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réfléchit qu'on peut l'empêcher de l'exécuter, elle dit:

Mon père,

Cessez de vous troubler, vous n'êtes point trahi:
Quand vous commanderez, vous serez obéi.

Son discours à Achille, lorsqu'elle résiste à cet amant qui veut tout employer pour la défendre, est aussi justement admiré.

Songez, seigneur, songez à ces moissons de gloire
Qu'à vos brillantes mains présente la victoire.
Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous,
Si mon sang ne l'arrose, est stérile pour vous:
Telle est la loi des Dieux, à mon père dictée.
En vain, sourd à Calchas, il l'avoit rejetée.
Par la bouche des Grecs contre moi conjurés,
Leurs ordres éternels se sont trop déclarés.
Partez. A vos honneurs j'apporte trop d'obstacles.
Vous-même dégagez la foi de vos oracles;
Signalez ce héros à la Grèce promis;
Tournez votre douleur contre ses ennemis.
Déjà Priam pâlit; déjà Troye, en alarmes,
Redoute mon bûcher, et frémit de vos larmes.
Allez; et, dans ses murs vides de citoyens,
Faites pleurer ma mort aux veuves des Troyens.
Je meurs dans cet espoir, satisfaite et tranquille.
Si je n'ai pas vécu la compagne d'Achille,
J'espère que du moins un heureux avenir,
A vos faits immortels joindra mon souvenir;

Et qu'un jour mon trépas, source de votre gloire, Ouvrira le récit d'une si belle histoire.

Jamais l'envie et l'esprit de parti ne se sont manifestés avec plus d'animosité qu'à l'occasion de Phédre, ouvrage du premier ordre. La cabale qui s'étoit formée contre l'auteur, sachant qu'il étoit occupé de cette tragédie, engagea Pradon à composer une pièce sur le même sujet. La Phédre de Racine a été représentée au théâtre de l'hôtel de Bourgogne, le 1er. janvier 1667, et celle de Pradon le 3 du même mois, sur le théâtre de Guénégaud. Il y avoit, dans cette cabale, presque toutes les personnes qui s'assembloient à l'hôtel de Rambouillet (*); madame de Longueville, madame

(*) Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, fut une des femmes les plus distinguées de son temps. Un grand nombre de gens de mérite fréquentoit son hôtel : on y dissertoit sur le sentiment; on y jugeoit les ouvrages qui paroissoient; mais ce n'étoit pas toujours le goût et l'impartialité qui présidoient à ces jugemens. On a prétendu que le langage de quelques personnes de cette société ressembloit à celui des Précieuses ridicules. Ménage dit : « J'étois à la première représentation des Précieuses ridicules de Molière, au petit Bourbon; mademoiselle de Rambouillet y étoit, madame de Grignan, tout l'hôtel de Rambouillet, M. Chapelain, et plusieurs autres de ma connoissance. La pièce fut jouée avec un applaudissement

Deshoulières, et on est faché de dire qu'on accusa madame de Sévigné même d'être du nombre. Mais le chef de la cabale étoit le duc

général; et j'en fus si satisfait en mon particulier, que je vis dès-lors l'effet qu'elle alloit produire. Au sortir de la comédie, prenant M. Chapelain par la main, Monsieur, lui dis-je, nous approuvions vous et moi toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement et avec tant de bon sens; mais croyez-moi, pour me servir de ce que dit Saint-Remy à Clovis, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. Cela arriva comme je l'avois prédit; et de cette première représentation, l'on revint du galimatias et du style forcé. »

Julie d'Angennes, fille de la marquise de Rambouillet, étoit l'objet des hommages de tous les beaux-esprits. Le célèbre évêque de Grasse, Godeau, homme d'une trèspetite taille, se faisoit honneur d'être appelé son nain. C'est pour elle qu'on fit la fameuse guirlande de Julie, composée d'un grand nombre de fleurs, sur chacune desquelles on fit des vers contenant des louanges pour celle à qui elle étoit dédiée. Voici les vers de Desmarets sur la violette:

· Modeste en ma couleur, modeste en mon séjour,
Franche d'ambition, je me cache sous l'herbe;
Mais si sur votre front je puis me voir un jour,
La plus humble des fleurs sera la plus superbe.

Elle épousa le duc de Montausier, et fut gouvernante des enfans de France; son mari, homme renommé pour son inflexible probité, fut gouverneur du grand dauphin.

de Nevers, neveu du cardinal Mazarin. Par l'influence de toutes ces personnes réunies, le public eut au commencement l'air d'être indécis sur la préférence à donner entre les deux Phédres. Les ennemis de Racine portèrent si loin leur vengeance, que lorsque Phédre fut imprimée, ils donnèrent une édition où ils substituèrent, aux vers les plus beaux, des vers plats et ridicules. La véritable Phédre cependant enfin triompha glorieusement.

Ces deux Phédres sont d'après Euripide et Sénèque, qui ont laissé chacun une tragédie sur le même sujet, mais intitulée Hippolyte.

M. de La Harpe observe que Racine a su donner à Phédre en même temps plus de passion et plus de remords que ces deux anciens. Qu'on en juge, dit-il, par ce morceau qui appartient tout entier à l'auteur français, parce

On se rappelle ce qu'il dit au dauphin, lorsque ses fonctions de gouverneur vinrent à cesser : « Monseigneur, si » vous êtes honnête homme, vous m'aimerez; si vous ne » l'êtes pas, vous me haïrez, et je m'en consolerai. » Un jour le duc de Montausier, voyant jouer au mail M. le dauphin avec quelques jeunes gens de sa cour, il s'apperçut que le marquis de Créquy, qui étoit très-adroit, n'avoit pas atteint le but, pour laisser l'avantage à M. le dauphin; le duc de Montausier interpella le marquis en lui disant : Ah! petit corrompu.

qu'il est le seul qui ait supposé que Phédre avoit fait d'abord exiler Hippolyte pour l'éloide sa vue:

gner

Eh bien! connois donc Phédre et toute sa fureur :
J'aime. Ne pense pas qu'au moment que je t'aime,
Innocente à mes yeux, je m'approuve moi-même,
Ni
que du fol amour qui trouble ma raison,

Ma lâche complaisance ait nourri le poison.

Objet infortuné des vengeances célestes,

Je m'abhorre encor plus que tu ne me détestes.

Les Dieux m'en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang;
Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d'une foible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C'est peu de t'avoir fui, cruel, je t'ai chassé.
J'ai voulu te paroître odieuse, inhumaine;
Pour mieux te résister, j'ai recherché ta haine.
De quoi m'ont profité mes inutiles soins?

Tu me haïssois plus, je ne t'aimois pas moins.
Tes malheurs te prêtoient encor de nouveaux charmes.
J'ai langui, j'ai séché dans les feux, dans les larmes:
Il suffit de tes yeux pour t'en persuader,
Si tes yeux un moment pouvoient me regarder.

Comme la jalousie est bien peinte dans cet

autre morceau!

Ah! douleur non encore éprouvée!

A quel nouveau tourment je me suis réservée!

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