au théâtre. Toujours porté pour la dévotion, il voulut se faire chartreux. Son confesseur l'en détourna, et l'engagea même à épouser, quelques années après, une femme également belle, accomplie et vertueuse. « Il y avoit douze ans », dit un auteur, « que Racine ne songeoit plus à la

poésie,

» poésie, par esprit de religion, quand il y >> fut rappelé par un devoir de religion auquel >> il ne s'attendoit pas. Madame de Maintenon, >> attentive à tout ce qui pouvoit procurer aux

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jeunes demoiselles de Saint-Cyr une éduca>>tion convenable à leur naissance, se plaignoit » du danger qu'on trouvoit à leur faire chanter » et réciter nos plus beaux vers, qui sont tous >> composés sur des sujets profanes. Elle com» muniqua sa pensée à Racine, en lui deman»dant s'il ne seroit pas possible de réconcilier » la poésie et la musique avec la piété. Racine » fut édifié et alarmé de ce projet. Il desiroit » que tout autre que lui se chargeât de l'exécu» tion. Que diroient ses ennemis, et que se » diroit-il à lui-même, si, après avoir brillé » sur le théâtre profàne, il alloit échouer sur » un théâtre consacré à la piété?

» La demande de madame de Maintenon » jeta Racine dans une grande agitation. Il >> vouloit plaire à madame de Maintenon. Le >> refus étoit impossible, et la commission très» délicate pour un homme qui, comme lui, >> avoit une grande réputation à soutenir, et » qui, s'il avoit renoncé à travailler pour les >> comédiens, ne vouloit pas du moins détruire >> l'opinion que ses ouvrages avoient donnée

» de lui. Enfin, après un peu de réflexion, il » trouva dans le sujet d'Esther tout ce qu'il >> falloit pour tout concilier. Il ne fut pas long>> temps sans porter à madame de Maintenon >> non seulement le plan de sa pièce (car il >> étoit accoutumé de les faire en prose, scène » pour scène, avant d'en faire les vers), il » porta le premier acte tout fait. Madame de >> Maintenon en fut charmée; et sa modestie >> ne put l'empêcher de trouver dans le carac»tère d'Esther, et dans quelques circonstances » de ce sujet, des choses flatteuses pour elle. » La Vasthi avoit ses applications, Aman ses >> traits de ressemblance; et indépendamment » de ces idées, l'histoire d'Esther convenoit » parfaitement à Saint-Cyr. >>

La première représentation fut donnée le 3 février 1689, au couvent de Saint-Cyr. «< On » n'y admit que les principaux officiers, qui >> suivoient le roi à la chasse. Louis XIV, à » son souper, ne parla que d'Esther; Monsei» gneur, Monsieur, tous les princes deman>> dèrent à la voir; les applaudissemens redou>> blèrent.

» La prière d'Esther enleva tout le monde; » tout en parut beau, grand, traité avec di

» gnité. Le grand Condé y pleura.

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L

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