Page images
PDF
EPUB

fut la suppression du préambule : la souveraineté nationale a été reconnue comme source de tous les pouvoirs constitués. Un député (M. Persil) proposa d'inscrire en tête de la Charte nouvelle l'art. 3 de la Déclaration de 1791 sur la souveraineté nationale; et l'illustre rapporteur, M. Dupin, écarta la proposition comme superflue, la même pensée étant nettement exprimée dans la déclaration de la chambre des députés [7 août 1830]. Cette déclaration, qui a eu pour but de rétablir le principe de la souveraineté nationale, est ainsi conçue : « Selon le vœu et dans l'intérêt du peuple français, « le préambule de la Charte constitutionnelle est supprimé <«< comme blessant la DIGNITÉ NATIONALE, en paraissant oc«<troyer aux Français des DROITS QUI LEUR APPARTIENNENT ES¬

(SENTIELLEMENT. >>

La Charte, du reste, a revêtu le caractère d'un pacte synallagmatique entre la nation et le prince appelé au trône vacant en fait et en droit (Déclaration): « Moyennant l'accep«<tation de ces dispositions et propositions, la Chambre des députés déclare que l'intérêt universel et pressant du « peuple français appelle au trône S. A. R. Louis-Philippe « d'Orléans, lieutenant-général du royaume, et ses des«<cendans à perpétuité, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et « de leur descendance. »

[ocr errors]

ART. 66. « La présente Charte et tous les droits qu'elle «< consacre demeurent confiés au patriotisme et au courage << des gardes nationales et de tous les citoyens français. »

<< La première vertu d'un peuple, a dit M. Guizot, est de « se respecter et de se faire respecter : » le sceau du concours national, imprimé à la Charte constitutionnelle, a rétabli les droits de la nation dans leur force et dignité; la nation française a respecté et fait respecter ses droits.

De ce caractère de la Charte résulte son inviolabilité : la maxime anglaise sur l'omnipotence parlementaire est exclue de notre droit public. La Charte est la loi des lois, la loi de tous les pouvoirs constitués; les pouvoirs créés par elle ne peuvent donc y porter atteinte si plus tard des modifications étaient jugées nécessaires, il faudrait que le

:

pouvoir constituant se manifestât et agît d'après des formes qui auraient été légalement arrêtées d'avance par la puissance législative, formes qui n'existent pas aujourd'hui et qu'il n'est pas utile de créer immédiatement, car le premier des besoins pour le pays est la stabilité.

II. Les droits individuels ont reçu de la Charte de 1830 plus de garantie, ont été affranchis par elle des entraves qui les avaient embarrassés. La liberté individuelle a reçu une garantie nouvelle par la prohibition absolue des cours prévôtales et des tribunaux extraordinaires, disposition qui a fait rétablir en 1830 le jury dans la Corse, et qui a motivé le célèbre arrêt de la cour de cassation, du 30 juin 1832, contre l'attribution exceptionnelle des conseils de guerre à l'égard des individus non militaires. La liberté individuelle a reçu une seconde garantie par l'application du jury aux délits politiques.

La liberté religieuse et l'égalité des cultes reconnus par l'État ont reçu de la Charte une entière sauvegarde. En supprimant le titre de religion de l'État, exclusivement attaché à la religion catholique, la révolution a coupé la racine des abus qui naissaient d'une qualification que Portalis avait écartée de la loi de l'an X, avec une intention motivée dans son discours sur l'organisation des cultes (1).

La liberté de la presse a été assurée à jamais par l'exclusion absolue de la censure et par l'application du jury aux délits de la presse, application élevée au rang de loi constitutionnelle. Ce droit a entraîné celui de prouver contre les fonctionnaires la vérité des imputations ou des faits diffa

(1) Exposé des motifs. Choix de Rapports, t. XVIII, p. 71.

Je ne dois pas omettre la disposition par laquelle on déclare que la religion « catholique est celle des trois consuls et de la très-grande majorité de la nation; « mais je dirai en même temps qu'en cela on s'est réduit à énoncer deux faits qui << sont incontestables, sans entendre par cette énonciation attribuer au catholicisme « aucun des caractères politiques qui seraient inconciliables avec notre nouveau « système de législation. Le catholicisme est en France, dans le moment actuel, « la religion des membres du gouvernement et non celle du gouvernement « même; il est la religion de la majorité du peuple français et non celle de l'État. « Ce sont des choses qu'il n'est pas permis de confondre et qui n'ont jamais été «< confondues. »

matoires relatifs à leur vie publique; de là une surveillance nécessaire et continue exercée par la presse sur les fonctionnaires et par les fonctionnaires sur eux-mêmes (1).

III. Les droits politiques de l'électorat et de l'éligibilité ont été mis à la portée d'un plus grand nombre de citoyens, par l'abaissement des conditions de l'âge et du cens. L'ins titution de la garde nationale, avec droit d'élection pour la nomination des officiers, est devenue une garantie constitutionnelle dont le grand objet est le maintien de la Charte, de l'ordre et de la liberté publique. Dans les momens de calme, on songe peu aux bienfaits de l'institution; aux jours du danger, on sent quelle force immense est dans les mains des citoyens. La pensée de Sieyès et de Lafayette, en 1790, était d'armer la société en faveur de la liberté et de l'ordre; la même pensée est écrite dans les art. 66 et 68 de la Charte c'est une garantie qui seule, et à défaut des autres, suffirait pour rendre le despotisme impossible en France.

