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phique, La Loi qui EST, et le droit positif, LA LOI QUI A ÉTÉ FAite.

Or, la société humaine, état naturel de l'homme, renferme ces deux ordres de lois. La loi qui est faite, ou le droit positif, doit s'associer à la loi qui est, c'est-à-dire au droit philosophique, pour la manifester, la vivifier par la forme extérieure, et la sanctionner au nom de la société.

La nature de l'homme et celle de la société, les rapports moraux qui en dérivent et qui doivent se combiner ensemble, donnent la base du droit philosophique; l'organisation de la société politique et civile donne les garanties publiques qui doivent protéger les rapports moralement nécessaires, c'està-dire assurer l'exercice des droits et l'accomplissement des obligations. Il y a par conséquent deux choses à considérer sous le point de vue de la philosophie du droit d'abord, le droit et le devoir qui sont fondés sur la nature de l'homme et sur la nature de la société; ensuite, leurs garanties respectives qui sont fondées sur l'organisation sociale.

La société, vue en elle-même, est toujours un état nécessaire et légitime, puisque l'état de société est essentiellement en rapport avec la nature humaine ; il n'en est pas ainsi de son organisation particulière d'où dépendent les garanties. L'organisation sociale est souvent arbitraire, illégitime, produite par la force et les circonstances; mais ses formes étant mobiles et variées, sont susceptibles d'amélioration, de progrès : la légitimité philosophique de l'organisation sociale est dans le rapport des institutions avec l'état successif de la condition humaine, laquelle

est sujette à divers degrés de développement. Les formes et les institutions doivent se combiner avec ces diversités; elles doivent réfléchir l'homme et la civilisation dans leur situation actuelle; elles doivent seconder leurs développemens progressifs.

Il suit évidemment de là que telle forme d'organisation qui était utile et légitime dans un temps et pour un peuple, peut être funeste et illégitime dans un autre temps ou pour un autre peuple. Il n'y a pas de bonté absolue, quand il s'agit des formes de gouvernement; mais il y a un point de départ et un but entre lesquels peuvent se placer les différens modes d'organisation et les diverses institutions. Le point de départ, moralement nécessaire, c'est que la forme gouvernement ne soit pas hostile ou antipathique

de

à la nature de l'homme considéré comme un être libre et intelligent, comme un être individuel et social: le but c'est la parfaite alliance du pouvoir et de la liberté.

II. Au point où la civilisation française est parvenue, l'homme a droit au libre exercice de toutes ses facultés. Les développemens de sa nature individuelle et sociale demandent une forme large et généreuse, dans laquelle puissent se mouvoir la liberté et l'intelligence, sans autre limite que celle du bien public. Ces formes généreuses existent pour nous. Nos institutions représentatives, avec tous les genres de progrès qu'elles portent en elles, répondent au besoin réel des esprits, à notre état de développement et de civilisation; elles réfléchissent l'homme libre et intelligent, une société éclairée et avide de progrès pacifiques.

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En étudiant notre histoire politique, on voit la société française sortir du christianisme et des communes; on voit nos libertés communales, provinciales et nationales naître et se développer sous l'influence de la royauté, des états et des parlemens de provinces, des états-généraux et du parlement de Paris. Ce qui constitue notre identité nationale dans le passé et dans le présent, c'est l'esprit de liberté et d'unité il a dirigé nos ancêtres dans les grandes périodes communale et parlementaire de l'ancienne monarchie; il a éclaté en 1789 de toute sa puissance d'expansion; il a donné à la révolution de juillet sa rapide victoire, et à la charte de 1830 le sceau du concours national (1). Ce même esprit de liberté et d'unité, qui anime nos institutions actuelles, tendra sans cesse à les perfectionner, en élevant l'idée du devoir social à toute la hauteur, à toute la force de l'idée du droit.

La révolution française s'est faite au nom des droits de l'homme; il fallait peut-être toute l'énergie, toute l'exaltation que donnait ce sentiment exclusif, pour lutter contre la société aristocratique et monarchique des deux derniers siècles, pour conquérir un avenir nouveau. Les masses politiques ne sont ébranlées et mises en mouvement que par la conscience et l'impulsion de leurs droits. Les révolutions sociales se sont faites et se feront encore au nom des droits de l'homme méconnus et violés. Le sentiment du droit est le levier qui remue le monde politique; le point d'appui pour ce levier ne manquera jamais

(1) Quid interest suffragio populus voluntatem suam declaret, an rebus ipsis et factis? (Dig. 1. 3. 32. § 1. Juli.)

à l'homme, car il est dans sa nature et dans sa conscience. Mais ce qui est bon pour soulever les masses, pour renverser l'édifice, que le temps a condamné, n'est pas suffisant pour asseoir définitivement la société sur ses véritables fondemens. S'il ne s'élevait pas de la conscience de l'homme une autre puissance morale que celle du droit individuel, la société ne pourrait avoir une organisation durable, une vie d'ordre et d'harmonie. Le sentiment exclusif du droit produirait dans la société cet égoïsme fatal qu'on a qualifié d'individualisme, et dissoudrait lentement les liens de la sociabilité. Mais la puissance conservatrice existe dans la conscience humaine; c'est le sentiment, c'est la loi du devoir et cette puissance a fait depuis long-temps son apparition dans le monde moral et religieux par une éclatante manifestation; car le christianisme, en proclamant le principe de liberté et d'égalité, a proclamé aussi le devoir comme loi morale du genre humain. La théorie qui a conduit l'homme à l'émancipation politique en 1789 a pris certainement une place immense dans la science et l'histoire; elle s'est réalisée dans la société française par une conquête désormais impérissable, la liberté individuelle. Mais tout l'homme n'était dans l'être individuel; il fallait que l'homme social parût aussi dans sa grandeur et dans sa force. Le mérite de nos institutions actuelles, leur progrès sur les constitutions de 1791, de l'an III, de l'an VIII, c'est de reconnaître, dans l'organisation des garanties publiques, les droits et la condition de l'homme considéré non seulement comme être individuel, mais aussi comme être social. La charte de 1830 ne

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pas

dit pas avec la constitution de l'an III: « Le peuple << français proclame, en présence de l'Être suprême,

« la déclaration des droits et des devoirs de l'homme « et du citoyen. » Elle fait mieux; elle tend à réaliser cette union morale du droit et du devoir; elle associe, sans les confondre, l'homme et le citoyen; elle fait de cette alliance rationnelle le fond même de nos institutions politiques, la base du droit public français.

Le rapport, entre le présent et le passé de la France, existe donc par le sentiment de liberté et d'unité qui a successivement animé la révolution communale, la monarchie des états-généraux, les révolutions de 89 et de 1830. La différence, entre l'esprit des institutions actuelles et l'esprit des institutions révolutionaires, c'est que dans la révolution, l'idée du droit avait prédominé; et que, dans l'esprit des institutions actuelles, il doit y avoir association et réalisation des deux grandes idées, du droit et du devoir.

C'est à dégager et à éclairer ces résultats que doit tendre un cours de droit public: par cette direction il peut combattre et prévenir l'influence des idées exagérées, et par conséquent des idées fausses.

Un homme dont le courage civil a honoré la Bretagne, Lanjuinais, au sortir des grandes crises de la révolution, en 1797, revint professer le droit à Rennes, sa ville natale. Il avait vu de près les grandeurs et les excès de la révolution française; il avait reconnu que la prédominance de l'idée du droit, ses expansions violentes, sans contrepoids,

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