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nom du roi; qu'enfin tous les jugemens sont revêtus de la formule exécutoire et sont exécutés au nom du roi. —Au principe tiré des anciennes maximes et renouvelé par la révolution, la Charte a joint une garantie absolue contre le retour des commissions et des tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être; et, de plus, elle s'est approprié l'institution du jury. Le jury, en matière criminelle, en matière de délits de la presse et de délits politiques, c'est l'intervention sociale dans le pouvoir judiciaire, comme la chambre des députés est l'intervention sociale dans le pouvoir législatif. — Au sommet de l'ordre judiciaire, l'assemblée constituante avait placé la cour de cassation pour juger non les procès, mais les jugemens et arrêts dans leur rapport avec la loi. Cette belle création, dont Tronchet avait emprunté l'idée à l'ancien conseil d'État, est acceptée et consacrée par la Charte comme l'institution qui, participant à la nature du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif, est le centre de l'uniformité des lois, le foyer de l'interprétation doctrinale et de la jurisprudence rationnelle.

§ IV. — INSTITUTIONS AUXILIAIRES DU POUVOir exécutif.

D'ÉTAT. COUR DES COMPTES.

CONSEIL

L'action exécutive serait souvent défectueuse, et quelquefois impossible, si elle n'était préparée et éclairée par les conseils de l'expérience et de la science administrative:— de là l'institution du conseil d'Etat.

D'un autre côté, le vaste maniement des deniers publics a besoin d'une garantie spéciale qui en assure l'exactitude, qui constate les écarts de l'incurie ou de l'improbité des comptables, qui fonde la sécurité des fonctionnaires de cet ordre, ou prépare leur répression publique :— de là l'institution de la cour des comptes.

Ces deux institutions ne forment pas des pouvoirs à part; elles se lient aux fonctions du pouvoir exécutif, et sont tantôt les auxiliaires, tantôt les régulateurs de l'action administrative.

I. L'existence du conseil d'État est conforme à la nature de nos institutions qui supposent, dans le pouvoir exécutif,

l'intelligence des besoins de la société, la connaissance des faits, la lumière du droit. Il est naturel et nécessaire qu'auprès des agens supérieurs de l'administration il existe un corps imposant de fonctionnaires spéciaux et expérimentés, qui prépare les ordonnances ou les règlemens d'administration publique, et qui écarte les obstacles que l'administration peut rencontrer soit dans les intérêts et les droits particuliers, soit dans l'action de l'autorité judiciaire: de là les attributions du conseil en matière purement administrative, en matière contentieuse et dans les cas de conflit.Mais qu'il soit appelé à discuter un acte d'administration ou à résoudre une question contentieuse, le conseil d'État garde, dans notre droit public, son caractère purement consultatif; ses décisions en matière contentieuse sont revêtues de la forme des ordonnances et de la signature du roi (1): les affaires qui, d'abord purement administratives, deviennent contentieuses, changent d'aspect, mais non de nature; interpréter un acte administratif, c'est toujours, en définitive, administrer; et le pouvoir exécutif, dont le conseil d'État est le puissant auxiliaire, doit conserver son indépendance et les formes ordinaires de son action.

La Charte ne mentionne pas expressément le conseil d'État, mais l'article 59 a maintenu les lois non contraires à ses dispositions. Créé par l'art. 52 de la constitution de l'an VIII, «< afin de rédiger les projets de lois et les règlemens d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative, » le conseil d'État fut successivement investi de prérogatives incompatibles avec la liberté d'action et la responsabilité des ministres. Sous le régime consulaire et impérial, la responsabilité des ministres n'existait que dans les rapports des ministres avec le chef du gouvernement. Elle n'existait pas dans les

(1) Nous exposons l'état actuel de la législation; mais c'est une grave question que celle de savoir si le conseil d'Etat, quand il statue en matière contentieuse, doit conserver ce caractère consultatif ou bien prendre le caractère d'un tribunal supérieur qui donne force suffisante à ses arrêts sans l'intervention du roi. Dans le projet de loi présenté en 1840 et amendé par la commission où figuraient MM. Dalloz, Odilon-Barrot, Isambert, Toqueville, etc., on s'est arrêté à l'idée d'un tribunal supérieur rendant des arrêts exécutoires sans la signature du roi.

rapports des ministres avec le corps législatif : ils avaient alors pour supérieur le conseil d'État, par l'intermédiaire duquel le chef du gouvernement dirigeait ou arrêtait l'action ministérielle. La Charte de 1814 a établi la responsabilité ministérielle envers les chambres; il a fallu dès lors que l'action ministérielle fût libre, car la responsabilité emporte nécessairement la liberté d'action. Toutes les dispositions des lois intermédiaires, qui sont fondées sur cette différence entre les deux gouvernemens, sont donc implicitement abrogées par la Charte; mais quant aux autres dispositions, elles restent en vigueur jusqu'à ce qu'il y soit légalement dérogé (1).

Les attributions du conseil d'État sont prises dans sa nature, 1o comme conseil supérieur de l'administration; 2o comme conseil de juridiction supérieure en matière administrative-contentieuse; 3° comme conseil investi d'une juridiction imparfaite.