IV. En touchant à l'organisation des pouvoirs, la révolution de juillet a d'abord développé l'action législative : aux deux branches du pouvoir législatif elle a communiqué l'initiative, acte qui seul est toute une révolution par l'égalité mise entre les chambres et la royauté, et l'influence gouvernementale que les chambres peuvent en recevoir; elle a établi le vote annuel du contingent de l'armée, que Montesquieu avait regardé comme une garantie nécessaire; elle a subordonné à la volonté de la loi le service des troupes étrangères. L'hérédité de la pairie, l'institution des majorats, ont disparu devant son principe.

Le pouvoir exécutif a été renfermé dans ses véritables limites; le droit de faire des ordonnances a été défini exactement dans ses rapports avec la seule exécution des lois. Le prétexte des ordonnances pour la sûreté de l'État (2) a été à jamais enlevé à l'esprit d'arbitraire. La limitation des cas de responsabilité ministérielle a été supprimée; et la

[ocr errors]

(1) Loi 8 octobre 1830, abroge art. 18 de la loi du 25 mai 1822, et rétablit art. 20 de la loi du 26 mai 1819.

(2) Art. 14 de la Charte de 1814.

responsabilité est étendue aux autres agens du pouvoir que les citoyens blessés trouvent plus près d'eux, et peuvent plus facilement attaquer devant la justice du pays.

Les départemens et les communes, dotés d'institutions fondées sur le système électif, ont reçu le principe d'une nouvelle vie: les lois d'organisation et d'attributions ont trouvé les esprits prêts à recevoir leur salutaire influence: la vie locale va grandir sous leur protection, sans porter atteinte au vrai principe de l'unité politique et administrative. Les colonies enfin ont été placées sous l'empire du régime légal.

[ocr errors]

Ainsi la Charte de 1814 est sortie toute rajeunie de la révolution de 1830; elle a dépouillé tout ce qu'elle avait retenu des traditions de la monarchie absolue et des débris de la féodalité. La révolution de juillet a fait triompher les idées de 89, épurées au creuset de quarante ans d'expérience sociale. La Charte de 1814 avait formé laborieusement l'éducation constitutionnelle des nouvelles générations; elle fut une transition utile et féconde; elle prépara les esprits à la pleine possession de la liberté publique et privée. La Charte de 1830 a établi le droit public français sur sa véritable base, le respect du droit national, l'inviolabilité des droits et des devoirs individuels et sociaux.

[ocr errors]

S VI. — THÉORIE SUR LA TRANSMISSION DES POUVOIRS DANS TOUTES LES DIVISIONS POLITIQUES ET ADMINISTRATIVES.

La théorie du pouvoir politique, d'après notre constitution actuelle, peut être ramenée à deux grandes idées, l'action et la délibération, autrement dit, le pouvoir actif et la société. Ces deux élémens embrassent toutes les divisions politiques et administratives, et s'étendent sur tous les degrés de la hiérarchie. Le pouvoir, dans sa plus haute expression, est représenté par la royauté; la société, dans sa plus haute expression, est représentée par les assemblées constitutionnelles et l'intervention effective des citoyens. Le même principe d'organisation, qui a placé au sommet de l'État la royauté et la représentation nationale, a organisé, dans les sphères inférieures, des institutions correspondantes qui représentent aussi, dans les départemens et les

communes, l'action et la délibération, le pouvoir exécutif et le droit d'examen, en d'autres termes, le prince et le peuple, le pouvoir et la liberté.

Aux deux idées, aux deux institutions fondamentales, viennent se rattacher les moyens par lesquels sont créées les fonctions de l'ordre exécutif et de l'ordre délibératif. Suivant la Charte de 1830, les fonctions publiques ont deux principes différens : 1° le pouvoir exécutif qui est inhérent à la royauté; 2o l'élection directe des citoyens. La souveraineté nationale, qui est la source placée à l'origine de la Charte, s'est divisée en deux canaux : l'un, par lequel se propage et se transmet le pouvoir exécutif; l'autre, par lequel s'étend et se manifeste la volonté ou la représentation nationale. Dès lors toutes les fonctions publiques qui tiennent à l'action exécutive ou judiciaire découlent de la royauté constitutionnelle c'est la royauté qui donne l'impulsion, qui nomme les fonctionnaires, qui distribue la force, dont elle est l'expression sociale, sur tous les degrés de la hiérarchie politique et administrative. Mais pour certaines fonctions qui ne se rapportent pas exclusivement à l'action, et qui se combinent avec la représentation nationale et locale, avec la défense de la liberté et de l'ordre public, la nomination royale concourt avec la vocation de la loi ou l'élection des citoyens. Pour la nomination des pairs de France, législateurs et quelquefois juges, ells se combine avec les conditions de la loi sur les notabilités sociales; pour la nomination des maires et des officiers d'un haut grade dans la garde nationale, elle se combine avec l'élection des citoyens; pour la nomination des juges de commerce, elle se combine avec l'élection faite par une classe de personnes. -Le pouvoir communiqué par la royauté entraîne ou le droit d'action seulement, ou le droit de conseil avant l'action, ou le droit de jugement: quand le pouvoir communique l'action, il impose la responsabilité. L'action et la responsabilité sont unies dans le fonctionnaire actif comme le droit et le devoir.

Si le pouvoir, dans sa plus haute expression, est repré

« PreviousContinue »