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CHAP. III. SECT. 11. silence, et les canonistes les regardaient comme réservés. La pragmatique n'a été abolie expressément ni par un édit enregistré ni par le concordat, et l'Église gallicane l'a toujours regardée comme faisant le droit commun du royaume dans tous les cas où il n'y avait pas eu dérogation expresse ou tacite : c'est ainsi que, depuis le concordat, si le pape refusait l'institution des évêques, sans motif suffisant, on reconnaissait que, suivant l'ancien usage de l'Église gallicane et les règles de la pragmatique, l'institution devait être conférée par le métropolitain dans l'assemblée des évêques suffragans. Trois dispo

au

sitions sont fondamentales dans le concordat : l'abolition des élections, le rétablissement des annates, le rétablissement des appellations au pape. — Aux élections furent substituées la nomination de l'évêque par le roi et l'institution canonique par le saint-siége; les annates furent rétablies pour les grands bénéfices; les appellations an pape furent permises, avec obligation pour le souverain pontife de commettre des juges dans l'intérieur du royaume. Ainsi Léon X investissait le roi des libertés intérieures de l'Église, et François Ier rendait au pape l'immense revenu des annates, avec son titre de juridiction. Ils avaient disposé l'un et l'autre de choses qui ne leur appartenaient pas. Le parlement et l'université résistèrent vivement au concordat, qui ne fut enregistré que ex ordinatione et de præcepto domini nostri regis, reiteratis vicibus facto. [22 mars 1517.]

Les états d'Orléans demandèrent le rétablissement de la pragmatique : l'ordonnance de 1560 y fit droit en ce qui touchait les élections et la prohibition des annates; mais l'ordonnance ne fut jamais exécutée sur ce point.

Les troubles de la réforme provoquèrent le concile de Trente, et produisirent une réaction vers les doctrines du moyen-âge on vit renaître les prétentions de la cour de Rome sur le gouvernement des choses temporelles. L'ordonnance de Blois [1579] se ressentit de cette réaction, et confondit, en matière de mariage, le contrat civil et le sacrement religieux. Le clergé, aux États de Blois

demanda vivement l'enregistrement du concile de Trente; il renouvela ses réclamations aux États de 1614, et le cardinal Duperron les formula dans une théorie menaçante pour l'indépendance de la royauté. - Ces doctrines, bien que combattues par la publication de P. Pithou sur les libertés de l'Église gallicane [1594], et par les arrêts du parlement [1615], se répandaient de toutes parts (1); les calvinistes, au milieu du XVIIe siècle, s'en prévalaient même pour justifier la réforme et pour résister aux savans efforts que faisaient Port-Royal et Bossuet en vue de ramener les églises dissidentes à la communion catholique. Les doctrines ultramontaines reparaissaient jusque dans les bulles d'Innocent XI, sur le droit de régale. De là vint la nécessité de la célèbre déclaration dont Bossuet fut le rédacteur.

6. Déclaration du clergé de France 19 mars 1682. La déclaration du clergé est devenue loi de l'État par l'édit du 23 mars qui en a ordonné l'enregistrement dans les cours de parlement, et l'enseignement dans toutes les facultés de théologie, dans tous les colléges et maisons séculières et régulières de chaque université; l'arrêt du parlement du 20 avril 1682 en prescrivit l'enregistrement aussi dans les facultés de droit civil et canon. — Le caratère légal de la déclaration, confirmé, au XVIIIe siècle, par l'arrêt du parlement du 31 mars 1753, par l'arrêt du conseil du 24 mars 1766, a été renouvelé, dans le droit actuel, par la loi du 18 germinal an X [art. 24], qui en fait l'un des fondemens de l'enseignement théologique, et par le décret du 25 février 1810, qui reproduit textuellement l'édit de Louis XIV, rend obligatoire dans les séminaires la doctrine de la déclaration, et proclame l'édit de mars 1682 loi générale de l'empire. La vie légale de la déclaration de 1682 a été reconnue, sous la Charte de 1814, par un arrêt solennel de la cour royale de Pa« Considérant que ce n'est ni manquer au respect « dû à la religion ni abuser de la liberté de la presse

ris :

(1) Voir le commentaire sur le Traité des libertés de l'Église gallicane, de Pierre Dupuy.

« que de discuter et de combattre l'introduction et l'établis«<sement dans le royaume de toutes associations non « autorisées par les lois; que de signaler.., les dangers « et les excès d'une doctrine pui menace tout à la fois « l'indépendance de la monarchie, la souveraineté du roi « et les libertés publiques garanties par la Charte constitu«< tonnelle et par la Déclaration du clergé de France en « 1682, DÉCLARATION TOUJOURS RECONNUE et PROCLAMÉE LOI « DE L'ÉTAT. [Arrêt 3 déc. 1825.]- Ainsi nul doute sur le caractère de légalité imprimé à la Déclaration, dans le passé et dans le présent.