Sous le premier rapport, le conseil d'État est nécessairement appelé à délibérer sur certains actes, comme les règlemens d'administration publique et les affaires administratives dont les lois lui ont renvoyé l'examen. — Il donne aussi son avis sur les projets d'ordonnances et de lois qui lui sont renvoyés par les ministres; mais son concours alors n'est pas obligé; les ministres peuvent ne pas le réclamer, ou ne pas avoir égard aux résultats de la délibération.

Sous le second rapport et en matière contentieuse, il propose les ordonnances qui statuent sur l'appel des décisions administratives en premier ressort, sur le pourvoi en cassation contre les arrêts de la cour des comptes pour violation des formes et de la loi.

Sous le troisième rapport, le conseil d'État est associé à la haute tutelle que l'administration exerce sur l'établissement des sociétés commerciales anonymes, sur l'établissement des usines, sur les autorisations des communes pour

(4) Le projet de loi amendé par la commission de la chambre des députés comprend : 4o la composition du conseil d'État; 2o ses fonctions et attributions. - Voir le rapport de M. Dalloz, Revue de législation, t. XII, p. 96,

ester en justice, sur la mise en jugement des fonctionnaires publics; de plus, il exerce sur tous les actes des fonctionnaires publics une attribution régulatrice en cas d'incompétence ou d'excès de pouvoir; il statue sur les conflits, objets qui rentrent dans le livre du droit administratif (1). Nous verrons aussi bientôt que le dépôt des libertés de l'Église gallicane lui a été confié par la loi du 18 germinal,

an X.

II. L'institution de la cour des comptes a été créée par la loi du 16 septembre 1807. Dans sa nature, elle est en rapport avec le gouvernement représentatif, puisqu'elle est la garantie de la comptabilité publique; dans son existence, elle est confirmée par l'art. 59 de la Charte.

Sa mission participe de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif.

De sa nature judiciaire elle tient l'inamovibilité de ses membres, l'intitulé de ses arrêts et leur force exécutoire sur la personne et sur les biens des comptables condamnés, ou sur les biens des comptables en exercice, pour la réduction et la main-levée des hypothèques.

De sa nature administrative, elle reçoit une action toute spéciale pour assurer l'exactitude de la comptabilité: elle est chargée du jugement de tous les comptes, depuis ceux du trésor et des receveurs-généraux jusqu'à ceux des hospices et établissemens de bienfaisance (2); elle suit tous les mouvemens d'espèces ou toutes les opérations administratives qui constituent des recettes ou dépenses publiques. Son attribution la plus élevée dans ce genre est le contrôle des comptes ministériels, qui résulte de la déclaration par laquelle la cour établit chaque année la comparaison entre le résultat de ses arrêts sur les comptes individuels des agens comptables, et les opérations comprises dans les comptes publiés par les ministres.

Cette attribution de contrôle s'exerce aussi par le rap

(1) Voir liv. IIIe, Justice administrative.

2) Elle juge au second degré seulement la comptabilité des communes et des établissemens publics dont le revenu n'excède pas 30,000 fr. - L. 18 juillet 1837,

art. 66.

port annuel au roi sur l'ensemble des actes de l'administration concernant les finances de l'État : le rapport présente la comparaison des dépenses avec les crédits, le résultat de l'exécution des lois des finances. Il prépare le contrôle souverain des chambres: aussi doit-il être imprimé et distribuě (1).

S V.

INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION DE 1830 SUR NOS LOIS
CONSTITUTIONNELLES (2).

La révolution de juillet a profondément modifié le droit public établi par la Charte de 1814. En considérant ces modifications dans leur esprit et dans leur ensemble, on se convainc que la Charte de 1830 est vraiment une Charte nouvelle. Si celle de 1814 avait voulu renouer la chaîne des temps, interrompue par la révolution, celle de 1830, en profitant des lumières de l'expérience, a puissamment rattaché le présent et l'avenir aux grandes idées de 1789.

Les modifications ont porté sur tous les objets essentiels du droit public:

Les principes de la souveraineté nationale,
Les droits individuels,

Les droits politiques,

L'organisation des pouvoirs constitués.

I. La Charte de 1814, dans son préambule, niait le principe de la souveraineté nationale, pour y substituer l'ancienne souveraineté des rois de France: « Nous avons considéré « que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la « personne du roi, nos prédécesseurs n'avaient point hésité « à en modifier l'exercice suivant la différence des temps;... «< nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, << apprécier les effets des progrès toujours croissans des lu«<mières... A ces causes, nous avons volontairement, et « par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et ac« cordons, fait concession et octroi à nos sujets, etc. » — Le premier acte de la révolution, pour la réforme de la Charte,

(1) L. 21 avril 1832, art. 15.

(2) On peut consulter l'ouvrage publié par M. le procureur-général Dupin, sous le titre de RÉVOLUTION DE 1830. Caractère légal et politique du nouvel établissement fondé par la Charte constitutionnelle de 1850, in-12, 1835.-On y trouve, avec le récit des évènemens, toutes les pièces historiques qui s'y rapportent.

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