Mais la déclaration du clergé, en elle-même, est-elle émanée d'une assemblée compétente? On doit le reconnaître l'assemblée de 1682 n'était point, à proprement parler, un concile national, car elle était composée de députés du clergé ; et, dans un concile, tous les évêques ont le droit de séance en leur qualité propre, jure suo. Mais, d'un autre côté, l'assemblée du clergé de 1682 n'a rien de commun avec les assemblées partielles qui se formaient tous les cinq ans, depuis 1561, pour régler les subventions du clergé et en examiner la comptabilité elle était composée d'évêques et d'ecclésiastiques députés par tout le clergé de France, et convoqués expressément en assemblée générale par ordonnance du roi, « afin d'y prendre des résolutions convenables à la con<«<servation des droits de l'Église et de l'État. » — « C'é<< taient donc, dit un profond écrivain, les députés du «< clergé de France que le souverain avait convoqués pour «< délibérer sur des matières ecclésiastiques qu'il leur avait <«< indiquées lui-même (1). » Ainsi la forme représentative était la seule différence qui pouvait distinguer cette assemblée d'un concile national.

Au surplus, les quatre articles de la déclaration ne tirent pas précisément leur force de la compétence de

(1) De l'autorité du clergé et du pouvoir du magistrat politique sur l'exercice des fonctions du ministère ecclésiastique, par M*, avocat au parlement (1766), 2 vol. in-12, t. Ier, p. 298; ouvrage auquel Portalis se réfère dans son Rapport au conseil d'État sur le Concordat (Choix de rapp., t. XIX, p. 21), en qualifiant son auteur d'écrivain très-profond.

l'assemblée de 1682; ils la tiennent surtout de la source même dans laquelle les évêques les ont puisés. L'assemblée du clergé n'a pas prétendu émettre des vérités nouvelles, mais seulement rappeler et entourer d'une nouvelle lumière des vérités fondamentales, souvent proclamées par l'Église gallicane. Ce sont les paroles même de Jésus-Christ, les préceptes de l'apôtre saint Paul, les décrets du concile œcuménique de Constance, qui sont la base de la déclaration.

Les quatres articles se résument ainsi :

1° « Que le pape et l'Église elle-même n'ont reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles, et non temporelles et civiles; maxime qui fonde l'entière indépendance du pouvoir temporel ;

2o« Que le pouvoir des conciles généraux est supérieur au pouvoir du pape, suivant les décrets du concile de Constance [1414];

3° « Que les canons reçus généralement dans l'Église, que les règles, les usages, les institutions, les libertés du royaume et de l'Église gallicane doivent rester inébran

lables;

4° « Que le jugement du pape n'est infaillible et irréformable que lorsqu'il est confirmé par le consentement de l'Église. »

Bossuet attachait une haute importance à l'expression solennelle de ces vérités fondamentales pour régler les rapports du pape et de l'Église avec l'État, et il a déposé les preuves irréfragables des quatre articles dans l'ouvrage qui en contient la défense. On ne s'étonnera pas de cette active sollicitude, quand on se rappellera que l'évêque de Meaux, à la même époque, travaillait à ramener les protestans à l'unité catholique, en dissipant les prétextes dont ils appuyaient leur scission; quand on se rappellera encore que l'une des lumières de la France et de l'Église, que Fénelon, dans son traité De summi pontificis auctoritate, cap. VIII, a soutenu l'infaillibilité du jugement du pape et sa supériorité sur les conciles!

La déclaration, en posant des maximes générales, n'a

vait point statué sur le mélange des juridictions qui se rattachait à l'institution des officialités. -Louis XIV, par l'édit d'avril 1695, maintint et régla la juridiction civile et criminelle des officiaux. Réputés juges spirituels, ils statuaient sur les fiançailles et en matière de nullité de mariage pour cause de parenté, de vœux, d'impuissance. Juges des crimes spirituels d'hérésie, de sacrilége, etc., ils punissaient par l'aumône, la fustigation, la prison perpétuelle !

La déclaratian de 1682 avait réglé les rapports extérieurs de l'Église de France, mais elle n'avait point touché à la base posée par le concordat de 1516. La liberté des élections ecclésiastiques n'avait point été revendiquée : le choix du roi, fait avec un soin éclairé, avait doté l'Église de France d'évêques éminens. Mais l'école janséniste, née de la philosophie de Port-Royal, allait au delà des libertés extérieures: elle rappelait à la pureté, à la sévérité des maximes de l'Église primitive. Elle s'alliait ainsi naturellement avec l'esprit parlementaire qui fut comprimé sous Louis XIV, et qui se ranima sous ses successeurs. L'esprit sévère et libre du jansénisme se répandit, au XVIIIe siècle, dans les nombreux écrits des canonistes; les idées dépassèrent promptement la borne posée par l'école de Port-Royal, et elles avaient acquis une grande puissance de réaction contre les principes du concordat de 1516, quand éclata la révolution de 89.

-

7. Constitution civile du clergé, 12 juillet 1790 (1). L'assemblée constituante secoua avec empressement le joug d'une religion dominante, tout en professant un profond respect pour la religion catholique; elle abolit les officialités, comme toutes les juridictions exceptionnelles; elle proclama la liberté des opinions religieuses (2).

Le comité ecclésiastique de l'assemblée, composé de canonistes distingués (Lanjuinais, Durand de Maillane,

(1) On peut consulter: 1o l'ouvrage de Durand de Maillane, Histoire apologétique du comité ecclésiastique de l'assemblée nationale, 1 vol. 1791; - 2o Celui intitulé: Accord des vrais principes de l'Église sur la constitution civile, par les évêques des départemens, membres de l'assemblée nationale.

(2) Déclaration des droits, art. 10, et décret 7 sept. 1790, art. 13.

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